B. UN DÉFI SPÉCIFIQUE : ENCOURAGER LE MÉCÉNAT CULTUREL

1. Un phénomène longtemps mal accepté

Comme votre rapporteur l'a souligné plus haut, la tradition multiséculaire d'intervention culturelle de l'Etat a eu pour effet de jeter un voile de suspicion sur les intentions des particuliers ou des entreprises désireux de participer au financement d'actions d'intérêt général dans ce domaine.

Ainsi, comme l'a rappelé M. Henri Loyrette, président-directeur du Louvre, au cours d'une audition organisée par votre rapporteur, les recettes du mécénat ont longtemps été considérées par les conservateurs de musées comme un risque potentiel de perversion commerciale de l'activité muséographique. A cet égard, la comparaison avec les musées américains est frappante : alors que l'équipe chargée du développement du mécénat compte 60 personnes au Metropolitan Museum de New York, celle du Louvre n'en comptait encore à une date récente pas plus de quatre.

La même méfiance a longtemps prévalu dans tous les domaines de l'action culturelle de l'Etat, la crainte en particulier chez les artistes de voir la liberté de création assujettie à la puissance de l'argent prévalant sur l'intérêt de disposer de subsides plus importants. Ainsi, si l'on brocarde volontiers l'Etat culturel et ses choix artistiques, les tentatives faites pour relancer le mécénat ont achoppé sur la crainte d'un désengagement de l'Etat et d'une domination marchande sur la culture.

Par ailleurs, l'importance de l'intervention de l'Etat, et désormais de manière prépondérante des collectivités territoriales, dans le financement de la culture n'a pas créé de mouvement en faveur d'un engagement des citoyens en ce domaine.

Il aura fallu une loi d'initiative gouvernementale pour que soit créée une fondation du patrimoine 7 ( * ) chargée de collecter des fonds privés en faveur de la protection du « petit patrimoine » non protégé alors que le National Trust, dont l'existence remonte à la fin du XIXe siècle, joue grâce aux fonds qu'ils collecte et au volontariat qu'il fédère un rôle primordial dans la politique britannique de sauvegarde du patrimoine. Près de six ans après sa création, la Fondation du patrimoine, organisme au statut largement dérogatoire peine encore à mobiliser la participation des entreprises et n'a pas encore attiré les dons des particuliers, cela sans doute en raison de mécanismes d'adhésion trop complexes. Ce constat contraste avec la montée en puissance du sentiment patrimonial des Français qui, à travers les journées du patrimoine organisées chaque année, témoignent d'un attachement croissant à la préservation de notre héritage historique.

2. Une action prioritaire

• Des sommes encore modiques

Le risque de voir, selon la formule de M. Jacques Rigaud, le mécénat « faire les fins de mois difficiles d'un Etat nécessiteux » reste encore largement de l'ordre du phantasme compte tenu de la nature des sommes collectées par ce biais.

Selon les données recueillies par l'Admical, ont été recensées dans le domaine de la culture :

- 1 200 entreprises actives (contre 1 000 en 1996 et 1 100 en 1998). Traditionnellement, les secteurs les plus concernés par ces actions sont ceux des établissements bancaires et de crédit, de la communication et de la presse, qui représentent respectivement 21 % et 16 % des actions engagées ;

- 2 800 actions (contre 2 650 en 1996 et 2 700 en 1998) ;

- pour un budget global de 198 millions d'euros (contre 167 694 millions d'euros en 1996 et 190 561 millions d'euros en 1998), soit 58 % des sommes consacrées par les entreprises au mécénat.

Si le mécénat culturel reste le domaine privilégié du mécénat d'entreprise, il convient de souligner qu'il connaît désormais une croissance moins rapide que celle du mécénat lié à la solidarité et à la protection de l'environnement.

S'agissant des dons des particuliers, aucune statistique ne permet d'en connaître avec certitude l'affectation. Cependant, il semble que la culture soit loin derrière d'autres causes telles l'aide aux personnes en difficulté, la santé ou la recherche. D'après une enquête réalisée en octobre 2002 par la SOFRES pour la Fondation de France, qui portait sur l'ensemble des dons -au sens large- consentis par les Français 8 ( * ) , la culture n'en représentait que 7 %.

Ces sommes restent sans commune mesure avec celles engagées par les collectivités publiques. Rappelons que le budget du ministère de la culture s'élève à 2 409,7 millions d'euros en 2003 et que l'ensemble de la dépense culturelle des collectivités publiques atteint près de 15 milliards d'euros.

• Un partenariat pourtant indispensable

Faute de pouvoir étudier l'affectation des dons des particuliers, en raison d'une absence d'instruments statistiques, votre rapporteur analysera les orientations du mécénat des entreprises.

Les domaines concernés par ces actions de mécénat témoignent d'un comportement constant qui privilégie la musique et les arts plastiques, et plus particulièrement les musées.

LES PRÉFÉRENCES CULTURELLES DES ENTREPRISES
Répartition des opérations de mécénat culturel par disciplines artistiques
(en % du nombre total d'actions de mécénat culturel)

Disciplines

2000

1998

1996

Musique

29

33,5

29

Arts plastiques-musées

21

17,5

21

Théâtre

12

7

5

Patrimoine

7

8,5

9

Actions pluridisciplinaires

6,5

7

8

Photographie

6

8,5

5

Audiovisuel-multimédia

4,5

6,5

9,5

Danse

4,5

2,5

3

Divers

4

0,5

2,5

Edition-littérature

3

6

6

Architecture / design

2,5

2,5

2

Total

100

100

100

(Source Admical)

Le mécénat en faveur de la musique prend des formes très variées, à la fois destiné à soutenir l'effort de diffusion grâce aux concours dispensés à des nombreux festivals ou directement à des formations musicales et à des musiciens, mais également à apporter un appui aux actions d'éducation musicale, domaine où traditionnellement les moyens publics manquent pour satisfaire une demande sociale croissante.

En ce qui concerne les arts plastiques, au contraire des mécènes de jadis, les entreprises hésitent encore semble-t-il à soutenir directement la création artistique, sans doute en raison des fluctuations importantes que connaît la cote de l'art contemporain sur le marché de l'art. Toutefois, certaines fondations d'entreprise ont constitué des collections, répondant ainsi en partie au souhait du législateur de voir le mécénat d'entreprise s'inscrire dans la durée.

Le mécénat joue en revanche un rôle de plus en plus important dans le fonctionnement des musées. A cet égard, les associations d'amis de musées, très anciennes, pour certaines d'entre elles, constituent depuis longtemps déjà un outil permettant aux musées de fédérer les donateurs mais aussi de susciter des vocations de mécènes.

Les acquisitions constituent un champ d'intervention privilégié du mécénat en faveur des musées. On soulignera que le mécénat contribue bon an mal an à environ 10 % du budget d'acquisition des musées nationaux. Les difficultés de la Réunion des musées nationaux, qui ont eu pour effet de diminuer le montant de sa contribution, comme l'inflation des prix sur un marché de l'art devenu international, confèrent à la contribution de la sphère privée un rôle essentiel, notamment afin d'assurer le maintien sur le territoire d'oeuvres majeures. Le dispositif mis en place par la loi du 31 décembre 1992 9 ( * ) , qui s'est substitué à l'ancienne législation douanière de 1941, conditionne étroitement la protection du patrimoine national aux capacités d'acquisition des institutions publiques. Les « trésors nationaux », c'est-à-dire les oeuvres auxquelles a été refusé temporairement le certificat d'exportation, qui ont pu être achetées l'ont été pour les oeuvres les plus importantes grâce au mécénat. Ainsi, le portrait de Melle Juliette de Villeneuve par David, acquis en 1998, qui figure désormais dans les collections du musée du Louvre, a été financé pour les deux tiers par la société des amis du Louvre. De même, deux pièces remarquables de mobilier royal, un coffret à bijoux signé Carlin ayant appartenu à Marie-Antoinette et une table à écrire de Riesener, ont pu, grâce au mécénat, rejoindre les collections du château de Versailles.

Ce constat a d'ailleurs justifié que soient introduits dans la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, lors de son examen par le Sénat, deux dispositifs fortement incitatifs ouvrant droit pour les entreprises qui concourent à l'achat de trésors nationaux ou qui les acquièrent pour leur propre compte à une réduction d'impôt égale à 90 % dans le premier cas et à 40 % dans le second des sommes engagées.

Au-delà de ces acquisitions prestigieuses, le mécénat soutient également l'effort de diffusion scientifique et culturelle des institutions muséographiques. Il convient d'évoquer ici le fructueux partenariat entre le groupe Louis Vuitton-Moët-Hennessy et la Réunion des musées nationaux dans le cadre de l'organisation des expositions temporaires, mais également les actions que cet établissement public conduit avec le groupe Carrefour afin d'organiser des expositions hors des musées.

Ce partenariat ne constitue pas un assujettissement de la politique d'exposition à des considérations mercantiles mais plutôt, ainsi que l'a fait observer M. Henri Loyrette à votre rapporteur, un moyen de se consacrer à des projets exigeants qui n'auraient pu être financés par les fonds publics faute d'être immédiatement rentables en termes de recettes commerciales. Ainsi, à titre d'exemple, il convient de relever que les publications scientifiques du Louvre sont pour une large part financées par le mécénat.

Par ailleurs, la coopération engagée avec les entreprises et les associations constitue indéniablement un moyen pour les musées de conquérir de nouveaux publics.

L'intrusion de partenaires privés dans la politique culturelle qui semble désormais admise tant par les conservateurs que par l'opinion, au travers notamment des médias, offre également aux musées l'opportunité de développer leurs projets indépendamment des aléas budgétaires et, en particulier, les projets de rénovation. On notera ainsi que le contrat d'objectifs et de moyens signé par le Louvre pour la période 2003-2005 prévoit un quasi-doublement des recettes de mécénat, qui s'élèvent aujourd'hui à 4,5 millions d'euros. Le mécénat semble donc devenu une donnée incontournable de la gestion des musées, et plus largement des institutions culturelles.

Votre commission y voit un facteur d'évolution positif qui témoigne de l'attachement des citoyens au dynamisme de la vie culturelle mais également offre l'occasion de démocratiser les actions conduites en ce domaine en libérant et en décentralisant les initiatives. Il est en effet souhaitable que les sommes recueillies en faveur du mécénat culturel continuent à progresser afin que les actions engagées à ce titre irriguent l'ensemble des secteurs culturels et profitent non seulement à des institutions prestigieuses, qui constituent, certes, pour les entreprises, une garantie en termes de retombées médiatiques, mais également à des projets plus modestes, peut-être moins évidemment « rentables » pour leur image. Il semble que, d'après les tendances récentes, observées notamment par l'Admical, cette évolution soit d'ores et déjà amorcée. Le projet de loi ne peut que consolider cette tendance.

* 7 Loi n° 96-590 du 2 juillet 1996 relative à la Fondation du patrimoine

* 8 évalués par cette enquête à 1,9 milliard d'euros.

* 9 Loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane.

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