B. LES CRÉDITS D'ACQUISITION : L'ETAT EST-IL ENCORE CAPABLE DE CONTRIBUER À L'ENRICHISSEMENT DES COLLECTIONS NATIONALES ?
1. Les acquisitions des musées nationaux : vers une réforme de la Réunion des musées nationaux
• Les impératifs de la protection du patrimoine national
Les débats auxquels a donné lieu la loi du 5 janvier 2002 relative aux musées de France ont été à nouveau l'occasion de souligner l'étroitesse des marges de manoeuvre dont disposent les musées pour mener à bien une politique d'acquisition ambitieuse.
La nécessité de cette politique apparaît aujourd'hui avec d'autant plus d'acuité qu'il s'agit du seul moyen dont dispose l'Etat pour assurer l'efficacité du dispositif de protection du patrimoine national.
Le tableau ci-après retrace l'origine des crédits d'acquisition depuis 1990.
ÉVOLUTION DES CRÉDITS D'ACQUISITION
DESTINÉS AUX MUSÉES NATIONAUX
(au 1
er
novembre
2002)
(en francs et en euros )
ANNÉE |
SUBVENTIONS ÉTAT |
CRÉDITS RMN |
TOTAL |
||||
Subvention annuelle Chapitre 43-92
|
Fonds du patrimoine Chapitre 43-92
|
Autres (1) |
Dotation RMN sur fonds propres |
Dons et legs affectés Chapitre 657-3 |
« Mécénat » Chapitre 657-4 |
||
1990 |
29,7 |
22,9 |
0,60 |
47,7 |
38,0 |
2,9 |
141,8 |
1991 |
16,5 |
8,40 |
0,50 |
46,4 |
1,6 |
2,6 |
76,0 |
1992 |
32,72 |
11 |
0,61 |
57,64 |
18,47 |
5,33 |
125,77 |
1993 |
16,56 |
1,50 |
0,30 |
40,55 |
3,81 |
7,04 |
69,76 |
1994 |
14,26 |
15 |
0,62 |
77,29 |
20,42 |
11,72 |
139,31 |
1995 |
7,28 |
9,3 |
0,20 |
55,0 |
6,3 |
9,7 |
87,6 |
1996 |
6,05 |
36,20 |
0,00 |
43,62 |
0,95 |
7,79 |
94,61 |
1997 |
7,87 |
55,75 |
0,05 |
26,51 |
37,13 |
14,87 |
142,18 |
1998 |
11,87 |
74,23 |
0,5 |
54,5 |
15,5 |
16,26 |
172,86 |
1999 |
11,87 |
59,46 |
0,8 |
48,01 |
30 ,58 |
24,29 |
145,01 |
2000 |
11,87 |
36,99 |
- |
52 |
41,31 |
11,33 |
153,5 |
2001 |
11,87 |
35,4 |
- |
42,1 |
21,14 |
12,7 |
122,58 |
2002 (2) |
11,87
|
26,70
|
0,3
|
46
|
4,72
|
7,02
|
96,61
|
(1) Commission nationale de la photographie.
(2)
Chiffres provisoires établis sur le premier semestre 2002.
Au cours des dernières années, l'origine du financement des acquisitions des musées nationaux a été sensiblement modifiée. En effet, les difficultés financières rencontrées par la RMN, qui, jusqu'au milieu des années 1990, contribuait pour moitié aux acquisitions, l'ont conduite à réduire sa participation, contraignant l'Etat à prendre le relais par le biais de son versement à la RMN (chapitre 43-92 article 30) et de manière plus significative -quoique variable selon les années- à travers le fonds du patrimoine (chapitre 43-92 article 60).
On observe ainsi une érosion continue depuis 1998 du montant total des crédits d'acquisition qui sont passés de 31,25 millions d'euros en 1998 à 18,6 millions d'euros en 2001.
Cette évolution s'explique par l'incapacité de l'Etat à compenser la diminution de la contribution de la RMN. La subvention annuelle versée par l'Etat à la RMN est restée stable, son accroissement résultant en 2000 et 2001 de la compensation, à hauteur de 1,52 million d'euros, de la perte de recettes résultant pour cet établissement public de la mesure de gratuité instaurée chaque premier dimanche du mois dans les musées nationaux.
Le projet de budget pour 2003, s'il ne prévoit pas d'accroissement de la subvention versée par l'Etat à la RMN qui reste fixée à 3,35 millions d'euros (y compris compensation de la gratuité), comporte une mesure nouvelle de 1,52 million d'euros au profit du fonds du patrimoine ce qui représente une augmentation de 10 % de sa dotation. Il est à souhaiter que cette évolution conjuguée à l'achèvement du programme d'acquisitions pour le futur musée du quai Branly permette d'assouplir la contrainte budgétaire pesant sur les budgets d'acquisition des musées nationaux. Votre rapporteur rappellera que le rapport de septembre 2001 de l'Inspection générale des finances sur les moyens d'acquisition d'oeuvres d'art par l'Etat, qui déplorait également le saupoudrage présidant à l'utilisation des crédits du fonds du patrimoine, avait proposé non seulement d'accroître leur montant mais également de constituer en leur sein une « réserve » pour les trésors nationaux, réserve qui aurait pu être reportée d'une année sur l'autre afin de faire face à des achats d'un montant très élevé.
Les sommes nécessaires à l'acquisition des trésors nationaux varient en effet de manière très sensible d'une année sur l'autre. Ainsi, la valeur totale estimée des oeuvres faisant l'objet d'un refus de certificat expirant en 2002 s'élevait à 8,22 millions d'euros alors qu'en 2003, la valeur des oeuvres susceptibles d'être exportées à l'échéance d'un refus de certificat représentent près de 32 millions d'euros. On notera parmi les chefs d'oeuvres concernés deux oeuvres de Fragonard et une oeuvre de Monet.
Si les améliorations apportées par la loi du 10 juillet 2000 au dispositif de la loi du 31 décembre 1992 pour instaurer une procédure d'acquisition, ont permis d'éviter le cas absurde où l'Etat, alors même qu'il disposerait des crédits nécessaires, ne pourrait acheter le bien en raison du refus du propriétaire de vendre, ne l'a pas rendu pour autant plus opérant faute pour le ministère de la culture d'avoir su dégager les moyens nécessaires.
Ce constat est d'autant plus affligeant que les refus de certificat ne sont décidés qu'avec parcimonie et ne frappent qu'un nombre restreint de biens. Entre le 1 er janvier 1993 et le 1 er juillet 2002, seulement 109 oeuvres ont fait l'objet d'une telle décision alors que sur la même période le ministère de la culture a délivré près de 29 000 certificats.
Sur ces 109 oeuvres :
- 44 ont été acquises pour les collections publiques et 9 devraient l'être prochainement, dont 7 dans le cadre de la procédure prévue par la loi du 10 juillet 2000. La valeur de ces acquisitions s'élève à 51,70 millions d'euros, financée pour 31,08 millions d'euros par l'Etat ou ses établissements publics ;
- 2 oeuvres ont été classées au titre des monuments historiques ;
- 15 oeuvres ont finalement reçu le certificat sans que l'Etat ait pu les acquérir ;
- 13 oeuvres n'ont fait l'objet d'aucune nouvelle demande de certificat après l'arrivée à échéance du refus de délivrance du certificat d'exportation ;
- 26 oeuvres sont toujours soumises à une interdiction d'exportation.
Face à ce constat, il apparaît nécessaire à la fois de restaurer les capacités de la RMN à contribuer au financement des acquisitions des musées nationaux mais également de développer les recettes du mécénat, qui jusqu'ici ont constitué une précieuse variable d'ajustement.
• Vers une réorganisation de la RMN ?
La conduite du plan de redressement de la RMN élaboré en 1997 a été compromise par la diminution de la fréquentation des musées nationaux à la suite des mouvements sociaux de mai et juin 1999 puis des attentats du 11 septembre 2001.
On rappellera que ce plan comportait deux objectifs : d'une part, la reconstitution sur la période 1997-1999 des réserves de l'établissement et de son fonds de roulement à leur niveau de 1993 et, d'autre part, le retour à l'équilibre de l'activité commerciale. Parallèlement, il était prévu de doter la RMN des outils comptables et budgétaires nécessaires à la maîtrise de sa gestion.
L'amélioration de la situation financière de l'établissement obtenue dès 1997 et 1998, au détriment cependant des acquisitions et des investissements, s'est traduite notamment par l'équilibre financier du secteur éditorial et commercial et a permis en 1999 à la RMN d'augmenter sa capacité d'investissement alors même que la tendance de la fréquentation était orientée à la baisse en raison de la fermeture de l'Orangerie.
Cependant, ces résultats ont été remis en cause dès l'année 2000 en raison de l'aggravation du déficit des expositions et du retard pris dans la réouverture de certains musées qui ont imposé, d'une part, une augmentation des tarifs des droits d'entrée et, d'autre part, un nouvel ajustement à la baisse des dépenses d'acquisition.
Le budget 2002 a été établi alors que les chiffres de l'exercice 2001 n'étaient pas encore disponibles. Pour tenir compte des conséquences des événements du 11 septembre, a été retenue une hypothèse d'une diminution de 10 % de l'activité globale des musées nationaux sur le premier semestre 2002 ; par ailleurs, il a été tenu compte du retard pris dans la réalisation des travaux du musée d'Orsay qui entraînait une perte de 1,52 million d'euros sur les droits d'entrée et le chiffre d'affaires des services éditoriaux et commerciaux. Ces différents éléments ont conduit à anticiper un déficit global de 5,5 millions d'euros pour 2002, qui a été revu à la hausse en mars 2002 une fois arrêtés les mauvais résultats de l'année 2001.
Cette nouvelle dégradation des comptes de l'établissement public a conduit le conseil d'administration à adopter un plan d'économies et de reports d'investissements. Par ailleurs, à la demande du ministère de l'économie et des finances, la RMN a engagé un audit des services éditoriaux et commerciaux, secteur dont la profitabilité a été durement obérée par les événements de 2001.
Ce plan de redressement, examiné et voté par le conseil d'administration du 27 juin 2002, a fixé à 3,5 millions d'euros l'objectif de résultat d'exploitation pour 2003, contre un déficit de 2,9 millions d'euros anticipé par le budget modifié de 2002.
Pour parvenir à ce résultat, a été arrêtée une stratégie de réduction des coûts, notamment grâce à un meilleur contrôle de l'évolution de la masse salariale et à une diminution ou à l'annulation d'investissements non immédiatement rentables. Les services éditoriaux et commerciaux sont particulièrement concernés : ainsi la RMN a entrepris de revoir sa présence sur certains sites, soit en renégociant les conditions de son activité, soit en se retirant purement et simplement après redéploiements de ses personnels. Mais est également touché le secteur des expositions dont le déficit a été fixé à 3,81 millions d'euros en 2003 et 1,83 million d'euros en 2004, contre 6,86 millions d'euros en moyenne en 2001 et 2003, années marquées par une baisse de la fréquentation qui ne s'était pas accompagnée d'une baisse corrélative des dépenses.
Si ces mesures de nature conjoncturelle permettent de rétablir provisoirement la situation financière à la fin de l'année 2003, seules des réformes structurelles permettront de redonner les moyens à la RMN de remplir dans de bonnes conditions les missions de service public qui lui sont assignées.
Les premières orientations en ce domaine rejoignent certaines des propositions formulées dans le rapport précité de l'Inspection générale des finances. Ces orientations s'inscrivent dans un projet de réforme de grande envergure du statut des musées nationaux destinée à étendre le statut d'établissement public à des institutions comme le musée d'Orsay et le musée Guimet.
Cette réforme devrait s'accompagner d'une refonte du système de mutualisation sur lequel repose le fonctionnement de la RMN. D'après les éléments communiqués par le ministère de la culture, « selon des modalités et un calendrier à convenir, les établissements publics administratifs du Louvre et de Versailles, ainsi que les musées qui seront érigés en établissement public administratif, cesseront de reverser tout ou partie de leurs recettes à la RMN. A périmètre constant, la RMN recevra des subventions de l'Etat pour un montant équivalent aux pertes de financement constatées, les subventions de l'Etat aux établissements publics étant diminuées à due concurrence ».
En ce qui concerne les secteurs éditoriaux et commerciaux, la RMN devrait demeurer le principal mais non le seul partenaire des musées nationaux, qui pourront en ce domaine conduire des actions autonomes.
Votre rapporteur se félicite de ces orientations qui traduisent une prise de conscience salutaire des difficultés posées par une extension mal maîtrisée des missions de la RMN et une volonté bienvenue de moderniser les statuts des grandes institutions muséographiques, jusqu'ici encore soumises à la tutelle étroite de l'administration centrale.
Toutefois, cette réforme pose la question de la pérennité même de la RMN, et plus particulièrement de sa mission première qui est d'acquérir des oeuvres. On peut en effet légitimement se demander si la substitution au reversement des droits d'entrée d'une subvention de l'Etat ne remet pas en cause à terme cette mission qui serait assumée, d'une part directement par les grands musées pour leur propre compte grâce à leurs ressources propres qu'ils maîtrisent pour partie, et, d'autre part, par l'Etat pour les institutions plus modestes sur des crédits budgétaires dont la revalorisation au fil des ans n'est pas garantie.
Votre rapporteur examinera avec vigilance les suites données à ces projets de réforme qui, certes, correspondent à un souci louable de réorganisation administrative mais ne garantissent pas en eux-mêmes un renforcement des moyens d'acquisitions des musées.
• Les ressources incertaines du mécénat ?
Dans ce contexte, la principale variable d'ajustement réside dans les ressources dégagées par le mécénat.
Cette considération a conduit le Sénat lors de l'examen de la loi relative aux musées de France à adopter deux dispositifs visant à inciter les entreprises à contribuer à l'acquisition de trésors nationaux, devenus respectivement les articles 238 bis 0A et 238 bis AB du code général des impôts.
Ces dispositifs prévoient que les entreprises imposées à l'impôt sur les sociétés peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt égale à 90 % des dons effectués à l'Etat pour l'achat d'un trésor national. Le taux de cette réduction n'est que de 40 % lorsque l'entreprise achète elle-même une telle oeuvre ; dans ce cas, l'entreprise doit accepter le classement de l'oeuvre au titre des monuments historiques afin que son exportation soit rendue impossible et la déposer pendant un délai de dix ans dans un musée de France.
Le décret n° 2002-754 du 2 mai 2002 a précisé les modalités d'application de ces dispositions. Pour l'heure, ces procédures n'ont jamais encore été appliquées.
Votre rapporteur souligne que leur efficacité dépendra de la capacité des entreprises à dégager des sommes en faveur de telles opérations de mécénat, ce qui n'est pas forcément évident dans un contexte économique difficile, mais également de la faculté des services du ministère et des responsables de musées à mobiliser les entreprises autour de cette cause.
D'après les dernières statistiques collectées par l'ADMICAL (association pour le développement du mécénat industriel et commercial), l'année 2000 s'est caractérisée par une croissance du mécénat d'entreprise dans le domaine de la culture : on recensait en 2000 près de 1 200 entreprises mécènes, contre 1 000 en 1996 et 1 100 en 1998 ; 2 800 actions de mécénat culturel ont été effectuées par les entreprises en 2000, contre 2 650 en 1996 et 2 700 en 1988. Le montant des actions financées au titre du mécénat culturel s'est corrélativement accru, atteignant 198 millions d'euros en 2000 contre 170 millions d'euros en 1996 et 191 millions d'euros en 1998.
Au-delà de ces chiffres encourageants, on relèvera que les entreprises s'orientent de plus en plus vers un mécénat d'initiatives que vers un mécénat de contribution et que le mécénat n'est plus réservé aux grandes entreprises, les petites et moyennes entreprises représentant désormais plus de la moitié des acteurs du mécénat culturel.
En ce qui concerne les secteurs soutenus, la musique arrive en tête (29 % des actions), devant les arts plastiques et les musées (21 %). On regrettera la faible part réservée au patrimoine (7 %).
Le développement du mécénat -considéré par le ministre comme un des chantiers de la législature- doit contribuer à accroître les marges de manoeuvre dont disposent les institutions culturelles -et en particulier les musées- pour accomplir leurs missions mais ne peut cependant se substituer à l'engagement des collectivités publiques.