Dans le cadre du travail de suivi des politiques publiques de lutte contre les violences intrafamiliales entrepris depuis le début du confinement, la délégation aux droits des femmes a entendu, lundi 4 mai 2020, Maître Isabelle Steyer, avocate spécialisée dans la défense des victimes de violences conjugales.
Maître Steyer a exposé son combat pour que soit reconnue la "faute lourde" de l’État dans l’affaire de Grande Scynthe, qu’elle a qualifiée de "cauchemar judiciaire". La responsabilité de l’État dans ce triple assassinat a été engagée sur le fondement de l’article 141 du code de l’organisation judiciaire, a rappelé Maître Steyer qui a pointé les dysfonctionnements successifs des services de l’État : incompréhension de la gravité de la situation de la victime par les services de police lors du dépôt de plainte, défaillance dans le suivi du contrôle judiciaire de l’auteur des violences et absence de réactivité de la police au moment des assassinats.
Isabelle Steyer a souligné deux priorités à faire prévaloir dans l’approche judiciaire de la lutte contre les violences conjugales : d’une part, la prise en compte de la gravité des faits et du risque vital pour la victime au moment du dépôt de plainte afin de lutter contre la "disqualification" des plaintes pour violences conjugales ; d’autre part, la réactivité en temps réel des services de police et de justice dans le traitement pénal de la plainte.
La délégation aux droits des femmes a accueilli avec beaucoup d’intérêt toutes les propositions formulées par Maître Steyer pour remédier au manque de communication entre les différents acteurs de la chaîne judiciaire de lutte contre les violences conjugales :
- la mise en œuvre d’un protocole pour traiter les plaintes des victimes de violences, en superposant les délais de la procédure civile à ceux de la procédure pénale (délai de six jours entre le dépôt d’une plainte et la convocation de l’auteur des violences, inspiré de celui de la délivrance des ordonnances de protection depuis la loi du 29 décembre 2019) ;
- une meilleure connexion entre la police, le parquet et le juge civil qui devraient disposer des mêmes informations et travailler ensemble ;
- une amélioration du suivi du contrôle judiciaire par les policiers et gendarmes, qui devraient prendre systématiquement l’attache de la victime pour savoir comment se déroule le contrôle judiciaire avant de recevoir l’auteur des violences ;
- une distribution plus large des téléphones "grave danger" (la victime de Grande Scynthe n’en disposait pas, alors qu’elle recevait régulièrement des menaces de meurtre) ;
- la mise en place d’un parquet spécialisé dans les violences intrafamiliales, comme c’est déjà le cas en matière de terrorisme ;
- l’organisation de permanences des juges aux affaires familiales pendant le week-end, période que Maître Steyer a qualifiée de "mini confinement" tant il est propice aux violences
Interrogée par la délégation sur les nouvelles modalités de signalement des violences en période de confinement dans les pharmacies ou les centres commerciaux, Maître Steyer a jugé cette mesure intéressante, tout en alertant sur le danger que ces "systèmes bis" reviennent à occulter la nécessaire intervention de la police : "Il faut que la femme dépose plainte et qu’il y ait une réponse en temps réel", a-t-elle souligné, ce que n’a pas permis, selon elle, la fermeture de nombreux postes de police et de gendarmerie pendant le confinement. "Les pharmacies ne sont qu’un lieu d’expression. Elles ne doivent pas être le délestage d’une justice qui n’est pas en mesure de répondre aux victimes", a-t-elle fait valoir.
Sur la protection des témoins signalant des violences intrafamiliales, Maître Isabelle Steyer a noté que la loi permettait de garantir leur anonymat, le juge pouvant être le seul à avoir connaissance de leur identité.
Répondant à l’inquiétude exprimée par Annick Billon, présidente, sur le traitement judiciaire des plaintes pour violences intrafamiliales pendant et après le confinement, Isabelle Steyer a appelé à un large recours aux audiences par visioconférence pour accompagner les difficultés de la sortie du confinement.
Annick Billon, présidente, a rappelé l’importance qu’attache la délégation aux moyens qui doivent impérativement être consacrés à la lutte contre les violences intrafamiliales. "Les victimes méritent une vraie réponse de l’État ; toute carence de celui-ci dans le traitement de ces violences revient à donner raison aux auteurs de violences", a-t-elle conclu.
L’activité du Sénat se déroule dans le strict respect des conditions sanitaires dictées par la nécessité d’enrayer la pandémie du Covid-19.
Juliette ELIE
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