Aides publiques au cinéma : revoir la règle du jeu
Au moment où le Sénat s'apprête à se prononcer sur le changement d'assiette de la taxe perçue sur les cassettes vidéo et les DVD introduit à l'initiative du Gouvernement dans le texte en discussion sur le droit de prêt en bibliothèque, la commission des finances du Sénat, présidée par M. Jean Arthuis (UC - Mayenne), a adopté, à l'initiative de MM. Yann Gaillard (UMP - Aube) et Paul Loridant (CRC - Essonne), respectivement rapporteurs spéciaux des crédits de la culture et des comptes spéciaux du Trésor, un rapport d'information sur les aides publiques au cinéma.
Compte tenu des menaces pesant à moyen terme sur l'équilibre du compte de soutien en dépit de la vitalité actuelle du secteur, les rapporteurs spéciaux estiment que, s'il convient de consolider l'alimentation financière du système, il faut d'emblée marquer les limites d'une telle politique.
De fait, le contexte macroéconomique caractérisé par un ralentissement conjoncturel, tout comme les incertitudes qui pèsent sur le paysage audiovisuel par suite, notamment, des difficultés de Vivendi-Universal, conduisent moins à placer des espoirs dans de nouvelles sources de financement d'une ampleur nécessairement limitée, qu'à s'intéresser aux moyens de dépenser mieux les ressources du compte de soutien à l'industrie cinématographique.
Pour MM. Yann Gaillard et Paul Loridant, il faut, en particulier, ne plus considérer comme tabous, certains sujets sensibles, tels une plus grande sélectivité dans certaines catégories d'aides, l'encadrement des possibilités d'affectation de ces aides aux rémunérations élevées, le plafonnement, si ce n'est du nombre total de films, du moins du nombre de films aidés, voire les questions de concurrence exacerbées par l'accentuation de l'intégration verticale, la multiplication des accords horizontaux ou l'adossement des sociétés de production ou de distribution sur les chaînes de télévisions.
La « refondation », réclamée à juste titre par un grand nombre de professionnels du secteur, ne devrait pas consister en de simples corrections à la marge des procédures existantes ; elle passe par le réexamen sans a priori d'une « tuyauterie financière » que sa complexité croissante a rendu de moins en moins lisible et de moins en moins efficace.
Apportant leur contribution à ce qui doit être un processus de réflexion collective, les rapporteurs spéciaux estiment qu'une réforme devrait s'organiser autour de deux axes principaux : la mise en œuvre de procédures évaluables, la clarification des mécanismes financiers.
Le premier point consiste à appliquer au secteur du cinéma les principes généraux de responsabilisation des acteurs publics, tels qu'ils résultent de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
Il convient de faire évoluer le système d'aide pour le rendre « auditable », c'est-à-dire que l'on puisse associer à des masses budgétaires des indicateurs de résultats. A cet égard, il est tout à fait remarquable que, plus de la moitié des films produits n'atteignent pas 25.000 entrées et que 60 % d'entre eux ne sont jamais diffusés sur des chaînes en clair. Il y a là un certain gaspillage de talents, et, bien que l'on puisse considérer qu'il n'est pas anormal de connaître des échecs ou de s'engager dans des impasses, s'agissant d'une activité à risque financier mais aussi artistique, il faut s'efforcer d'assurer une certaine égalité des chances des films français dans l'accès au public.
L'autre axe de réflexion concerne les procédures financières, qui doivent être clarifiées. MM. Yann Gaillard et Paul Loridant ont estimé que l'on pourrait répondre à certaines critiques en faisant, à côté du soutien automatique, deux parts dans ce qui s'appelle aujourd'hui l'aide sélective, pour distinguer :
- les aides sélectives classiques attribuées sur dossier de façon discrétionnaire dont le type même est l'avance sur recettes ;
- les aides sélectives « fléchées » accordées à guichet ouvert comme les aides automatiques, sur la base de critères objectifs de nature comptable ou commerciale.
Considérant que l'équilibre entre chaque catégorie n'a pas à être défini à ce stade, les rapporteurs spéciaux se contentent de souligner que les flux financiers pouvant résulter d'un système reposant sur de « nouveaux fondements », doit rester en cohérence avec ce qu'ils reçoivent actuellement à un titre ou à un autre : c'est en effet à cette condition de continuité financière que la profession, qui doit rester associée à la gestion de l'aide même si la définition des mécanismes de redistribution comme celle des modalités des prélèvements relèvent de la compétence exclusive de l'Etat, peut accepter l'inéluctable changement de la règle du jeu s'agissant du cinéma.