MINIMA SOCIAUX : CONCILIER ÉQUITÉ ET REPRISE D'ACTIVITÉ
La complexité du dispositif français des minima sociaux est un produit de l'histoire de notre système de protection sociale. Elle résulte de la volonté constante de répondre aux besoins particuliers des catégories les plus fragiles de la population : personnes âgées ou handicapées, en situation d'isolement familial ou d'exclusion du monde du travail.
Ainsi, il n'existe pas moins de neuf minima sociaux en France, caractérisés par une grande diversité dans leurs conditions d'attribution, leur plafond et leur montant (cf. tableaux joints). On compte 3,3 millions d'allocataires directs et 6 millions de personnes en ajoutant les conjoints, enfants et autres personnes à charge.
Les allocations proprement dites sont complétées par un grand nombre de droits connexes qui varient selon le statut de l'allocataire : avantages fiscaux (exonération totale ou partielle de CSG, CRDS, taxe d'habitation, redevance audiovisuelle, suspension des dettes fiscales), prise en charge plus ou moins complète de la couverture santé, accès privilégié aux aides au logement, bénéfice de certaines prestations familiales, constitution de droits à l'assurance vieillesse, tarification sociale en matière de téléphone ou d'électricité...
Par ailleurs, les allocataires de minima sociaux bénéficient souvent également de transferts sociaux à caractère local, qui relèvent de l'initiative propre des différents niveaux de collectivités (départements, communes) ou des organismes locaux de sécurité sociale (fonds d'action sociale des CAF et des CPAM). Ces transferts restent aujourd'hui mal connus et leur impact sur le niveau de vie des bénéficiaires de minima sociaux est difficile à évaluer. On sait toutefois que les aides locales - qui peuvent être en nature - ont un poids important dans le revenu des bénéficiaires, de l'ordre d'un cinquième des ressources des ménages concernés. On note cependant de grandes disparités locales qui peuvent aller de 1 à 10 selon les communes. Enfin, plus encore que pour les aides nationales, l'attribution des aides locales est très directement liée au statut (de chômeur, de bénéficiaire du RMI), le plafond du RMI servant de référence principale aux aides locales.
L'ensemble de ce dispositif se traduit aujourd'hui par une grande opacité, qui suscite bon nombre d'insatisfactions et un sentiment d'injustice chez les demandeurs d'aide qui considèrent injustifiés certains écarts de traitement. Sa complexité est à l'origine de multiples effets pervers, au premier rang desquels de nombreux effets de seuil, ainsi qu'une probable désincitation à l'emploi.
L'existence d'aides liées aux minima sociaux est une première source d'effets de seuil : toute augmentation des revenus, de quelque origine que ce soit, entraîne non seulement la perte du bénéfice de l'allocation de base mais aussi celle des avantages liés. Cela est particulièrement flagrant avec le RMI.
La combinaison des prestations entre elles provoque également des effets de seuil pernicieux, pouvant conduire à des pertes parfois brutales de ressources. S'y ajoutent des différences souvent pénalisantes de périodes de référence pour le calcul des prestations et de délais de carence entre l'ouverture des droits et la perception effective de l'aide.
Dans ces conditions, s'il convient de rejeter la simplification pour la simplification, qui risquerait de conduire davantage à l'injustice qu'à un réel allégement des contraintes pour les bénéficiaires, il apparaît nécessaire de supprimer les incohérences et les effets pervers provoqués par l'insertion des minima sociaux dans notre système socialo-fiscal et de mettre fin aux trappes à inactivité. Au-delà de la question, qui reste pertinente, de la reprise d'activité, il s'agit surtout de faire preuve d'équité vis-à-vis des travailleurs les plus modestes.
Des réformes ont été entreprises depuis 2000 pour diminuer ces trappes à inactivité et, de fait, désormais, quelle que soit sa configuration familiale, un bénéficiaire du RMI qui reprend un emploi ne peut se trouver confronté à une situation de perte financière. Toutefois, des progrès restent à accomplir.
Sur la base de ce constat, une amélioration du dispositif des minima sociaux s'impose. Elle pourrait prendre trois directions :
- un renforcement de la connaissance des minima sociaux et de leurs bénéficiaires par la réalisation d'études transversales incluant l'ensemble des minima sociaux, leurs droits connexes et les transferts locaux ainsi que par un suivi des trajectoires des personnes aidées ;
- une amélioration de la cohérence interne du système, par exemple en mettant fin aux effets pervers de calendrier ou de calcul des revenus de référence, et en favorisant une meilleure harmonisation des droits connexes. Plus qu'à un alignement des montants des minima sociaux, il serait utile de procéder à l'harmonisation des droits ouverts pour chacun d'eux, en liant ces avantages au niveau des ressources de la personne plutôt qu'à son statut d'allocataire ;
- une accentuation des efforts en faveur du retour à l'emploi, en levant les obstacles matériels à la reprise d'activité et en généralisant l'accompagnement au retour à l'emploi, l'objectif à poursuivre étant celui d'une meilleure articulation entre minima sociaux et revenus d'activité.
Aussi, plus que d'une révolution, c'est d'un toilettage systématique dont notre protection sociale a besoin. Pour avancer dans cette direction, les pouvoirs publics doivent pouvoir se référer à un état des lieux complet et fiable de la situation, afin de confronter les réformes - souvent nécessairement partielles - qu'ils envisagent de conduire à la complexité de l'ensemble du dispositif des minima sociaux et à son fragile équilibre. Constituer un tel outil est l'ambition de ce rapport.
Ses conclusions ont été adoptées par la commission des affaires sociales le 11 mai dernier ; elles seront approfondies dans le cadre d'un groupe de travail qu'elle a décidé de constituer à cet effet.
ANNEXES :
TABLEAU 1
Comparaison des montants des divers minima sociaux
(en euros, au 1er janvier 2005)
Pour une personne seule... | Pour un couple... | |||
célibataire | avec un ou plusieurs enfants | sans enfants | avec un ou plusieurs enfants | |
Allocation d'insertion (AI) | 299,9 | Idem | Idem | Idem |
Revenu minimum d'insertion (RMI) | 425,40 | 638,10 (1 enfant) 765,72 (2 enfants) 935,88 (3 enfants) | 638,1 | 765,72 (1 enfant) 893,34 (2 enfants) 1.063,50 |
Allocation de solidarité spécifique (ASS) | 425,83 | Idem | Idem | Idem |
Allocation veuvage | 529,84 | Idem | Idem | Idem |
Allocation de parent isolé (API) | 542,06 (femme enceinte) | 722,75 (1 enfant) 903,44 (2 enfants) 1.084,13 | - | - |
Allocation supplémentaire d'invalidité | 599,5 | Idem | 1075,42 | Idem |
Allocation aux adultes handicapés (AAH) | 599,5 | Idem | Idem | Idem |
Allocation supplémentaire vieillesse | 599,5 | - | 1075,42 | Idem |
Allocation équivalent retraite (AER) | 919 | Idem | Idem | Idem |
Source : Commission des affaires sociales du Sénat
TABLEAU 2
Modalités d'appréciation des ressources applicables aux différents minima sociaux
Période de référence | Revenu de référence | Ressources exclues | |
Allocation d'insertion (AI) | 12 derniers mois | Revenus du foyer fiscal, avant abattements | - prestations familiales |
Allocation veuvage | 12 derniers mois | Revenus professionnels, de remplacement et du capital de l'intéressé et du conjoint, y compris les donations de moins de 10 ans | - prestations familiales |
Allocation supplémentaire d'invalidité | 3 derniers mois | Tous les revenus de l'intéressé et du conjoint, y compris les donations de moins de 10 ans | - prestations familiales |
Allocation de parent isolé (API) | 3 derniers mois | Ressources personnelles de l'intéressé, y compris les pensions alimentaires, prestations familiales et allocations logement (dans la limite d'un forfait) | - AES, PAJE, ARS |
Allocation aux adultes handicapés (AAH) | Année n-1 | Revenus du foyer fiscal après abattements et déductions diverses | - prestations familiales |
Allocation supplémentaire vieillesse | 3 derniers mois | Tous les revenus de l'intéressé et du conjoint, y compris les donations de moins de 10 ans | - prestations familiales |
Revenu minimum d'insertion (RMI) | 3 derniers mois | Ressources du foyer fiscal, y compris les indemnités de sécurité sociale, allocations chômage, prestations familiales, AAH et allocations logement (dans la limite d'un forfait) | - PAJE (en partie), ARS, AES, majorations pour âge des allocations familiales, bourses scolaires |
Allocation de solidarité spécifique (ASS) | 12 derniers mois | Revenus du foyer fiscal, avant abattements | - prestations familiales |
Allocation équivalent retraite (AER) | 12 derniers mois | Revenus du foyer fiscal, avant abattements | - prestations familiales |
Source : Commission des affaires sociales du Sénat
TABLEAU 3
Minima sociaux et prise en compte des configurations familiales
La définition du droit | La base ressources | La prestation | |||
La situation familiale définit le droit lui-même | Les ressources familiales définissent le droit | Les prestations familiales sont intégrées dans la base ressources | Le plafond de ressources varie selon la composition familiale | Le montant de la prestation varie selon la composition familiale | |
AAH | Non | Ressources du conjoint et des enfants | Non | Oui | Non |
AI | Non | Ressources du conjoint | Non | Oui | Non |
ASS | Non | Ressources du conjoint | Non | Oui | Non |
Minimum vieillesse | Non | Ressources du conjoint | Non | Oui | Oui |
Minimum invalidité | Non | Ressources du conjoint | Non | Oui | Oui |
RMI | Non | Ressources du conjoint et de toute personne à charge | Oui, sauf majoration pour âge des allocations familiales, AES, ARS et forfait logement | Oui | Oui |
API | Oui | Ressources de toute personne à charge | Oui, sauf AES, ARS et forfait logement | Oui | Oui |
Allocation veuvage | Oui | Ressources personnelles | Non | Non | Non |
AER | Non | Ressources du conjoint | Non | Oui | Non |
Source : « Minima sociaux, revenus d'activité, précarité »,
rapport du commissariat général du plan, mai 2000
Le rapport est disponible sur le site internet du sénat : http://www.senat.fr/rap/r04-334/r04-334.html
Contact presse : Stéphanie Garnier 01 42 34 25 12 s.garnier@senat.fr