LA FRANCE ET L' EUROPE SONT -ELLES A L' ABRI D' UN « BLACK OUT » ELECTRIQUE ?

Europe- Etats Unis : une délégation de sénateurs et de députés français analyse les approches différentes  de l'ouverture des marchés électriques

Crise californienne en 2000, faillite d'ENRON en 2001, gigantesque panne dans le nord-est américain en août dernier. Quelles en sont les causes ? Quels enseignements les Etats-Unis en ont-ils tiré ? La France et l'Europe connaissent-elles la même vulnérabilité, le même risque pour des millions de consommateurs de se voir priver d'électricité ?

C'est cette actualité du secteur énergétique qu'une délégation conjointe  des deux groupes d'études de l'énergie du Sénat et de l'Assemblée nationale, conduite par le sénateur Jacques VALADE (UMP-Gironde) et le député Claude GATIGNOL (UMP-Manche), a étudié aux Etats-Unis (Californie, Texas et Pennsylvanie en particulier), du 14 au 21 septembre. Participaient également à cette mission les sénateurs Jean BESSON et Alex TURCK, les députés Pierre DUCOUT, Jean-Claude LENOIR et Francis HILLMEYER, accompagnés du directeur de Réseau de Transport d'Electricité (RTE), M. André MERLIN.

Pas d'illusion sur le fond : des crises ont existé dans le passé, aux Etats-Unis comme en Europe, avant l'ouverture à la concurrence des marchés de l'électricité et cette dernière n'en supprime pas les risques. La délégation constate que la fiabilité et la sécurité dans le domaine de la fourniture d'électricité aux consommateurs dépendent non pas du caractère monopolistique ou concurrentiel des marchés, mais des modalités de leur organisation et de leur régulation ainsi que de la capacité du système à garantir les investissements que nécessite l'évolution  prévisible de la demande et des échanges, tant au stade de la production qu'à celui du transport de l'électricité.

Aux Etats-Unis, il n'existe pas un mais des systèmes électriques car chaque Etat  a la haute main sur l'organisation de son propre marché. Echecs et réussites  y coexistent : les premiers (la Californie en 2000), lorsque le système ne permet pas de mettre en parfaite adéquation offre et demande d'électricité ; les seconds, en particulier au Texas et en Pennsylvanie, lorsque la coopération entre opérateurs et les modes de régulation du marché garantissent la fluidité, la transparence et la fiabilité du système.

La délégation parlementaire s'est réjouie que l'Europe ait évité jusqu'ici certains écueils, progressant lentement et prudemment sur le chemin de l'ouverture à la concurrence, notamment grâce à la position défendue à Bruxelles par les gouvernements français successifs. Cette ouverture progressive et maîtrisée du marché électrique européen s'accompagne de mesures de nature à réduire les risques d'incident majeur.

Par comparaison, les parlementaires français constatent que quatre facteurs essentiels de sécurisation du système électrique font défaut dans un certain nombre d' Etats américains :

- l'indépendance des gestionnaires de réseaux de transport (GRT) d'électricité à l'égard des producteurs et le contrôle de leur activité par une autorité de régulation telles que la Commission de régulation de l'énergie en France ;

- le fait que de nombreux Etats n'ont confié au GRT que la gestion des flux d'électricité et non la propriété des lignes électriques -comme cela est souvent le cas en Europe, dont la France- alors que cela permet une meilleure programmation des investissements ;

- le manque d'interconnexions entre Etats destinées à éviter les congestions et permettre un développement des échanges comme un secours mutuel en cas de besoin ;

- une forte coopération entre les GRT américains.

Pour la délégation parlementaire, les échanges tant technologiques que d'informations entre GRT américains et européens (Réseau de Transport d'Electricité : RTE, en France), déjà fructueux, doivent s'intensifier.

A quelques semaines de l'examen par le Parlement du projet de loi d'orientation sur l'énergie, la délégation transmettra rapidement aux commissions des Affaires économiques des deux assemblées ainsi qu'au gouvernement, les constats et conclusions de leur mission.

Annexe au communiqué à la presse

Des crises ont existé dans le passé, aux USA comme en Europe, avant l'ouverture des marchés de l'électricité, et les parlementaires constatent que cette dernière n'en supprime pas les risques. D'où l'importance à accorder à l'organisation et à la régulation des marchés afin de limiter et de les prévenir.

De ce point de vue, sénateurs et députés se félicitent que les règles mises en place au niveau européen semblent davantage garantes de la fiabilité et de l'efficacité du système électrique, par comparaison avec ce qu'ils ont observé aux Etats-Unis. Ce constat général doit cependant être nuancé :

- le système électrique américain, morcelé et divers, se caractérise aussi par des réussites. Tel est le cas en particulier du Texas ou du système de coordination mis en place dans 7 Etats du nord-est américain, qui n'ont été de ce fait que peu touchés par la panne du mois d'août dernier ;

- Etats-Unis et Europe rencontrent les mêmes difficultés pour faire face au défi de la sécurisation du système, en particulier celles liées à la construction de nouvelles lignes électriques (opposition de l'opinion publique, contraintes environnementales), nécessaires pour développer les interconnexions. La France est confrontée  aujourd'hui à ce problème, en particulier pour la construction d'une interconnexion avec l'Espagne et avec l'Italie.

Chaque pays doit donc faire évoluer le système dont il a hérité du passé, en tenant compte de sa culture, de sa géographie et de la densité de sa population. L' Europe, dont la densité de population est beaucoup plus forte, a la chance de disposer d'un outil de production plus concentré et d'un maillage plus serré au niveau du réseau de transport d'électricité.

● Etats- Unis : au pays du pragmatisme

Le système électrique américain est morcelé dans la mesure où l'Etat fédéral ne dispose que d'une compétence limitée dans ce domaine. Le degré d'ouverture à la concurrence dans le secteur électrique est très variable selon les Etats. Ceux dont les prix étaient les plus élevés ont lancé la réforme les premiers, parfois un peu rapidement et sans toujours mettre en place les instruments les plus adéquats. Mais, grâce au pragmatisme inhérent à ce pays, la situation évolue très rapidement et les Etats -c'est le cas de la Californie par exemple- n'hésitent pas à tirer les leçons de leurs crises et à corriger les erreurs au fur et à mesure qu'elles se manifestent.

Globalement, plusieurs problèmes se posent sur le marché électrique américain : 

 Ø      Multiplicité des règles applicables selon la législation adoptée par chaque Etat. La difficulté à harmoniser les réglementations relève en fait d'un problème général de répartition des compétences entre l'Etat fédéral et les cinquante Etats américains, jaloux de leur autonomie, qui défendent des positions aussi diversifiées que sont leurs situations énergétiques et politiques respectives (en particulier, dans le domaine du respect de l'environnement).

Ø      Pouvoirs limités du régulateur fédéral américain, la FERC, qui de plus n'a pas d'autorité sur tous les Etats.

 Ø      Partant d'un système complexe et dont l'inefficacité posait problème, certains Etats ont décidé l'ouverture à la concurrence sans doute un peu rapidement et surtout sans tenir suffisamment compte de tous les éléments du «puzzle» électrique, en particulier du cœur du système : le réseau de transport d'électricité.

 Ø      Réseaux peu intégrés : la coopération entre les différents réseaux et entre les Etats est faible, avec une organisation autour de trois pôles régionaux non reliés entre eux (Est -un peu comparable à l'Europe par sa densité démographique-, Ouest et Texas).

 Ø      Manque d'indépendance des gestionnaires de réseaux de transport d'électricité (GRT). Les Etats-Unis n'ont que rarement choisi de leur confier à la fois la gestion des flux et la gestion des infrastructures de transport d'électricité, comme le prévoit la directive européenne. A l'inverse, les GRT sont parfois intégrés au sein des entreprises de production, mêlant ainsi les intérêts privés de ces producteurs avec la mission de transport de l'électricité, qui constitue un monopole naturel, devant comme tel être traité différemment. En effet, celle-ci ne peut bien s'exercer que dans des conditions de neutralité et de transparence vis-à-vis de l'ensemble des opérateurs souhaitant accéder au réseau.

 Ø      Faiblesse des investissements dans les infrastructures du réseau de transport, en raison de tarifs de transport autorisés trop faibles, ne permettant pas de moderniser et de développer les infrastructures, et absence de règles et de signaux susceptibles de déclencher de tels investissements. Aujourd'hui, la production globale d'électricité est en surcapacité, mais des goulets d'étranglement au niveau du transport ne permettent pas toujours de mettre en adéquation l'offre et la demande.

Ø       Le même type de problème risque de se poser pour la construction des nouvelles capacités de production que pourrait nécessiter la croissance à venir de la demande.

Un certain nombre d'Etats ont cependant mis en place une organisation du système électrique leur donnant grande satisfaction :

Ø      L'exception texane. Le Texas a totalement ouvert à la concurrence son marché depuis 2002, avec succès, ce qui n'exclut pas une réglementation conséquente. Cet exemple ne paraît toutefois pas aisément transposable par les autres Etats car il repose en partie sur l'isolement du système électrique texan - qui fonctionne en quasi-totale autarcie puisqu'il n'est quasiment pas connecté aux Etats voisins - et un esprit de coopération des différentes parties dont rien ne garantit qu'il existe ailleurs.

 Ø      PJM, le plus grand réseau électrique connecté du nord-est américain. Sept Etats ont organisé leur système au travers de PJM, qui regroupe l'ensemble des opérateurs du marché (200 producteurs, transporteurs et distributeurs) et coordonne leurs activités. PJM s'assure également de la fiabilité du système et assure la programmation des investissements, tant au stade de la production que du transport.

25 millions de consommateurs américains bénéficient  de cette organisation.

 ● Quelle est la situation en Europe ?

L'Europe  a avancé plus lentement et plus prudemment sur le chemin de l'ouverture à la concurrence, grâce d'ailleurs à la position de la France, dont les gouvernements successifs ont soutenu depuis 15 ans une ouverture progressive et maîtrisée du marché électrique.

 Ø      Objectif : développer un marché européen de l'électricité intégré, tout en prenant en compte -plus que les Américains-  le caractère vital de l'accès aux réseaux de transport, au cœur du système.

 Ø      La directive européenne  -traduite avec primauté et effet direct dans les droits nationaux de tous les Etats membres- prône l'indépendance des opérateurs de réseaux, qui doivent assurer l'accès aux réseaux de transport dans des conditions transparentes et non discriminatoires.

 Ø      Ceci s'effectue sous le contrôle d'une autorité de régulation, elle-même indépendante, qui veille à ce que les tarifs d'accès à ces réseaux prennent en compte les investissements nécessaires à l'entretien des réseaux, mais aussi à la construction de nouvelles lignes électriques. Les investissements sont planifiés en tenant compte de l'évolution prévisible de la demande et de l'offre d'électricité ainsi que de la nécessité de développer les interconnexions entre les pays européens, afin à la fois d'éviter les congestions - sources de graves problèmes - et d'assurer la sécurité du système - en permettant un secours mutuel entre pays.

 Ø      Les autorisations de raccordement de nouvelles capacités de production tiennent compte des possibilités du réseau de transport.

 Ø    La fiabilité du système se trouve accrue par le fait que plusieurs opérateurs de réseaux - c'est le cas de RTE - sont à la fois propriétaires des lignes de transport et gestionnaires des flux d'électricité.

 Ø      L'indépendance des opérateurs de réseau européen -à l'égard des producteurs et distributeurs d'électricité - leur permet de développer entre eux une coordination efficace des actions, dans le respect de la confidentialité à l'égard des autres opérateurs du marché, qui exercent quant à eux leur activité sur un marché concurrentiel.