II. LES ORIENTATIONS EN FAVEUR D'UNE POLITIQUE DE RENOUVELLEMENT URBAIN CONFORTÉES PAR LE COMITÉ INTERMINISTÉRIEL DES VILLES DU 1ER OCTOBRE 2001
Depuis 1999, le Gouvernement a confirmé à plusieurs reprises son intention de renouveler en profondeur le paysage urbain.
A. LA PREMIÈRE ÉTAPE DU COMITÉ INTERMINISTÉRIEL DU 14 DÉCEMBRE 1999
Clarifiant les options déjà envisagées par le Gouvernement en matière de politique de la ville, le Comité interministériel du 14 décembre 1999 a privilégié deux types d'interventions inscrites dans les contrats de ville : les grands projets de ville (GPV) et les opérations de renouvellement urbain (ORU).
1. Les grands projets de ville
Les
grands projets de ville
(GPV), au nombre de 50 -qui s'inscrivent dans la
lignée des grands projets urbains (GPU), lancés par
Mme Simone Veil en 1993- ont pour objet de réaliser des
opérations lourdes de requalification urbaine, afin de
réinsérer un ou plusieurs quartiers dans leur
agglomération, dans le cadre d'un projet global de développement
social et urbain. Il s'agit de marquer, en profondeur et de manière
durable, l'image et la perception d'un quartier, grâce à des
opérations de restructuration du bâti, d'amélioration de
l'environnement et de désenclavement des quartiers, et à des
actions de revitalisation et de valorisation sociale.
Une enveloppe spécifique de 760 millions d'euros doit être
dégagée jusqu'à 2006 pour le programme national de
renouvellement urbain qui viendra compléter les 180 millions
d'euros déjà contractualisé dans les contrats de plan
Etat-Régions.
La conduite du projet est organisée autour d'un pilotage politique, d'un
pilotage technique et d'une direction de projet. Cette organisation, pour
être pleinement opérationnelle, doit être
institutionnalisée sous une forme juridique claire, dédiée
au GPV, et pérenne lui donnant une stabilité dans le temps
au-delà des changements d'acteurs. Le groupement d'intérêt
public (GIP) est la formule juridique qui a majoritairement été
retenue dans les différentes propositions de GPV. Votre rapporteur
déplore néanmoins qu'une trop grande partie des frais de
fonctionnement des GIP et GPV incombe aux communes.
Les grands projets de ville, qui devaient être opérationnels
à partir de 2001, doivent faire l'objet d'avenants aux contrats de ville.
A la fin du mois de juillet dernier, 35 conventions étaient
signées et 9, déjà élaborées, devaient
l'être avant la fin de l'année.
Or, le présent budget ne propose que 4,4 millions d'euros
supplémentaires en crédits de paiement pour la ligne
budgétaire aujourd'hui commune aux GPV et aux ORU.
2. Les opérations de renouvellement urbain
Les
opérations de renouvellement urbain
(ORU),
initialement au
nombre de 30, comportent des opérations d'investissement
financées par les villes concernées et bénéficiant
d'un appui renforcé de l'Etat, notamment grâce à des
prêts à taux d'intérêt réduit.
L'objectif est de parvenir à une recomposition des équilibres
urbains et à une revalorisation des territoires par une
« transformation lourde » de certains quartiers à
partir d'opérations de démolition de grande ampleur, une offre
nouvelle de logements sociaux et une meilleure gestion urbaine de
proximité.
Les ORU devaient bénéficier de crédits d'investissement
spécifiques non contractualisés sur le budget de l'Etat à
hauteur de 107 millions d'euros sur la période 2000-2006 ainsi
qu'une enveloppe de 1,52 milliard d'euros de prêts
« renouvellement urbain » (PRU) mise en place par la Caisse
des dépôts et consignations à un taux de 3 %. Votre
rapporteur souhaite à ce titre que les moyens libérés au
titre des PRU et des GPV soient répartis avec un souci
d'équité.
De 30 communes initialement, le dispositif a donc été
étendu par le Comité interministériel du
1
er
octobre dernier à 30 nouvelles communes, ce qui
double la cible initiale.
Or, à la fin du mois de juillet dernier, seules 11 conventions sur
30 avaient été signées et communiquées à la
Délégation interministérielle à la ville (DIV).
C'est dans un contexte de mise en place des premiers instruments que le
Gouvernement a annoncé un plan en faveur de la réhabilitation des
quartiers.
B. LE COMITÉ INTERMINISTÉRIEL DES VILLES DU 1ER OCTOBRE 2001 : DES MOYENS EN APPARENCE MASSIFS POUR LA RÉHABILITATION DES QUARTIERS
Sous un intitulé médiatique, « tourner la page des cités dortoirs », le Gouvernement a annoncé lors de ce comité un quadruple renforcement du programme de réhabilitation des quartiers.
1. Une démarche ambitieuse ?
Lors de
ce Comité interministériel, le Gouvernement a proposé un
plan mettant en convergence la politique de la ville et celle du logement.
Afin de «
tourner la page des cités
dortoirs
», le Gouvernement propose quatre axes essentiels.
L'accélération des programmes de démolitions
reconstructions datait déjà de la signature, en octobre 1998,
d'une circulaire commune par MM. Claude Bartolone et Louis Besson,
demandant aux services de l'Etat de faciliter les procédures de
destructions des grands ensembles. Les objectifs fixés pour 2001,
à savoir 10.000 logements démolis, ont été
atteints. En 2002, le Gouvernement se fixe un objectif de 15.000 destructions
pour atteindre par la suite, un rythme annuel de 30.000 logements
démolis.
Le Gouvernement propose par ailleurs de nouvelles opérations de
renouvellement urbain en désignant 30 nouveaux sites prioritaires.
Les projets de 9 villes
6(
*
)
situées dans les agglomérations d'un grand projet de ville ont
par ailleurs été retenus.
En troisième lieu, le Comité interministériel a
annoncé des opérations de grands travaux de villes pour
désenclaver les quartiers, afin de restaurer l'accessibilité de
ces zones.
Dans son 7
e
rapport annuel
7(
*
)
(2001), le Haut Comité pour le
logement des personnes défavorisées rappelle que dans de
nombreuses zones, lors de la phase d'expansion du logement social (1950-1977),
la construction de logement était subordonnée à des
impératifs quantitatifs et «
dépourvus de services
liés au logement (transport, services publics, commerces, espaces de
vie...)
».
Le Haut Comité constate que depuis le début des années
1990, «
l'éloignement des quartiers du centre ville et de
ses services va entraîner des phénomènes de
relégation, de zones en difficultés (politique des quartiers,
zones urbaines sensibles)
».
Dans ce contexte, des aménagements de voiries ou d'infrastructures de
transport existantes, la réalisation de franchissements ou de nouveaux
axes de desserte sont utiles pour réintégrer les quartiers au
sein de leurs agglomérations.
Enfin, le Gouvernement a annoncé un programme de rénovation des
copropriétés dégradées, engageant un plan de
sauvegarde concernant 21.000 logements.
Afin de financer ce programme, le Comité interministériel propose
1,52 milliard d'euros de subventions nouvelles d'ici 2006, notamment inscrites
dans le budget des ministères de la ville et du logement auxquelles
s'ajoutent 3,8 milliards d'euros de prêts à taux réduit,
1,52 milliard d'euros à 4,2 % et 2,3 milliards d'euros à 3,5
%.
A cette annonce, le Gouvernement ajoute la mobilisation, sur la période
2002-2006, du 1 % logement, à hauteur de 4,57 milliards
d'euros, 2,3 milliards d'euros pour l'objectif de
30.000 démolitions et 2,3 milliards d'euros pour la construction de
10.000 logements supplémentaires par an.
Le contenu du projet de budget pour 2002 prévoit bien la mobilisation du
1 % à hauteur de 430 millions d'euros (2,8 milliards de francs), en
recettes, mais votre rapporteur ne constate pas l'augmentation des moyens des
ministères concernés tels qu'annoncés.
S'agirait-il d'un plan de financement trompe-l'oeil ?
2. Une démarche limitée ?
a) Un effort financier en trompe-l'oeil ?
Lors du
débat relatif à la mobilisation du 1 % logement, à
l'Assemblée nationale, M. Gilles Carrez déclarait :
« Des discussions approfondies ont été menées
pendant l'été avec les partenaires sociaux du 1 % logement.
Autrement dit, l'UESL a accepté de se faire plumer de
2,8 milliards.
«
Avis aux initiés de l'UESL. A quoi tout cet argent est-il
destiné ? Il doit aider à conduire des actions en
matière de politique de la ville. Souvenez-vous : on a vu, fin
septembre, le ministre de la ville, M. Bartolone, annoncer triomphant que la
politique de la ville allait être dotée de 35 milliards de
plus.
«
Regardons-y de plus près. Le bon peuple extasié ne
sait pas que, sur ces 35 milliards, on compte déjà
25 milliards de prêts. Cela vient, je pense, de la Caisse des
dépôts et consignations... des prêts bonifiés. Le
reste, une dizaine de milliards, est étalé sur cinq ans, ce qui
fait deux à trois milliards par an. On pourrait imaginer que l'Etat va
consentir un effort de deux à trois milliards par an. Pas du tout !
Il va chercher l'argent dans la poche des autres, en l'occurrence dans le
1 %. Et cela lui servira à détruire des logements sociaux.
Je ne conteste pas que, dans le cadre de la politique de la ville, on ait
besoin de dynamiter des tours, des barres construites dans les années 60
et où nos compatriotes ne veulent plus habiter. Mais il s'agit d'une
politique d'Etat, qui ne devrait en aucun cas être financée par le
1 %. Le 1 % doit servir à la construction sociale, qu'elle
soit en accession à la propriété ou en locatif. Il y a
donc bien là un détournement de fonds.
»
Qu'en est-il ?
Votre rapporteur constate en premier lieu que l'analyse faite par
M. Gilles Carrez corrobore les craintes énoncées plus haut,
à savoir d'une politique de la ville entièrement
débudgétisée.
Sans doute l'intervention du 1 % logement dans le renouvellement urbain,
avec comme contrepartie un rôle accru en matière de construction
sociale ne va pas sans difficulté, notamment pour les organismes HLM.
Mais, la première contribution versée à l'Etat
8(
*
)
en 2002, s'élève
à 430 millions d'euros (2,8 milliards de francs). La
convention du 11 octobre dernier, signée entre l'UESL et l'Etat,
qui justifie l'inscription de ce versement en loi de finances, stipule
que : «
pour tenir compte de la montée en puissance de
ces actions nouvelles, le 1 % logement apportera un financement à
hauteur de
2,8 milliards de francs au titre de 2002 pour faciliter la
conduite d'actions concourant au renouvellement urbain
(en
particulier : aménagement urbain en GPV et ORU ; actions de
démolition, de sécurisation des ensembles HLM et
d'amélioration de la qualité de service dans les quartiers ;
accession à la propriété bénéficiant d'une
aide à la pierre ciblée dans les quartiers en
difficulté ; réalisation de logements locatifs sociaux mieux
financés pour accompagner les démolitions, actions en faveur des
copropriétés dégradées...). Ce financement se fera
par versement au budget général de l'Etat selon les
modalités qui devront être précisées dans la
convention d'application.
»
Or, aucune inscription nouvelle n'est enregistrée en loi de finances
pour les GPV et les ORU.
Mme Françoise Henneron, rapporteur de votre commission pour les
crédits du logement social a, pour sa part, constaté que les
crédits consacrés au logement diminuent.
Le prélèvement réalisé par l'Etat sur les fonds de
l'UESL correspond à la totalité de l'effort ville en faveur du
renouvellement urbain et alimente pour l'essentiel les recettes
générales du budget.
Votre rapporteur ne souhaite pas présumer des moyens qui seront
consacrés à l'avenir par l'Etat aux projets annoncés lors
du dernier Comité interministériel des villes mais il constate
que, pour 2002, le Gouvernement n'y prévoit pas d'enveloppe et
détourne vers d'autres usages les fonds du 1 % logement
prélevés pour être affectés à ces actions.
b) Une approche parcellaire
Le
Gouvernement assigne à son projet l'objectif d'éliminer les
« cités dortoirs ». Or, les mesures proposées
ne touchent pas à l'essentiel.
En effet, les « cités dortoirs » sont nées de
politiques de la ville qui ont organisé une ségrégation
entre lieu de travail et lieu d'habitat.
Cette ségrégation s'est d'ailleurs accrue avec le temps, et
notamment lors de la crise des années 1970 et au cours des années
1980.
La paupérisation des publics logés dans ces zones s'aggrave. Les
habitants des cités sont confrontés à un taux de
chômage deux à trois fois supérieur à la moyenne
nationale.
Le renouvellement des quartiers dégradés ne mettra fin aux
« cités dortoirs » que si l'activité
économique y est réimplantée.
Si les projets proposés présentent un véritable
intérêt dans le domaine du paysage urbain -encore faut-il que le
Gouvernement « ne mange pas le blé en herbe » en
affectant à d'autres usages les fonds qui leur sont destinés-
ceux proposés en revanche en matière de développement
économique et de lutte contre le chômage ne présentent pas,
en l'état, de garanties de succès.