2. La mise en place effective des passeports électroniques
Conformément au règlement (CE) n° 2252/2004 du 13 décembre 2004, les Etats membres de l'Union européenne doivent délivrer des passeports incluant une photographie faciale sur un composant électronique depuis le 28 août 2006. Dans un délai de 36 mois à compter de l'adoption de spécifications techniques -soit à compter du 28 juin 2009-, les empreintes digitales numérisées du titulaire du passeport devront également être introduites dans le document.
Depuis le 26 octobre 2006, les Etats-Unis imposent également à la France et aux vingt-six autres pays jusqu'à présent exemptés de visa, que les passeports de leurs ressortissants contiennent sur un composant électronique au moins leur photo numérisée faciale comme donnée biométrique, conformément aux exigences de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Les empreintes digitales et l'iris de l'oeil ne constituent en revanche que des données biométriques optionnelles. En outre, depuis le 26 octobre 2005, les voyageurs de ces vingt-sept pays doivent déjà présenter des passeports à lecture optique et comportant une photographie numérique imprimée sur la page de données lorsque ces derniers ont été délivrés après cette date.
Par conséquent, devenue prioritaire au regard des exigences internationales, la création des passeports électroniques est effective en France depuis avril 2006. Initialement, le plan d'action prévoyait sa mise en place au 26 octobre 2005, afin de tenir compte des normes imposées par les Etats-Unis à cette date. Elle a toutefois été retardée en raison d'un contentieux survenu entre le ministère de l'Intérieur et l'Imprimerie nationale.
En effet, le ministère de l'intérieur avait initialement lancé un appel d'offres en octobre 2005, gagné par l'entreprise privée Oberthur, afin de choisir le centre de production des passeports électroniques. L'Imprimerie nationale avait alors saisi en référé le tribunal administratif pour suspendre ce contrat, aboutissant au blocage de la fourniture des nouveaux passeports électroniques. Le juge administratif a depuis statué en faveur de l'Imprimerie nationale, l'ordonnance du tribunal ayant été confirmée par le Conseil d'Etat qui, en vertu de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1993 relative à l'Imprimerie nationale, a affirmé que cette dernière était « seule autorisée à réaliser les documents déclarés secrets ou dont l'exécution doit s'accompagner de mesures particulières de sécurité, et notamment les titres d'identité, passeports, visas et autres documents administratifs et d'état civil comportant des éléments spécifiques de sécurité destinés à empêcher les falsifications et les contrefaçons ».
Une fois actée la compétence de l'Imprimerie nationale pour la production des passeports électroniques, le déploiement s'est opéré de mi-avril à mi-juillet, conformément au calendrier établi.
Calendrier de déploiement national des passeports électroniques
- Deuxième quinzaine d'avril 2006: Hauts-de-Seine, Paris.
- Première quinzaine de mai 2006 : Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Calvados, Corse-du-Sud, Côte d'Or, Doubs, Essonne, Haute-Garonne, Gironde, Hérault, Ille-et-Vilaine, Isère, Loire, Loire-Atlantique, Loiret, Marne, Moselle, Nord, Pas-de-Calais, Puy-de-Dôme, Pyrénées-Atlantiques, Bas-Rhin, Rhône, Seine-Maritime, Yvelines, Somme, Vienne, Haute-Vienne, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Martinique, Guadeloupe, Guyane, Polynésie française.
- Deuxième quinzaine de mai 2006 : Ain, Aisne, Aube, Aude, Charente-Maritime, Corrèze, Côtes-d'Armor, Dordogne, Drôme, Eure, Finistère, Gard, Lot, Maine-et-Loire, Meurthe-et-Moselle, Morbihan, Oise, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Orientales, Haut-Rhin, Haute-Savoie, Seine-et-Marne, Var, Vosges, Yonne, Val-d'Oise, La Réunion, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon ;
- Première quinzaine de juin 2006 : Allier, Alpes-de-Haute-Provence, Ardèche, Ardennes, Ariège, Aveyron, Eure-et-Loir, Haute-Marne, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, Lot-et-Garonne, Lozère, Manche, Meuse, Saône-et-Loire, Savoie, Deux-Sèvres, Tarn, Vaucluse, Vendée, Territoire de Belfort, Nouvelle-Calédonie ;
- Deuxième quinzaine de juin 2006 : Hautes-Alpes, Cantal, Charente, Cher, Haute-Corse, Creuse, Gers, Indre, Jura, Landes, Haute-Loire, Mayenne, Nièvre, Orne, Haute-Saône, Sarthe, Tarn-et-Garonne, îles Wallis-et-Futuna.
Le contrat conclu entre le ministère de l'intérieur et l'Imprimerie nationale prévoit des délais de production stricts, assortis de pénalités financières conséquentes en cas de non-respect. Actuellement, le délai de production et d'expédition des passeports électroniques, qui s'avère nettement inférieur à celui imposé par l'administration, s'élève de 4 à 6 jours ouvrés 30 ( * ) .
D'après les informations fournies par le ministère de l'intérieur, l'Imprimerie nationale a parfaitement su répondre au défi industriel que constitue l'instauration de passeports électroniques, la période de montée en charge du dispositif ayant pu conduire à des pointes de production de 20.000 passeports par jour.
Plusieurs difficultés ont toutefois marqué la période transitoire de fourniture des passeports électroniques.
Tout d'abord, parallèlement au déploiement de ces nouveaux titres d'identité, des actions de formation ont du être organisées pour les personnels chargés de l'accueil dans les mairies ainsi que pour les agents des préfectures instruisant les dossiers, dans la mesure où la mise en place des passeports électroniques s'est accompagnée de modifications réglementaires portant sur les pièces justificatives exigibles 31 ( * ) .
Ensuite, de nouvelles normes internationales étant désormais en vigueur s'agissant des photographies d'identité , notamment afin de permettre une reconnaissance « semi-automatisée » du titulaire du passeport lors d'un contrôle aux frontières, les photographes professionnels ont dû s'adapter à ces nouvelles exigences techniques. De même, les paramètres des cabines photographiques ont dû être ajustées et les agents des mairies et préfectures formés afin de reconnaître les photographies désormais acceptables pour le système.
Ces nouvelles normes ont également conduit au rejet d'un nombre plus important de photographies qu'à l'accoutumé par les services municipaux ou préfectoraux.
Enfin, par souci d'équité, certaines dispositions ont été prises afin que les personnes dont le passeport était arrivé à expiration à compter du 25 octobre 2005, et qui étaient contraintes de le renouveler et de se rendre aux Etats-Unis ou de transiter par ce pays, puissent changer gratuitement leur passeport DELPHINE pour un passeport électronique . En effet, ces personnes devaient, en plus du coût normal d'un passeport, payer un visa d'entrée pour les Etats-Unis.
Par souci d'équité, une instruction fiscale a été publiée au bulletin officiel des impôts, pour permettre l'échange gratuit des passeports DELPHINE :
- d'une part, dès lors qu'ils ont été délivrés à compter du 25 octobre 2005 ;
- d'autre part, si leurs titulaires apportent la preuve, par présentation de tout justificatif, d'un déplacement à venir pour les Etats-Unis ou d'un transit par ce pays.
Le nouveau passeport électronique délivré n'est alors valable qu'à concurrence de la durée de validité fixée sur le passeport DELPHINE qu'il remplace.
En outre, l'instruction fiscale prévoit un remboursement de 60 euros pour les personnes ayant dû anticiper l'entrée en vigueur de ce dispositif et ont par conséquent été contraintes de payer pour obtenir un passeport électronique ou un visa pour les Etats-Unis.
Une circulaire sur ce dispositif d'échange gratuit de passeports a été adressée aux préfets le 31 mai dernier.
Votre rapporteur se félicite de ce dispositif transitoire qui permet de répondre aux difficultés rencontrées par de nombreux usagers au cours de la mise en place des passeports électroniques.
Plus généralement, il constate, qu'en dépit du différend juridique avec l'Imprimerie nationale, le Gouvernement a parfaitement su gérer le déploiement de ces nouveaux titres d'identité sur l'ensemble du territoire national.
Il convient toutefois de mentionner une récente étude d'un réseau d'universités, d'instituts de recherche et d'entreprises au niveau de l'Union européenne (Futur de l'identité dans la société de l'information - FIDIS), qui affirmerait que les passeports électroniques pourraient être « lus et interceptés à une distance de dix mètres du porteur ». La mission d'information précitée de la commission des lois s'était déjà inquiétée de la lecture à distance de ces documents biométriques 32 ( * ) .
Afin de mutualiser les achats d'équipements (lecteurs des titres biométriques, composants électroniques...) et d'offrir davantage de souplesse de fonctionnement, le Gouvernement a décidé de créer un établissement public administratif chargé d'organiser la production de ces nouveaux documents d'identité, l'« Agence nationale des titres sécurisés » . L'institution de ce nouvel établissement fait l'objet d'une mission d'audit lancée en juin 2006, tendant principalement à préciser ses modalités d'organisation et les moyens qui devront lui être alloués.
Cette agence devrait effectivement voir le jour au début de l'année 2007 et ne remettrait en rien en cause le monopole de l'Imprimerie nationale pour la production matérielle des titres.
Comme indiqué dans le projet de loi de finances pour 2007, la mise en place de cette agence tend à « garantir la cohérence de la politique de l'Etat en matière de délivrance des titres ». A terme, en effet, cette agence devrait également être compétente pour la gestion de la carte d'identité nationale sécurisée, actuellement en projet, ainsi que pour la mise en oeuvre des visas biométriques, pour finaliser les travaux de connexion du système informatique national « réseau mondial visa 2 » (RMV2) au système européen d'information sur les visas (VIS) ainsi que pour assurer l'équipement des postes consulaires en matériel de capture de données biométriques.
Par conséquent, le ministère de l'intérieur ne serait pas le seul concerné par la production de ces titres ; d'autres ministères, tels que le ministère des Affaires étrangères, pourraient également s'appuyer sur l'Agence nationale des titres sécurisés. Si cette dernière devrait d'ailleurs être placée sous la tutelle du ministère de l'intérieur, elle serait toutefois dirigée par un conseil d'administration au sein duquel toutes les administrations concernées (ministère des affaires étrangères, ministère des finances...) seraient représentées.
Confier à une structure administrative unique « le développement, l'acquisition, l'exploitation et la maintenance des moyens nécessaires à la mise en oeuvre des procédures sécurisées permettant la délivrance des titres » devrait également permettre d'« offrir à l'Etat les solutions les plus compétitives aux plans technique et industriel ».
Le coût unitaire d'un passeport électronique, actuellement fixé à 19,05 euros et devant passer à terme à 15,99 euros 33 ( * ) , est trois à quatre fois plus élevé que le passeport DELPHINE.
Si le coût total des passeports électroniques est estimé à 58,1 millions d'euros pour 2007 34 ( * ) , le projet de loi de finances prévoit seulement un budget de 13,1 millions d'euros en crédits de paiement dans la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat » (et 20,5 millions d'euros en autorisations d'engagement). En effet, les 45 millions d'euros restant seront financés par le biais d'un prélèvement sur les taxes de délivrance des passeports (droits de timbre), directement attribué à l'Agence nationale des titres sécurisés, comme le prévoit l'article 28 du projet de loi de finances pour 2007.
Comme l'indique le projet annuel de performances, le montant réel de la subvention allouée à l'agence par le biais du budget du ministère de l'intérieur devrait être déterminé au cours de l'année 2007, « en fonction de la date effective d'entrée en fonctionnement de l'agence, c'est-à-dire de la date à laquelle elle sera en mesure de prendre en compte les relations contractuelles pour la production des passeports. »
A terme, le budget alloué au développement et à la production des titres sécurisés ne devrait donc plus être compris dans le budget du ministère de l'intérieur.
* 30 Ce délai de production et d'expédition ne correspond pas au délai total de délivrance, dans la mesure où doivent également être pris en compte le temps d'instruction des dossiers et leur délai de transmission entre les mairies et les préfectures.
* 31 Le renforcement des pièces justificatives exigibles tend à garantir que ces passeports offrent les mêmes garanties que les cartes nationales d'identité en matière de certification de l'identité et de la nationalité.
* 32 Voir rapport précité « Identité intelligente et respect des libertés » de M. Jean-René Lecerf, au nom de la mission d'information sur la nouvelle génération de documents d'identité et la fraude documentaire, présidée par M. Charles Guené.
* 33 En effet, la convention conclue entre le ministère de l'intérieur et l'Imprimerie nationale prévoit une dégressivité des tarifs au-delà d'un certain seuil de commandes.
* 34 Cette estimation est fondée sur le coût de production des passeports (3,26 millions de passeports en moyenne) et sur l'acquisition de lecteurs destinés à équiper les forces de sécurité et les préfectures.