Service des Commissions - Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées
M. Federico Mayor expose devant les sénateurs
les ambitions de l'UNESCO
La commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le jeudi 20 novembre 1997 M. Federico Mayor, directeur général de l'UNESCO.
Le directeur général a tout d'abord rappelé les tâches imparties à l'organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, qui revenaient à bâtir la paix dans l'esprit des hommes en développant les idéaux de justice, de solidarité intellectuelle et morale et à favoriser la liberté d'expression et une éducation qui permettent à chacun de maîtriser son destin, à l'heure où se développent les sectes ou les extrémismes de toute nature.
Il a rappelé que l'une des responsabilités de l'UNESCO était de contribuer à la liberté de circulation des idées par les mots et par l'image, soulignant ainsi l'attention particulière qu'il convenait de porter aux outils de communication.
Le directeur général a souligné les avancées qu'avait permises la dernière conférence générale de l'UNESCO : elle avait été l'occasion de développer un message d'éthique, marqué notamment par l'adoption de la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme qui comportait des références, non plus seulement aux droits, mais aussi aux devoirs et aux responsabilités de chacun.
Puis, M. Federico Mayor a abordé les problèmes liés à la mondialisation, estimant que si ce phénomène était une donnée du siècle, il convenait néanmoins d'être en mesure de le maîtriser. Cette mondialisation, ou encore cette globalité, revêtait plusieurs aspects : économique avec la mondialisation des marchés, idéologique et politique avec la fin de la division du monde entre, d'une part, les partisans de la liberté et ceux de l'égalité, d'autre part ; surtout, la mondialisation de la communication devait être utilisée pour défendre les diversités et contrecarrer l'uniformisation culturelle.
Le directeur général de l'UNESCO a ensuite rappelé que, dès 1988, année de sa prise de fonctions, il avait voulu accorder une priorité à l'Afrique. En 1991, il avait, a-t-il précisé, organisé au siège de l'Organisation les assises de l'Afrique, soucieux qu'il était d'être à " l'écoute " de ce continent. Il s'agissait d'inverser une tendance consistant trop souvent, pour l'Occident, à imposer des modèles -économiques, sociaux et même éducatifs- sans prendre en compte les souhaits des Africains eux-mêmes. Ces assises avaient été une source d'enseignements précieux. M. Federico Mayor a cité en exemple les conditions d'appréciation de la richesse de tel ou tel pays africain : très souvent, ces richesses étaient exploitées et gérées par d'autres ; des ghettos existaient, qui cloisonnaient les sociétés étrangères d'un côté et les Africains de l'autre. L'éducation, effectuée tout au long de la vie, permettait d'inclure ceux qui, aujourd'hui, se trouvaient exclus du monde. M. Federico Mayor a exprimé sa conviction que " d'Afrique nous venait toujours quelque chose de nouveau ", grâce à une sagesse puisée à ses sources millénaires.
L'Afrique était un "continent à solutions " et non seulement une région à problèmes. L'UNESCO s'efforçait d'y instaurer la paix, le développement, la démocratie, trois notions étroitement interdépendantes.
A la suite de l'exposé de M. Federico Mayor, un débat s'est instauré avec les commissaires.
M. Jacques Habert s'est interrogé sur le crédit que l'on pouvait accorder à la sagesse africaine évoquée par le directeur général devant les débordements de violence que pouvait connaître le continent. Il s'est inquiété en particulier de l'impact réel des efforts consacrés à l'éducation par la communauté internationale.
M. André Rouvière a souhaité connaître l'évolution des moyens humains et financiers dévolus à l'UNESCO ainsi que la position actuelle des Etats-Unis vis-à-vis de cette organisation. Il s'est interrogé par ailleurs sur les liens entre l'UNESCO et les organismes humanitaires et sur l'action conduite à l'égard des pays d'Europe centrale et orientale.
Mme Monique Cerisier Ben Guiga a demandé des précisions sur les moyens pratiques mis en oeuvre pour favoriser le pluralisme des langues et des cultures, alors même qu'au sein de l'ensemble relativement privilégié que constituait l'Union européenne, l'anglais dominait au sein de l'enseignement. Elle s'est interrogée en outre sur la politique conduite pour lutter contre les inégalités de fait dans l'éducation des enfants, ainsi que sur l'action menée en faveur de l'instruction des jeunes filles.
M. Xavier de Villepin, président, s'est demandé dans quelle mesure la mondialisation entraînait une redéfinition des priorités et une rénovation des méthodes de l'UNESCO. Il a souhaité également obtenir des précisions sur la situation, statutaire et pratique, de la langue française au sein de l'UNESCO.
En réponse aux questions des commissaires, M. Federico Mayor a apporté les précisions suivantes :
- l'expérience africaine invitait à se mettre à l'écoute des populations avant de mettre en oeuvre des solutions aux problèmes rencontrés ; ainsi, en Afrique du sud, la discrimination sociale prolongeait la discrimination raciale aujourd'hui abolie et suscitait de graves frustrations dans la vie quotidienne qui appelaient une rapide prise en compte par la communauté internationale ;
- sur les problèmes de corruption, les Occidentaux devaient observer une certaine discrétion car l'Europe n'avait pas toujours elle-même donné l'exemple et, en outre, les responsabilités respectives des corrupteurs et des corrompus ne pouvaient pas toujours faire l'objet d'un partage clair ;
- l'UNESCO avait su réduire en quelques années ses effectifs de près d'un tiers (de quelque 3.200 agents en 1985 à 2.300 aujourd'hui) ; cette évolution contrainte, du fait du retrait des Etats-Unis et du Royaume-Uni de l'organisation, avait conduit l'UNESCO à privilégier le recours aux meilleurs experts internationaux pour réaliser ses objectifs ;
- la situation budgétaire de l'UNESCO s'était beaucoup améliorée après les difficultés liées au départ des Etats-Unis et du Royaume-Uni qui représentaient, à eux seuls, 31 % des ressources de l'organisation (soit 50 millions de dollars environ) ; en effet, une réforme des techniques budgétaires avait permis une meilleure maîtrise des dépenses tandis que l'appel aux contributions volontaires avait rencontré un indéniable succès (ainsi l'UNESCO avait réuni en 1996 près de 127 millions de dollars de ressources extra-budgétaires) ;
- les arriérés des Etats membres à l'égard de l'UNESCO avaient pu être réduits de près de 20 millions de dollars en deux ans ; la Russie, en particulier, continuait de faire des efforts pour réduire sa dette vis-à-vis de l'organisation ; par ailleurs, la situation des Etats-Unis et du Royaume-Uni avait été apurée au moment de leur départ, de sorte que, lors du retour de ce dernier pays au sein de l'organisation le ler juillet 1997, Londres n'avait eu à payer que la part qui lui revenait pour sa contribution actuelle ;
- l'UNESCO avait pour vocation de canaliser des financements pour des programmes éducatifs qui devaient être pris en charge principalement par les Etats concernés ; cette orientation avait été suivie avec succès en Inde, notamment, dont le budget consacré à l'éducation était passé de 2,4 % du PIB à 4,2 % au cours des dernières années ;
- l'UNESCO se préoccupait des conséquences de la mondialisation sur la diversité des cultures et envisageait d'organiser une conférence, précisément sur l'impact de la communication sur la culture ;
- le français constituait, avec l'anglais, la langue statutaire du secrétariat de l'UNESCO qui reconnaissait par ailleurs quatre autres langues officielles (l'espagnol, le russe, l'arabe et le chinois) ; enfin, le directeur général s'efforçait d'encourager la pratique effective du français au sein de l'organisation, dès lors que celle-ci constituait l'une des deux langues de travail du secrétariat.