III. L'AVENIR DU CONSERVATOIRE DU LITTORAL
Le
Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a été
créé par la loi du 10 juillet 1975.
Celle-ci lui a conféré le statut d'établissement public de
l'Etat à caractère administratif, et lui a donné pour
mission de mener, après avis des conseils municipaux
intéressés, une politique foncière de sauvegarde de
l'espace littoral et de respect des sites naturels et de l'équilibre
écologique.
Le Conservatoire a élaboré une stratégie à long
terme qui s'appuie sur un inventaire exhaustif des sites naturels remarquables
le long du littoral, correspondant à ses critères d'intervention.
Cette stratégie a été approuvée par le Gouvernement
et présentée au Président de la République en
juillet 1995. Elle conduit à prévoir la maîtrise
foncière de 200 000 hectares en bord de mer, de façon
à contribuer à l'objectif de la protection du tiers du littoral
français.
Toutefois, ces dernières années ont été
marquées par la multiplication de difficultés de nature
juridique, institutionnelle et administrative, rencontrées plus
particulièrement dans l'exercice, par le Conservatoire, de ses
responsabilités de propriétaires.
Ces difficultés sont liées, en particulier, à l'extension
qu'a pris, au fil des ans, le patrimoine du Conservatoire, sans que les moyens
dont il dispose aient progressé dans la même proportion. Au
1
er
janvier 2001, ce patrimoine s'étendait
sur 851 kilomètres de rivage, et couvrait près
de 64 000 hectares, répartis entre 476 sites.
Face à ces difficultés, le Premier ministre a confié
à notre collègue, M. Louis Le Pensec, une mission
de réflexion sur le Conservatoire du littoral, en l'invitant plus
particulièrement à formuler des propositions sur une
« définition modernisée et élargie de ses
missions », sur les adaptations législatives ou
réglementaires que celle-ci pourrait nécessiter, et sur
l'amélioration du dispositif de conventionnement mis en place pour la
gestion des sites.
M. Le Pensec a déposé son rapport
le 20 juillet 2001 et votre rapporteur se propose d'en
résumer les principales orientations.
A. UN OUTIL EFFICACE AU SERVICE DE LA PROTECTION DU LITTORAL
1. Des missions à renforcer
Le
rapport part du constat que la mission confiée au Conservatoire fait
aujourd'hui l'objet d'un consensus remarquable. Celui-ci repose sur la
conviction que le patrimoine littoral est un capital de richesses et
d'agrément qui appartient à la collectivité tout
entière et dont la protection est une prérogative de puissance
publique.
Le Conservatoire apparaît comme un outil approprié dans la
conduite de cette mission : il n'apparaît pas comme un
démembrement de l'administration, mais plutôt comme un organisme
exerçant une mission au service de la Nation.
Le Conservatoire a su, en outre, établir avec les collectivités
territoriales un partenariat de qualité et d'ampleur exceptionnelles, en
s'appuyant sur des « conseils de rivages » composés
d'élus des départements et des régions, institués
pour chacune des façades maritimes et des lacs, et dotés d'un
rôle consultatif.
Enfin, le Conservatoire a su intervenir de façon
différenciée selon la nature des espaces, organisant lorsqu'il
est possible, un accès au public qui lui permet d'accueillir chaque
année 15 millions de visiteurs.
Le rapport estime nécessaire de conforter, mais aussi de
réactualiser, la stratégie d'intervention du Conservatoire :
- il estime que l'objectif global de porter à 200 000
hectares son patrimoine reste pertinent, mais juge trop lointaine
l'échéance de 2 050 fixée en 1995 ;
- il ne propose pas d'élargir le champ de compétences
au-delà des rivages maritimes et lacustres, mais propose plutôt de
confier à une nouvelle structure spécifique la protection des
espaces sensibles intérieurs ;
- il incite le Conservatoire à porter une attention plus soutenue
à certains espaces comme les zones humides littorales, les lacs et le
littoral d'Outre-Mer.
Il propose en outre de lui confier un rôle central dans une gestion plus
cohérente du littoral.
Il dénonce les conséquences néfastes de
l'éclatement actuel des centres de décisions et de la
multiplicité des intervenants qui résulte de la distinction de la
partie maritime et de la partie terrestre du rivage, et préconise,
suivant les recommandations du Conseil de l'Europe et de la Commission
européenne, une gestion plus intégrée des zones
côtières, qui permettrait au Conservatoire d'intervenir aussi dans
les espaces naturels du domaine public maritime (DPM).
Il recommande en outre de raviver son rôle de conseil et de proposition.
Il propose à cette fin que le Conservatoire soit consulté sur
toutes les autorisations d'usage du domaine public maritime, au droit de ses
terrains, ainsi que sur l'élaboration des schémas de mise en
valeur de la mer et des schémas de cohérence territoriale.
Il suggère en outre de faciliter son action ponctuelle comme
opérateur pour la mise en oeuvre de programmes nationaux ou
communautaires tels LIFE ou Natura 2000.
2. La stratégie d'acquisition foncière
M. Le Pensec considère que l'acquisition des
terrains reste la procédure la plus efficace, car elle leur
confère une protection pérenne et active, alors que la
réglementation issue de la loi littoral du 3 janvier 1986
et les servitudes diverses n'offrent, dans le meilleur des cas, qu'une
protection passive.
Il évoque les différents modes d'acquisition pratiqués par
le Conservatoire : achat amiable (80 % des cas), expropriation
(3 %) ou
préemption
(17 %) indiquant que cette
dernière procédure devrait, à l'avenir, être
facilitée notamment :
- en créant un droit de préemption propre au Conservatoire
dans les espaces naturels littoraux, lorsque le département n'y a pas
instauré de périmètre de préemption au titre des
espaces naturels sensibles ;
- en permettant au Conservatoire de demander aux SAFER de préempter
pour la protection d'un espace relevant de son champ d'intervention ;
- en lui permettant de préempter en cas d'adjudication judiciaire
et de réaliser la préemption partielle d'un bien lorsqu'une
partie seulement est située dans un périmètre de
préemption.
Il propose également de favoriser les autres modes de maîtrise
foncière : dation en paiement, dons et legs, affectation au
Conservatoire de biens du domaine public de l'Etat, dispositif d'attribution
trentenaire de biens du domaine public de l'Etat au Conservatoire. Enfin, il
envisage de nouvelles formes de partenariat avec les propriétaires
privés d'espaces naturels.
B. LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉFORME D'ENVERGURE DES MODES DE GESTION
1. Les conditions actuelles de la gestion du patrimoine
La loi
de 1975 avait fait le choix de confier à d'autres personnes morales
que le Conservatoire la gestion de ses terrains, de façon à ce
que ce dernier reste un établissement léger, et à associer
les élus locaux à leur protection.
L'article L. 322-9 du code de l'environnement a donc disposé, en
conséquence, que « la gestion des immeubles dont le
Conservatoire est propriétaire ou affectataire est
réalisée par la voie de convention avec les collectivités
locales ou leurs groupements, les établissements publics ou les
fondations et associations spécialement agréées à
cet effet ou les exploitants agricoles ».
En pratique, deux tiers des sites sont couverts par une convention de gestion,
et sur les 146 conventions signées, 75 % l'ont
été par des communes, qui sont donc très présentes
dans le dispositif de gestion en cours.
Or, cette gestion est une tâche lourde et inégalement
assurée. Une étude de l'association « Rivages de
France » évaluait les dépenses consacrées
en 1998 par les gestionnaires pour la gestion des sites du Conservatoire
à 70 millions de francs, soit plus de la moitié du
coût des acquisitions réalisées la même année.
Ces charges ne donnent lieu ni à une compensation systématique ni
à une péréquation entre les collectivités
« protectrices » et les autres. En outre, le système
de convention ne permet pas au Conservatoire de bien contrôler le respect
des engagements conventionnels, et entraîne des lourdeurs dans le
contrôle des recettes, qui ont la qualité de recettes publiques.
Ce dispositif pourrait être allégé si chaque gestionnaire
adressait au Conservatoire un compte annuel des produits et charges par site.
Une
disposition législative
serait cependant nécessaire
pour autoriser cette proposition qui déroge aux règles
générales en matière de recettes publiques.
2. Les insuffisances du système actuel
Le
rapport considère tout d'abord que le Conservatoire n'a pas les moyens
d'assurer pleinement ses responsabilités de propriétaire.
Il rappelle tout d'abord que la charge d'aménagement croît plus
que proportionnellement à l'augmentation du patrimoine, et que les
autres charges -celles qui tiennent au suivi et au contrôle de la
gestion, ou à la sécurité et à la police des
rivages- sont, également, difficiles à assurer.
Or, le Conservatoire n'est pas doté des moyens adaptés à
l'exercice de ses responsabilités :
- les moyens humains et financiers dont il dispose pour conduire la
maîtrise d'ouvrage des travaux et le suivi de la gestion sont très
insuffisants ;
- certaines règles de la commande publique, qui s'imposent à
tout établissement public administratif de l'Etat, sont mal
adaptées à la dispersion des sites et des marchés
passés ;
- le partenariat avec les collectivités locales rend difficile la
mise en cohérence au niveau national.
Il considère, en outre, que le partenariat fructueux mis en place avec
les collectivités locales est aujourd'hui fragile et contesté.
Alors que la loi avait prévu de ne solliciter les collectivités
territoriales que pour la gestion des terrains, celles-ci sont aujourd'hui
impliquées directement ou indirectement dans le fonctionnement du
Conservatoire et dans ses missions d'acquisition, d'aménagement et de
suivi de la gestion. Mais les procédures instituées à
cette fin ne sont pas adaptées, et soulèvent dans certains cas
les critiques de la Cour des comptes.
C. LES MOYENS D'UNE NOUVELLE AMBITION
Le
rapport de M. Le Pensec envisage, pour remédier à ces
difficultés, trois séries de mesures : une refonte du
dispositif institutionnel, un étoffement des moyens humains, un
renforcement et une diversification des ressources financières.
Ces propositions ouvrent des pistes intéressantes et méritent
donc une réflexion approfondie et votre rapporteur interrogera le
gouvernement sur les analyses qu'elles lui inspirent et sur les suites qu'il
envisage, le cas échéant, de leur donner.
1. Une refonte du dispositif institutionnel
Pour
dépasser les limites de l'actuel système de gestion, le rapport
de M. Le Pensec propose une solution audacieuse et novatrice.
Cette solution repose sur la distinction de
trois niveaux de
compétences
:
- la stratégie d'acquisition foncière et la
détermination des grands principes et objectifs d'aménagement et
de gestion, qui doivent rester de la compétence du Conservatoire ;
- la gestion courante des sites, à l'autre extrémité,
qui doit rester de la compétence des collectivités publiques et
associatives, mais avec des moyens accrus ;
- entre les deux, la mise en oeuvre du programme d'aménagement et
du dispositif conventionnel, la maîtrise d'ouvrage des travaux et le
suivi de la gestion seraient confiés à une
structure
intermédiaire
.
Il propose de constituer celle-ci en s'appuyant sur les structures
existantes :
- les
conseils de rivages
, constitués d'un élu par
département et d'autant d'élus des régions qu'il y a
d'élus des départements, ont déjà vocation à
émettre des avis sur les orientations du Conservatoire, à
proposer un programme d'acquisitions et à donner un avis sur les
propositions particulières d'acquisitions ; ces conseils devraient
être portés de sept à neuf, de façon à leur
confier des zones plus homogènes, et être dotés de
nouvelles compétences et de
pouvoirs de décision
, à
un
niveau interrégional
: approbation des conventions de
gestion, d'usage et d'exploitation, approbation des plans de gestion et des
subventions éventuelles ;
- les
délégations du littoral
, dont l'autonomie et
les compétences seraient renforcées, seraient dotées d'un
nouveau statut.
Après avoir passé en revue différentes solutions,
M. Le Pensec estime que la formule la plus adaptée serait la
création d'une nouvelle forme d'établissements publics :
les établissements publics de l'Etat à compétence
territoriale limitée
. Ces établissements seraient
placés sous la tutelle du Conservatoire du littoral, qui jouerait le
rôle de tête de réseau, et ils seraient dirigés par
des conseils d'administration composés d'élus locaux : les
conseils de rivages.
Cette formule est novatrice et supposerait
l'intervention d'une loi
pour
créer cette nouvelle catégorie d'établissement public. Par
la suite, chacun des établissements pourrait être
créé par décret en Conseil d'Etat, après avis des
régions et départements intéressés.
2. Le renforcement des moyens humains.
Le
rapport juge indispensable une remise à niveau des moyens humains du
Conservatoire.
Il dénonce la faiblesse du nombre d'emplois budgétaires qui
entraîne le recours à des personnels de statuts divers et
instables. Ces emplois budgétaires n'ont en effet que doublé
entre 1980 et 2000, alors que dans le même temps, le nombre de
sites et d'hectares détenus par le Conservatoire avait été
multiplié par cinq.
Il appuie par ailleurs la demande formulée par le directeur du
Conservatoire de voir celui-ci inscrit sur la liste des établissements
publics autorisés par mesure dérogatoire à recruter des
contractuels.
Il propose en conséquence :
- un
doublement d'ici 2005 des moyens humains
à
répartir entre le Conservatoire national et les
délégations du littoral ;
- l'intégration progressive des agents sous statut précaire
par recrutement sur les emplois budgétaires créés ;
- l'approbation d'un statut interne du personnel ;
- dans l'attente des autres mesures, l'adoption d'un plan de consolidation
des emplois-jeunes.
3. Le renforcement et la diversification des ressources financières
Le
rapport réaffirme le principe d'un abondement principal par le budget de
l'Etat des acquisitions du Conservatoire. Celle-ci, qui est restée
stable depuis 1978, devrait être
doublée d'ici 2005
et
portée de 120 à 240 millions de francs, et
répartie à raison de 140 millions de francs pour le
Conservatoire et 100 millions de francs pour les
délégations.
Le nouveau cadre institutionnel devrait en outre permettre de donner un cadre
légal à la participation financière des
collectivités locales. L'implication des départements pourrait
être réalisée grâce à la taxe
départementale sur les espaces sensibles (TDENS). Cette taxe,
plafonnée à 2 % de la valeur de l'ensemble immobilier
sur lequel elle est assise, constitue une source de financement importante pour
la protection du littoral et rapporte 232 millions de francs par an
aux départements littoraux. Le rapport propose que les
départements soient autorisés explicitement à financer
leurs dotations aux délégations du littoral sur les ressources
issues de la TDENS, en portant le taux de cette taxe de 2
à 2,25 %.
Le rapport propose en outre d'autoriser les collectivités territoriales
qui réalisent des travaux sur les sites du Conservatoire à
récupérer la TVA, à l'instar des mesures
déjà prises, lorsque les collectivités se substituent
à l'Etat en matière de défense des côtes, ou pour
les monuments historiques.
Enfin, le rapport préconise d'instaurer une péréquation
régionale et nationale des ressources des collectivités selon
l'importance du patrimoine national qu'elles doivent entretenir et
gérer, ce qui, de l'avis de votre rapporteur, ne pourrait être
envisagé sans la réalisation d'évaluations et de
consultations préalables.
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* *
Ces
propositions ont le mérite d'être ambitieuses et d'ouvrir des
pistes intéressantes.
Toutefois, leur mise en oeuvre suppose l'adoption de
dispositions
législatives novatrices
qui méritent une réflexion
approfondie. En outre, leur
coût financier
n'est pas non plus
négligeable, particulièrement dans une période où
les pouvoirs publics doivent s'attacher à réduire la
dépense publique.
Votre rapporteur souhaite donc que les propositions contenues dans le rapport
de M. Le Pensec fassent l'objet d'un
débat élargi,
permettant la consultation des différentes parties
concernées
. Il mettra à profit la discussion des
crédits de l'environnement en 2002 pour interroger le ministre sur la
façon dont le gouvernement envisage de répondre à ces
propositions.
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* *