Francis GRIGNON, sénateur (U.C.) du Bas-Rhin, rapporteur pour avis du budget de l’industrie, a présenté à la commission des affaires économiques du Sénat que préside M. Jean FRANÇOIS-PONCET, sénateur (R.D.S.E.) du Lot-et-Garonne, son rapport d’information pour une
STRATEGIE DU BREVET D’INVENTION
POUR UNE FRANCE ECONOMIQUE ET CULTURELLE FORTE DANS UNE EUROPE CONQUERANTE
Pourquoi ce titre pour un rapport d’information du Sénat ?
Tout d’abord parce que la stratégie que nous adopterons (universitaires et formateurs, chercheurs et entrepreneurs, conseils et traducteurs, magistrats et avocats, institutions publiques et professionnelles, administrations et élus politiques) face à l’évolution mondiale de l’utilisation du brevet d’invention conditionnera en partie notre force économique donc notre capacité à régler nos problèmes intérieurs et à rayonner économiquement et culturellement. La culture et la langue gagnantes ne sont elles pas, à toutes les époques et sous toutes les latitudes, celles du vainqueur ?
Ensuite, parce que l’Europe a construit un système de brevets mondialement reconnu (grâce à la Convention sur le brevet européen de 1973 qui a crée l’Office Européen des Brevets), alors que les entreprises françaises sont en retrait dans leur stratégie de protection.
En effet, les demandes de protection en France en 1999 s’établissent comme suit :
16 % d’origine France
5 % d’origine Grande-Bretagne
16 % d’origine Allemagne
12 % d’origine Japon
27 % d’origine USA
25 % autres
- les parts respectives dans les demandes de brevets européens sont les suivantes :
7 % d’origine France
5 % d’origine Grande-Bretagne
20 % d’origine Allemagne
17 % d’origine Japon
29 % d’origine USA
22 % autres
- les parts relatives des déposants français diminuent, aussi bien au niveau européen que mondial.
Devant ce constat, il a paru indispensable de faire des propositions pour mobiliser les énergies et corriger, en France, certains dysfonctionnements, c’est le premier objectif de ce rapport, tout en affirmant des convictions pour l’évolution européenne des règles et des institutions, c’est le deuxième objectif de ce rapport.
PROPOSITIONS POUR MOBILISER LES ENERGIES ET CORRIGER LES DYSFONCTIONNEMENTS
1/ Accroître la formation et la sensibilisation de la propriété industrielle :
La France manque de spécialistes en droit de la propriété intellectuelle ayant une formation scientifique ou technique.
Le rapport propose de multiplier les modules de formation dans
- les universités,
- les écoles d’ingénieurs,
- les écoles de commerce et de gestion.
Ainsi que de développer le CEIPI (Centre d’Etudes Internationale en Propriété Industrielle, Université Robert Schuman à Strasbourg), qui prépare à l’examen de mandataire européen auprès de l’OEB et forme les conseils en propriété industrielle.
2/ Sensibiliser et accompagner les PME par :
- la création d’un module de sensibilisation qui permette d’avoir un " Monsieur Brevet " dans chaque PME qui le désire,
- la création d’une aide de l’ANVAR pour le dépôt d’un premier brevet français ou d’une première extension européenne, adaptée à la durée d’instruction (2 à 5 ans) du brevet, et la mise en place d’une aide au conseil en brevet, sur le modèle des " FRAC " (fonds régionaux d’aide au conseil),
- un tarif dérogatoire pour les taxes de procédure et de maintien en vigueur pour les primo déposants : PME indépendantes, chercheurs et inventeurs particuliers,
- une mutualisation des risques par la mise en place d’un système d’assurance contre les litiges en brevets.
3/ Mobiliser davantage les chercheurs publics par :
- la création d’un réseau d’agences de valorisation universitaire,
- une réflexion sur l’instauration d’un délai de grâce immunitaire,
- un approfondissement des réformes engagées pour intégrer le dépôt de brevet à l’évaluation des chercheurs et mettre en place un régime d’intéressement plus incitatif.
4/ Améliorer l’attractivité financière pour l’inventeur par :
- l’instauration d’un régime légal plus précis de rémunération des inventions de salariés,
- la suppression des charges sociales sur les " royalties " perçues par les inventeurs indépendants.
5/ Renforcer la profession de conseil en propriété industrielle par :
- l’augmentation du nombre de déposants (cf. mesures ci-dessus)
- l’ouverture du chantier de l’interprofessionnalité des conseils et des avocats,
- la mise en œuvre d’une équité communautaire entre conseils en propriété industrielle des États membres,
- l’accompagnement de la projection internationale des cabinets.
6/ Aménager le contentieux de la propriété industrielle en :
- menant à son terme la spécialisation des tribunaux compétents en brevets,
- confisquant les profits indûment tirés d’une contrefaçon de brevet,
- améliorant le remboursement des frais de procédure.
PROPOSITIONS POUR L’ÉVOLUTION EUROPEENNE DES REGLES ET DES INSTITUTIONS
L’évolution du brevet européen proposée par le protocole de Londres (qui indique que " tout Etat partie au présent accord ayant une langue officielle en commun avec une des langues officielles de l’Office européen des brevets renonce aux exigences en matière de traduction prévues à l’article 65, paragraphe 1 de la Convention sur le brevet européen ") en vue de réduire son coût jugé élevé par les entreprises, suscite des interrogations :
- au niveau de la place du français comme langue technologique,
- au niveau de la valeur juridique d’un droit créé en France par un document partiellement rédigé en anglais ou en allemand,
- au niveau des économies réelles faites grâce à ces nouvelles règles,
- au niveau de l’avenir des professions de conseil et de traducteurs en brevets,
- au niveau de la concomitance de cet accord et des négociations sur le brevet communautaire.
1/ Le problème linguistique
Les traductions intégrales (revendications et descriptions) dans toutes les langues des États que le brevet désigne sont aujourd’hui fournies lors de la délivrance du brevet européen (soit 3 à 5 ans après son dépôt). Elles sont classées et très peu consultées, sauf en cas de litige. C’est une approche " statique " de la langue.
Le rapport propose une approche " dynamique ", par l’établissement d’une traduction (100 % des revendications et un résumé significatif de la description) lors de la publication de la demande de brevet, 18 mois après son dépôt, ce qui facilitera la veille technologique.
Le fait, par ailleurs, de permettre à nos entreprises de déposer des brevets en français dans les pays européens de langue allemande ou anglaise parties à l’accord est un avantage économique et culturel.
2/ Le problème juridique
Le Conseil d’Etat a estimé que l’accord de Londres était conforme à la Constitution. Par ailleurs, ce dernier stipule qu’une traduction intégrale en français serait exigée lors de tout contentieux. Le rapport propose d’accroître la sécurité juridique du nouveau système en prévoyant qu’un contrefacteur présumé qui n’a pu avoir à sa disposition le texte du brevet traduit en français est présumé ne pas porter atteinte au brevet .
3/ Le problème des économies réelles
Une annexe du rapport détaille les estimations les plus récentes du coût du brevet européen. Les calculs de l’OEB, effectués à la demande de la commission des affaires économiques, montrent que les coûts globaux et de traduction du brevet européen ont été largement surestimés par la Commission Européenne.
Toutefois, un large consensus s’est dégagé sur le fait que le brevet européen est plus cher que le brevet américain, pour deux raisons : les traductions et les taxes de validation et de maintien en vigueur fixées par les Etats.
4/ Le problème de l’avenir des professions de conseil et de traducteurs
Les mesures décrites dans le premier volet (ci-dessus) du plan global que propose le rapport dynamisera la profession de conseil en propriété industrielle. Pour les traducteurs en brevets, comme la réduction du volume des traductions n’entrerait pas en vigueur immédiatement, le rapport estime que l’Etat doit impérativement utiliser ce délai pour orienter les traductions résultant du nouveau système vers des professionnels français, et prévoir des aides spécifiques au cas où cette mesure et l’accroissement des dépôts ne suffiraient pas à maintenir leur volume d’activité.
5/ Problème de la concomitance de l’accord et des négociations sur le brevet communautaire
Le rapport soutient fermement la création d’un brevet communautaire à la condition expresse qu’il serve les intérêts des entreprises et ne remette donc pas en cause le système de la Convention de Munich, dont la qualité est reconnue.
De surcroît, le rapport se prononce en faveur de la suppression de la faculté accordée à certains déposants étrangers (notamment les USA) de choisir l’OEB plutôt que leur office national dans le cadre de la procédure PCT. Il est important de désengorger l’OEB, qui devrait se consacrer en priorité aux dépôts européens.
C’est seulement si et seulement si ce plan global est mis en œuvre que le rapport se prononce pour la signature de l’accord de Londres.
Par ailleurs, la France doit proposer, dans le cadre des négociations avec 112 Etats qui s’ouvrent à l’OMPI (Office mondial de la propriété intellectuelle) une harmonisation internationale du droit des brevets sur la question du délai de grâce et du système du " premier déposant ". Le rapport propose d’intégrer les professionnels (conseils, avocats, entreprises) à la délégation française pour les négociations à venir.
RAPPEL DES PRINCIPALES ETAPES DU DROIT INTERNATIONAL DES BREVETS
1883 : Convention de Paris instituant un délai de priorité international d’un an.
1970 : Traité de Washington qui institue la procédure internationale PCT (Patent Coopération Treaty)
1973 : Convention de Munich qui créée le brevet européen et l’OEB (Office Européen des Brevets)
1999 : Conférence intergouvernementale des Etats parties à la Convention de Munich, à Paris les 24 et 25 juin, à l’initiative de la France, qui demande :
· une réduction des coûts d’obtention du brevet européen (de 50 % pour le coût des traductions)
· une réduction des délais de délivrance
· une harmonisation du contentieux
2000 : Conférence intergouvernementale de Londres des 16 et 17 octobre. La France diffère au 30 juin 2001 au plus tard sa décision sur la signature du protocole relatif au régime linguistique du brevet européen.
2000 : Conseil Européen de Lisbonne, qui demande la mise en place d’ici à la fin 2001 du brevet communautaire