M. Hubert Védrine aborde devant les sénateurs le Traité de Nice et l’avenir de l’Union européenne,
ainsi que des éléments de l’actualité internationale
Réunie le mercredi 13 juin 2001 sous la présidence de M. Xavier de Villepin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l’audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur le Traité de Nice et l’avenir de l’Union européenne ainsi que sur l’actualité internationale.
M. Hubert Védrine a d’abord estimé que le Traité de Nice permettait de clore la période d’incertitude que l’Europe connaissait depuis 1996 en adaptant les institutions à la perspective de l’élargissement. Le Traité, a-t-il estimé, constituait un compromis raisonnable compte tenu des contraintes propres à chaque pays ; il ouvrait la voie à un élargissement réussi et avait permis d’accélérer le débat sur l’avenir de l’Union européenne.
Le Ministre des Affaires étrangères a observé que le rejet du Traité par le peuple irlandais traduisait sans doute l’inquiétude de ce pays vis-à-vis de l’Europe de la défense et de l’harmonisation fiscale. Il manifestait également les craintes liées à une remise en cause éventuelle des aides procurées par les fonds structurels, ainsi que la réticence d’une partie au moins du corps électoral à l’égard de certaines des dispositions de la charte des droits fondamentaux. Les dirigeants irlandais disposaient toutefois du temps nécessaire pour reprendre l’initiative dans la mesure où l’Union européenne avait prévu que les procédures de ratification dans chacun des Etats membres, seraient conduites à leur terme à la fin de l’année 2002. Le ministre a ajouté que la situation irlandaise n’avait pas affecté la détermination des autres Etats membres à poursuivre le processus de ratification. En tout état de cause, la réouverture de discussions relatives aux dispositions du Traité étant exclue, certaines des préoccupations de l’opinion irlandaise pourraient être prises en compte par exemple dans le cadre d’une déclaration des Quinze.
Les négociations d’adhésion, a souligné M. Hubert Védrine, se poursuivaient sérieusement, même s’il restait encore des difficultés à surmonter. Les préoccupations qu’avait manifestées l’Allemagne à propos de la libre circulation des personnes avaient pu faire l’objet d’un accord. Le débat sur l’avenir de l’Union européenne prenait de l’ampleur. L’année en cours permettait d’exprimer les positions respectives dans les différents Etats membres et il reviendrait au Conseil européen de Laeken, sous présidence belge, au mois de décembre prochain, de déterminer les conditions dans lesquelles ce débat se prolongerait. La France et l’Allemagne avaient engagé, pour leur part, depuis février, un effort systématique pour harmoniser leurs points de vue sur les questions européennes et internationales.
A la suite de l’exposé de M. Hubert Védrine, M. Robert Del Picchia a souhaité savoir si les contacts franco-allemands avaient d’ores et déjà permis d’aborder la réforme de la politique agricole commune (PAC) et la question de la contribution allemande au budget communautaire.
Le ministre des affaires étrangères a d’abord observé que les perspectives financières pour l’Union européenne avaient été fixées, dans le cadre de l’Agenda 2000 par le Conseil européen de Berlin, jusqu’en 2006. Il était prévu qu’un bilan d’évaluation puisse intervenir à mi-parcours sans toutefois remettre en cause l’accord conclu. Ce n’était donc pas encore une question d’actualité.
M. Christian de La Malène a remarqué que depuis une décennie, les traités européens qui s’étaient succédé, avaient régulièrement reporté la réforme des institutions à des échéances ultérieures. Le Traité de Nice n’avait pas dérogé à cette règle et ses dispositions n’étaient pas à la mesure des changements indispensables. Il s’est, pour sa part, déclaré incertain sur la position qu’il adopterait au moment de se prononcer sur le traité.
M. Hubert Védrine a rappelé la validité de la méthode employée au début de la construction européenne, fondée sur des avancées progressives. La tentation, qui avait pu parfois se manifester dans la période récente, de bouleverser l’architecture européenne a pu susciter des attentes excessives lors des négociations du Traité de Nice. Aujourd’hui, de nombreuses divergences demeuraient entre les Etats membres sur les objectifs de l’Union. La France, quant à elle, s’était efforcée de défendre à Nice une vision conforme à l’intérêt communautaire, par exemple dans le cadre des propositions formulées par notre pays sur la Commission. Le Traité apparaissait sans doute comme le résultat le plus avancé des concessions que chaque pays était prêt à faire, compte tenu de ses propres contraintes intérieures. La France s’était ainsi opposée à l’extension du vote à la majorité qualifiée aux accords commerciaux concernant notamment le secteur culturel. Il n’existait pas d’alternative à la négociation diplomatique pour parvenir à des compromis qui tiennent compte des exigences démocratiques de chaque Etat membre. Le Traité de Nice, a souligné par ailleurs le ministre, apportait des progrès significatifs, qu’il s’agisse de la désignation du président de la Commission à la majorité qualifiée, du rééquilibrage des voix au sein du Conseil, ou encore de l’assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées.
M. Charles-Henri de Cossé Brissac s’est demandé si le résultat négatif du référendum irlandais n’inspirerait pas une réaction comparable dans d’autres Etats membres. Le ministre a alors précisé que le gouvernement irlandais apparaissait déterminé à répondre à l’inquiétude manifestée au sein de son opinion publique. Il a rappelé par ailleurs la part très importante de l’abstention lors du référendum. Enfin, il a indiqué que les autres Etats membres estimaient que le résultat du référendum n’aurait pas de répercussion sur la poursuite du processus de ratification.
Mme Danielle Bidard-Reydet s’est inquiétée du décalage croissant entre les opinions publiques et le processus de construction européenne. Elle s’est demandé à cet égard s’il ne serait pas opportun de procéder à des consultations populaires plus fréquentes.
M. Hubert Védrine a d’abord observé que le résultat du référendum irlandais avait constitué une surprise, y compris pour les dirigeants irlandais, compte tenu de l’opinion favorable dont bénéficiait l’Europe auprès de la population de ce pays. Il a rappelé, en outre, que la procédure de ratification par voie parlementaire constituait également une démarche démocratique.
M. Philippe de Gaulle s’est demandé si le processus de construction européenne qui avait été conduit d’une manière réaliste, sur la base du noyau franco-allemand, ne tendait pas aujourd’hui à donner une part excessive à l’utopie. Le ministre des affaires étrangères a observé que la construction européenne depuis ses commencements avait conjugué un certain idéalisme et la mise en œuvre progressive de réalisations concrètes. Il a ajouté que l’Europe devrait aborder, dans les prochaines années, des échéances majeures : la réalisation de l’élargissement, la négociation sur les grands thèmes relatifs à l’avenir de l’Union, la réouverture des discussions sur les perspectives budgétaires.
M. Michel Caldaguès s’est interrogé sur le réalisme qui paraissait désormais marquer l’approche des Etats membres vis-à-vis de l’Union européenne. Le ministre a alors observé que le Traité, dans le cadre de la déclaration sur l’avenir de l’Union européenne, fixait à la conférence intergouvernementale qui devrait se réunir en 2004 des objectifs très ambitieux, s’agissant notamment de la répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres. Il a ajouté que, sur aucun point, la situation serait meilleure sans le Traité de Nice, qui compte des avancées réelles.
M. Paul Masson s’est demandé si la présidence française, lors de la négociation, n’avait pas été contrainte d’accepter un accord qui présentait de nombreuses insuffisances. M. Hubert Védrine a estimé que la Présidence française ne pouvait pas prendre le risque de bloquer un accord accepté par tous et de menacer la réussite du processus d’élargissement. Par ailleurs, notre pays n’était pas en mesure d’ imposer à ses partenaires un accord qui n’aurait pas tenu compte des exigences propres à chacun d’eux.
M. Guy Penne a estimé que le résultat du référendum irlandais paraissait prévisible. Il a regretté que le ministre des affaires étrangères ne se soit pas rendu dans ce pays afin d’expliquer les résultats du Conseil européen de Nice. Le ministre des affaires étrangères a indiqué au sénateur que les autorités françaises n’avaient pas souhaité interférer dans la campagne référendaire en Irlande.
Abordant ensuite la situation prévalant au Moyen-Orient, le ministre a estimé qu’une grande prudence restait de mise, et que les logiques internes à chacune des deux parties en présence agissaient contre la paix. Néanmoins, il a fait valoir que l’ensemble de la communauté internationale se liguait pour appuyer le fragile accord récemment obtenu par le directeur de la CIA et qui permettrait de mettre en œuvre le processus prévu par la commission Mitchell.
Puis M. Hubert Védrine a évoqué les enjeux du déplacement en cours du président G. W. Bush en Europe. Il a estimé qu’en dépit de déclarations récentes, l’administration américaine restait mue par un comportement unilatéraliste la conduisant à récuser tout engagement international contraignant. Sur le projet de défense anti-missiles, le ministre a estimé que le récent passage de la majorité du Sénat américain au profit des démocrates pourrait conduire à différer sensiblement les décisions en ce domaine. Le ministre n’a toutefois pas exclu qu’un accord puisse être trouvé entre les Etats-Unis et la Russie sur une modification concertée du traité ABM de 1973 (anti-balistic missiles), sur lequel repose l’actuel équilibre des forces.