2. Le développement continu de l'exclusion
a) Le poids toujours croissant du RMI
Le niveau des minima sociaux était déjà identique à celui de la métropole pour l'allocation adulte handicapé, le minimum vieillesse, le minimum invalidité, l'assurance veuvage, l'allocation de solidarité spécifique, l'allocation d'insertion.
Depuis le 1 er janvier 2002, le RMI est aligné sur celui de la métropole.
Mais le ralentissement de la décrue du chômage a eu pour conséquence une nouvelle augmentation du nombre de bénéficiaires du RMI. Au 31 décembre 2001, ces derniers étaient au nombre de 134.987, soit une hausse de 2,5 % par rapport à l'année 2000, alors même que leur nombre diminuait d'autant en métropole.
Évolution du nombre de bénéficiaires du RMI en 2001
La Réunion |
+ 0,1 % |
Martinique |
+ 4,4 % |
Guyane |
+ 12,7 % |
Guadeloupe |
+ 2,7 % |
Métropole |
- 2,5 % |
Source : ministère de l'emploi
Répartition des bénéficiaires du RMI dans les DOM en 2001
Les progrès de l'exclusion se confirment. Ainsi, 20 % de la population des DOM vivent du RMI, contre 5 % en métropole.
La progression du RMI fait que celui-ci a acquis un poids considérable dans les sociétés ultramarines, sans commune mesure avec la métropole.
Les dépenses liées au RMI ont augmenté parallèlement à la progression des effectifs et à la réalisation du processus de convergence.
Évolution des dépenses d'allocation du RMI 1994-2001 (en millions d'euros)
b) Des conséquences sociales et sanitaires graves
Au-delà de l'impact budgétaire, les effets sociaux et sanitaires de l'exclusion sont dramatiques, particulièrement à la Réunion et en Guyane, comme a pu en témoigner la défenseure des enfants, Claire Brisset, de retour de deux missions dans ces départements 4 ( * ) .
Dans ses deux rapports annuels remis au Président de la République, Mme Claire Brisset, défenseure des enfants, apporte un témoignage éclairant sur les difficultés socio-sanitaires des départements de la Réunion et de la Guyane, où elle a effectué deux missions, respectivement en 2001 et 2002. La Réunion (2001) Département d'outre-mer le plus peuplé avec 750.000 habitants et au fort dynamisme démographique, la Réunion compte un nombre important de moins de 20 ans (35,5 %). Cette population jeune doit aussi faire face à des changements sociaux économiques rapides qui bouleversent les rapports sociaux traditionnels. Cette situation se traduit par une forte précarité : - la moitié de la population est au chômage ; - dans dix ans, l'île comptera 65.000 allocataires du RMI, sachant qu'aujourd'hui leur nombre est estimé à moins de 62.000 ; - la monoparentalité et l'alcoolisme sont des facteurs aggravants ; - les taux de criminalité et de récidive sont plus élevés qu'en métropole. Or, les réponses sont limitées par l'insuffisance des équipements médico-sociaux et des travailleurs sociaux dans l'île. Les listes d'attente pour les placements en institution peuvent atteindre trois ou quatre ans, le nombre de places étant proportionnellement inférieur de moitié à celui de la métropole. Par ailleurs, le ministère de l'éducation nationale a décidé de fermer plusieurs classes d'intégration scolaire sans justification officielle. Mme Brisset souligne l'urgence à établir à la Réunion des maisons de l'adolescence ; mais celles-ci peinent à trouver un financement. Dans ces conditions, la question de la délinquance et de la détention des mineurs reste préoccupante. La prison du Port, ouverte en 2000, comptait, lors de la visite de la défenseure, 33 jeunes détenus pour 24 places, la majorité d'entre eux étant des polytoxicomanes. Pour les mineurs, il n'existait ni centre d'éducation renforcée ni centre de placement immédiat mais un seul foyer pour recevoir des cas lourds. Quant aux adultes incarcérés, plus de la moitié d'entre eux sont en prison pour des affaires de moeurs dont une majorité intrafamiliales. En 2000, 230 victimes mineures ont été dénombrées. La Guyane (2002) Ce département, au fort dynamisme démographique, compte la plus forte proportion de jeunes de moins de 20 ans (44 %). La situation sanitaire, scolaire et sociale y est très préoccupante. La Guyane, pôle de développement au milieu d'une zone de pauvreté extrême, compte 40 % d'immigrants venus principalement de Haïti et du Surinam. Le coût social de cette immigration clandestine est important puisque les immigrés sont attirés par les bénéfices du système de protection sociale français ainsi que les opportunités de naturalisation. La dégradation de la situation sanitaire se mesure notamment par l'ampleur de l'épidémie du Sida, des grossesses adolescentes, et par l'insuffisance des équipements sanitaires pour les nouveau-nés et les enfants handicapés. Le logement reste un défi majeur. Il existe à Cayenne des bidonvilles où s'entassent adultes et enfants au mépris des impératifs d'hygiène. Premier employeur en Guyane, l'éducation nationale peine à remplir sa mission : 10 % des moins de 20 ans ne sont pas scolarisés, 40 % des adultes souffrent d'illettrisme. Enfin, le marché du travail ne parvient pas à intégrer les chômeurs (20 % de la population), de telle sorte que 15 % des Guyanais vivent du revenu minimum d'insertion. Au total, la défenseure des enfants est parvenue aux mêmes conclusions que la délégation de la mission d'information de la commission des Affaires sociales en juillet 1999. |
c) La nécessaire révision des politiques d'insertion
A la suite de l'alignement du RMI sur celui de la métropole, la créance de proratisation est supprimée dans le projet de budget pour 2003.
Dans le système existant jusqu'au 1 er janvier 2001, le barème du RMI applicable dans les DOM était égal à 80 % du montant fixé pour la métropole. C'est cette spécificité qui est donc supprimée par la loi d'orientation, au bénéfice d'un alignement, en deux ans, sur le niveau du RMI métropolitain et d'une compensation, pour les actions d'insertion et de logement, des pertes provoquées par la suppression de la créance de proratisation. En compensation du taux inférieur du RMI dans les DOM, l'Etat participait au financement d'actions d'insertion et d'aide au logement au profit des bénéficiaires du RMI, en plus de celles de droit commun. Ces crédits, appelés créance de proratisation du RMI, représentaient la différence entre les allocations versées dans les DOM chaque année et le montant qu'elles auraient atteint si le barème métropolitain avait été appliqué. Le montant de cette créance s'est élevé à 126,8 millions d'euros en 1999 et 133,95 millions d'euros en 2000. En 2001, il est réduit d'un tiers environ, à 99,4 millions d'euros, répartis entre la part insertion (23,64 millions d'euros) et la part logement (75,77 millions d'euros). Une compensation de 31,25 millions d'euros a été effectuée mais uniquement sur la part insertion. |
Cette disparition devait faire l'objet d'une compensation qui n'a jamais été véritablement effective.
S'agissant de la part « insertion » de la créance, le réalignement du montant du RMI outre-mer sur celui de la métropole augmente mécaniquement la dépense du RMI et donc d'autant la part que le conseil général doit consacrer aux dotations des Agences départementales d'insertion (ADI).
La loi du 25 juillet 1994 a créé les ADI afin d'améliorer les conditions de l'insertion des bénéficiaires du RMI. La loi d'orientation n° 98-617 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions a transformé les ADI, antérieurement établissements publics nationaux, en établissements publics locaux à caractère administratif. L'ordonnance n° 2000-99 du 3 février 2000 et le décret d'application n° 2000-713 leur ont donné un statut départemental. Cette évolution a pour effet d'alléger les procédures administratives, de supprimer les tutelles des ministères chargés de l'outre-mer et du budget et d'accroître le rôle des autorités locales : les présidents des conseils généraux qui deviennent présidents des agences et, en tant que commissaires du Gouvernement, peuvent demander de nouvelles délibérations. Les quatre ADI disposent aujourd'hui de 428 emplois permanents et sont les employeurs uniques des bénéficiaires du RMI recrutés en contrats d'insertion par l'activité (CIA). Le budget des ADI regroupe : - une participation financière de l'Etat, comportant la contrepartie de l'allocation du RMI pour les bénéficiaires d'un CIA ; - une participation financière du département qui correspond au moins à 20 % du montant des sommes versées par l'Etat au titre de l'allocation du RMI, déduction faite des 3,75 % consacrés à la couverture complémentaire de la sécurité sociale. Ces crédits ont représenté 72,12 millions d'euros en 2001 ; - la participation du FEDOM au financement des CIA ; - la contribution financière des utilisateurs auprès desquels l'agence place des personnes en CIA. |
En maintenant la compensation de cette créance, l'Etat organisait donc au profit des ADI un effet d'aubaine les conduisant à bénéficier à la fois d'une augmentation de la dotation du département et d'une compensation supplémentaire qui n'a plus lieu d'être. A titre d'illustration, les fonds de roulement des ADI correspondent à quatre années de créance de proratisation (soit 120 millions d'euros) 5 ( * ) .
De fait, la future législation devra accorder une attention particulière à la politique d'insertion et à sa déclinaison locale.
L'Etat a, sur ce point, un rôle à jouer par le biais d'une redéfinition voire d'une extension des critères d'utilisation de ces fonds en liaison avec les ADI. Il peut ainsi leur permettre d'élargir le panel d'outils d'accompagnement mobilisés en faveur des p opulations bénéficiaires du RMI, tels que la prévention et l'animation des jeunes en difficulté, la santé des plus démunis ou l'accompagnement des familles dans le cadre de la gestion du budget. Autant de pistes qui doivent être valorisées afin d'insérer durablement ces populations.
C'est pourquoi, votre commission a souhaité ici souligner les risques d'effets pervers d'une rigueur budgétaire excessive qui pourrait restreindre la portée d'une politique d'insertion qui se veut ambitieuse et globale.
* 4 La première mission effectuée à la Réunion par Mme Claire Brisset a fait l'objet d'un rapport remis au Président de la République en 2001. Le compte rendu de la seconde mission en Guyane est paru le 20 novembre 2002.
* 5 Les fonds de roulement des ADI se répartissent, entre les quatre départements, comme suit :
la Réunion : 68,7 millions d'euros
Guadeloupe : 21,3millions d'euros
Martinique : 22,8 millions d'euros
Guyane : 6,95 millions d'euros