Délinquance des mineurs : la République en quête de respect
Constituée le 12 février 2002, la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs a entendu 73 personnes au Sénat entre le 6 mars et le 29 mai et procédé à 15 déplacements en métropole, en Guyane et en Guadeloupe, à l'étranger (Royaume-Uni, Pays-Bas).
La commission d'enquête a notamment effectué les constats suivants :
- la délinquance des mineurs n'est pas un phénomène nouveau, mais la situation actuelle est préoccupante parce que cette délinquance est plus importante, plus violente, plus jeune. Le nombre de mineurs mis en cause a augmenté de 79 % entre 1992 et 2001 ;
- les mineurs délinquants connaissent souvent une situation familiale difficile (absence du père, relations conflictuelles au sein de la famille...) et sont presque toujours en échec scolaire. Ils sont en mauvaise santé physique et psychique et sont souvent abuseurs d'alcool et de drogues, notamment du cannabis ; la commission a constaté une surdélinquance des jeunes issus de l'immigration ;
- la famille et l'école n'endiguent plus la délinquance. Tandis que de nombreux parents sont en grande difficulté pour assurer l'éducation de leurs enfants, l'école n'est plus ce sanctuaire à l'abri de la violence. A force de vouloir faire entrer tous les enfants dans un moule unique, l'école a fini par exclure plus gravement qu'auparavant une partie de ceux qui lui sont confiés ;
- l'insuffisance des liens entre les institutions exerçant une action de prévention créée des discontinuité, des ruptures de suivi qui nuisent à l'efficacité de cette prévention ; trop souvent, des enfants en difficulté sont repérés, sans qu'une prise en charge adaptée intervienne dans des délais acceptables ;
- la politique de la ville se caractérise par un empilement des programmes de prévention, une multiplication des axes d'action et la création incessante de nouveaux métiers (72 appellations différentes ont pu être recensées pour le seul secteur de l'animation) ;
- la justice des mineurs n'est pas particulièrement laxiste ; elle est erratique. Elle apporte bel et bien des réponses à la délinquance des mineurs, mais ces réponses ne sont pas claires, pas progressives, pas assez rapides, pas mises en œuvre ;
- l'enfermement des mineurs donne lieu à un débat idéologique sur la possibilité ou non de conduire une action éducative en milieu fermé. La commission constate que nos partenaires européens, par exemple les Pays-Bas, plus pragmatiques, ont mis en place des parcours d'éducation et de réinsertion comportant des phases de liberté et des phases de contention pendant lesquelles le travail éducatif se poursuit ;
- l'administration de la protection judiciaire de la jeunesse, perpétuellement en réforme, semble néanmoins victime d'une inertie persistante, d'une crise de vocations, en définitive d'une véritable crise d'identité.
Au terme de ses travaux, la commission formule des propositions organisées en dix principes essentiels :
1. On n'agit bien que si l'on connaît bien : les statistiques de police et de gendarmerie sont un instrument trop exclusif de mesure de la délinquance. Il convient de multiplier les enquêtes de victimation et de délinquance auto-déclarée pour confronter les différentes sources d'information.
2. Responsabiliser et soutenir la famille : l'autorité parentale doit être renforcée et les places respectives des enfants et des adultes dans la société mieux distinguées. Les dispositifs d'aide aux parents en difficulté doivent être développés. Le rôle de la Protection maternelle et infantile (PMI), essentiel dans le dépistage précoce, doit être renforcé et son action pourrait être étendue à tous les enfants âgés de moins de 11 ans. Une politique d'éducation aux médias doit être mise en œuvre afin d'apprendre aux jeunes à être autonomes dans leur rapport à l'image. Enfin, la tutelle aux prestations sociales enfants, qui s'est bureaucratisée, doit être rénovée pour permettre un accompagnement éducatif des familles ; elle pourrait être étendue aux parents d'enfants condamnés pour actes de délinquance.
3. Diversifiez l'école, vous fermerez une prison
- renforcer le nombre des personnels médico-sociaux et des personnels ATOS pour améliorer le repérage des enfants en difficulté ;
- améliorer les dispositifs de lutte contre l'absentéisme scolaire en renforçant le rôle du chef d'établissement ;
- développer l'encadrement extra-scolaire des élèves (école ouverte), notamment en utilisant les compétences de personnes externes à l'école (jeunes retraités...) ;
- développer les internats dès le collège ;
- briser l'humiliation ressentie par ceux qui ne parviennent pas à trouver leur place dans le moule du collège actuel : le collège unique ne peut plus être un collège uniforme et, par des partenariats, il faudra développer des enseignements à options qui permettront une découverte précoce, mais non prématurée, du monde du travail.
4. Des quartiers à reconquérir :
- assurer la présence d'adultes référents dans les quartiers en développant une logique de « garant des lieux » ;
- accepter le conflit éducatif avec les jeunes ;
- réformer la politique de la ville en simplifiant les objectifs, les méthodes et les programmes ;
- renforcer la lutte contre les trafics qui minent certains quartiers.
5. Etre impitoyable à l'égard des majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre des infractions :
- le code pénal punit le fait de provoquer directement un mineur à commettre habituellement des crimes ou des délits ; la condition d'habitude doit être supprimée et des poursuites systématiquement exercées ;
- les peines encourues par un majeur en cas de vol ou de violences devraient être aggravées en cas de participation d'un majeur agissant en qualité d'auteur ou de complice ;
- les filières d'immigration clandestine qui conduisent sur notre sol nombre d'enfants et d'adolescents parfois exploités par des réseaux pour commettre des infractions ou se prostituer doivent être combattues, notamment dans le cadre de l'Union européenne.
6. Justice : redécouvrir la dimension éducative de la sanction
· Aménager l'ordonnance du 2 février 1945 pour :
- élargir la gamme des mesures qui peuvent être prononcées à l'égard des mineurs de moins de 13 ans pour prévoir la réparation, un éloignement de très brève durée, la confiscation des objets ayant servi à commettre l'infraction ;
- permettre le placement en détention provisoire des mineurs de 13 à 16 ans en matière correctionnelle lorsque le mineur ne respecte pas les obligations d'un contrôle judiciaire prononcé par le juge ;
- associer le parquet à la décision de renvoyer un mineur soit devant le juge des enfants, soit devant le tribunal pour enfants ;
- créer une mesure de stage d'instruction civique qui pourrait être ordonnée par le parquet pour certaines infractions peu graves ;
- accélérer les procédures en permettant au procureur de renvoyer un mineur déjà connu de la justice devant le tribunal pour enfants dans un délai de 10 jours à un mois aux fins de jugement.
· Développer la réparation en créant des lieux de réparation dans toutes les communes d'une certaine taille ; créer une aide financière pour les collectivités locales et les organismes publics qui mettent en place des travaux d'intérêt général.
· Augmenter les moyens humains de la justice des mineurs.
7. Inventer des parcours éducatifs : mettre de la contrainte dans l'éducation et de l'éducation dans la contrainte : certains mineurs doivent être contenus et enfermés pendant un temps parce que la sécurité de la société l'impose, parce qu'ils sont ancrés dans un processus d'autodestruction qu'il faut arrêter. Aujourd'hui, l'enfermement dans les quartiers des mineurs marque un temps de contrainte sans éducation.
· Créer des établissements pénitentiaires spécialisés pour les mineurs permettant une prise en charge éducative intensive pendant l'incarcération. Ces établissements devraient permettre une mixité entre personnels de l'administration pénitentiaire et personnels de la PJJ. Ils devraient progressivement se substituer aux quartiers des mineurs actuellement intégrés dans les maisons d'arrêt.
· Développer des souplesses pour le passage des établissements pénitentiaires aux structures plus ouvertes et réciproquement. Cela implique de :
- faire du juge des enfants le juge de l'application des peines, y compris lorsque le mineur est incarcéré ;
- permettre au juge des enfants de révoquer lui-même, sans saisir le tribunal, un sursis avec mise à l'épreuve en cas de mauvais comportement du mineur dans un foyer ou un centre éducatif renforcé ;
- créer une mesure de tutorat judiciaire permettant un suivi du mineur après son jugement et la désignation d'un éducateur référent.
· Développer des structures psychiatriques spécialisées.
8. PJJ : l'humain contre la bureaucratie
- spécialiser le secteur public de la PJJ dans la prise en charge des mineurs délinquants ;
- renforcer la proximité entre la PJJ et les juges des enfants ; la réforme des services éducatifs auprès des tribunaux (SEAT), qui marque un éloignement entre éducateurs et magistrats, doit être remise en cause ;
- renforcer le suivi des mesures et les peines ;
- augmenter les capacités d'accueil dans les structures d'hébergement en donnant la priorité aux activités plutôt qu'aux murs ;
- renforcer la fonction « fil rouge » de la PJJ, qui symbolise la continuité de l'action éducative ;
- assouplir les conditions de recrutement et d'affectation des personnels ;
- étudier et expérimenter le transfert aux départements de la compétence en matière de construction, entretien et réparation des établissements d'hébergement du secteur public de la PJJ.
9. Des partenariats responsables : les discontinuités, les ruptures de suivi nuisent gravement à la prévention et au traitement de la délinquance des mineurs. Les acteurs concernés doivent travailler en partenariat sans multiplier les structures de coordination qui aggravent la situation.
10. Évaluation à tous les étages : l'évaluation des actions conduites en matière de prévention et de traitement de la délinquance des mineurs doit être systématisée, banalisée.