M. Charles Josselin présente aux sénateurs la politique française de coopération internationale
Réunie le mardi 5 juin 2001 sous la présidence de M. Xavier de Villepin, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l’audition de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la politique française de coopération et de développement.
M. Charles Josselin a tout d’abord souhaité replacer l’action de la France en faveur du développement dans le contexte de la mondialisation. Il a en effet estimé qu’elle posait au Nord comme au Sud des défis qui ne pourront qu’être réglés en commun. Le Nord est particulièrement sensible aux questions d’environnement, de risque sanitaire, de stabilité et de diversité culturelle, alors que le Sud, lui, doit faire face à trois séries de problèmes posés par la libéralisation des échanges : la concentration des richesses, 20 % des pays les plus pauvres ne détenant qu’1 % du total de la richesse mondiale, l’interdépendance croissante de leurs économies, entraînant des chocs et une instabilité défavorable au développement, enfin la sophistication croissante des normes techniques qui constitue un handicap considérable pour les pays du sud, sans doute plus difficile à surmonter encore que l’ouverture des frontières.
Dans ce contexte, la France doit rendre plus efficace son action aux niveaux multilatéral et bilatéral, a souligné M. Charles Josselin. Au niveau européen, tout particulièrement, la réforme des procédures d’aide a été engagée sous présidence française et s’est concrétisée par une déclaration du " conseil développement " du 10 novembre 2000. Cette déclaration met l’accent sur la définition des principes de l’action européenne en matière de développement et l’établissement d’une grille de lecture commune aux quinze, prône le recentrage de l’aide notamment en faveur de la promotion de l’intégration régionale ou du lien entre commerce et développement, et enfin, favorise la déconcentration des responsabilités. Celle-ci est d’ores et déjà mise en œuvre à travers un plan d’action qui prévoit la création d’un office " Europ-Aid ", l’ouverture de 300 postes supplémentaires, et permet que l’aide européenne puisse désormais passer par des organismes nationaux lorsque ceux-ci sont les mieux placés pour agir.
M. Charles Josselin a ensuite abordé la participation française aux actions multilatérales. Il a fait référence à l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Ainsi, a-t-il indiqué, grâce à l’insistance française, sur les 41 pays concernés, 22 ont nettement progressé vers l’effacement de leur dette dès la fin de l’année 2000. Pour obtenir ce résultat, l’Union européenne a fait front commun et a mobilisé le reliquat du Fonds européen de développement, soit 1 milliard d’euros. Le ministre délégué a également fait remarquer que, selon le souhait français, les orientations sociales sont de plus en plus préservées par les organismes financiers internationaux qui les considèrent désormais comme essentielles au développement. Des institutions comme le FMI, la Banque mondiale et le PNUD agissent de plus en plus souvent de concert, la France elle-même a signé le 29 juin dernier un accord avec le PNUD pour favoriser leur travail en commun.
Evoquant la question de la lutte contre le sida, M. Charles Josselin a rappelé que l’effort massif, demandé par la France, en faveur des pays pauvres les plus touchés serait l’un des sujets abordés lors de la session spéciale des Nations unies fin juin et du G8 en juillet. Il ne s’agit pas seulement –a-t-il expliqué– d’assurer l’accès aux médicaments mais plus globalement l’accès aux soins. Il faut donc envisager une aide globale au système de santé de ces pays. Le 31 mai dernier M. Lionel Jospin, Premier ministre, a d’ailleurs annoncé trois engagements de la France : le maintien à 100 millions de francs par an de l’aide-projet consacrée à la lutte contre le sida, l’utilisation de 10 % du montant de l’ensemble de la contribution française au programme PPTE, soit 1 milliard d’euros sur 10 ans, et une contribution de 50 millions d’euros par an au fonds global santé sida des Nations unies.
Abordant les actions bilatérales de coopération, M. Charles Josselin a insisté sur l’effort de transparence à l’égard, en particulier, des acteurs de la coopération par la publication du premier rapport annuel d’activité de la Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), des orientations stratégiques du FSP (Fonds de solidarité prioritaire), et par la participation à des événements comme la journée mondiale de l’eau.
M. Charles Josselin a par ailleurs indiqué que dans le cadre de l’initiative visant à effacer la dette des pays les plus pauvres, la France, dans le volet bilatéral, conclura des contrats de désendettement et de développement " C2D " visant à accroître l’articulation des activités, sur le terrain, de l’Agence française de développement et du fonds de solidarité prioritaire et à favoriser l’association de la société civile à la mise en œuvre de l’aide. La France poursuit également la réforme de son assistance technique en suivant la logique de fusion des ministères. Cela conduit à harmoniser les conditions d’emploi des personnels et à intégrer des besoins nouveaux en matière d’expertise.
Le ministre a ensuite abordé la question des moyens de l’assistance technique au développement à la suite de la publication par le comité d’aide au développement de l’OCDE de statistiques provisoires relatives à l’année 2000. Dans ces statistiques, l’effort français en matière d’aide publique au développement apparaissait en recul, à 0 ,33 % du PIB, tout en restant le plus important des pays du G7. Ce chiffre, inférieur à l’objectif de 0,70 % que s’est fixé la France ne prend toutefois pas en compte les effets des reports de crédits d’une année sur l’autre, l’aide attribuée aux territoires d’outre-mer, et, exprimé en dollars et non en euros, ne tient pas compte de l’effet change. Il n’intègre pas non plus d’autres actions qu’entreprend la France en faveur du développement à travers la coopération militaire, la francophonie ou la coopération décentralisée. Le ministre délégué a également fait remarquer qu’en matière d’aide publique au développement il ne pouvait être question seulement de montants bruts, l’efficacité de sa mise en œuvre étant essentielle. Il a enfin indiqué que, dans l’avenir, la part française devrait croître à nouveau car l’effort fait en faveur du désendettement ne viendra pas se substituer aux actions de développement entreprises par le ministère des affaires étrangères et la DGCID mais s’y additionner. Nos actions de coopération devraient également se développer à nouveau avec la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Congo qui sont nos trois plus importants partenaires.
Abordant enfin les questions relatives à l’action culturelle extérieure de la France, M. Charles Josselin a expliqué qu’un accord avait été trouvé avec le personnel de l’Agence française pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE) sur le statut des " faux résidents ", qui verront leur traitement et leur couverture sociale améliorés. Le nombre des visas attribué à des étudiants étrangers, venant poursuivre des études supérieures en France, a été multiplié par deux en trois ans et a atteint 170 000 pour l’année universitaire 2000-2001, a-t-il souligné. La France a, en outre, obtenu de ses partenaires la simplification des structures de TV5, laissant espérer une nette amélioration de la qualité du service fourni par notre audiovisuel public extérieur. Enfin, il a estimé que la francophonie politique avait beaucoup progressé depuis 1997. La déclaration de Bamako de novembre 2000 faisant notamment référence aux droits de l’homme, constitue à cet égard une avancée importante qui devrait être consolidée au sommet de Beyrouth au cours duquel sera également abordée la question de la diversité culturelle.
A la suite de l’exposé du ministre, Mme Paulette Brisepierre s’est interrogée sur la cohérence entre les objectifs très ambitieux de la coopération française et la réduction régulière des crédits qui lui étaient affectés. Elle s’est inquiétée en particulier de l’appauvrissement des centres culturels français ainsi que de la réduction des moyens destinés à l’enseignement français à l’étranger.
M. Hubert Durand-Chastel a souhaité connaître l’état d’avancement des réformes relatives à l’assistance technique, ainsi que les décisions qui pourront être prises sur ce sujet lors du prochain comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID). Il a également demandé quelles étaient les perspectives d’évolution du budget de la coopération pour 2002.
M. Jacques Pelletier a d’abord attiré l’attention sur les difficultés de mise en œuvre de l’aide communautaire au développement ainsi que sur l’importance des reliquats de crédits non dépensés. Il a noté les améliorations sensibles enregistrées par la France en matière de visas, même si les conditions de l’accueil des étrangers par nos postes doivent encore être améliorées. Il a également évoqué l’évolution positive des institutions financières internationales sur les questions de développement en soulignant, en particulier, la volonté de la Banque mondiale d’impliquer davantage les parlements nationaux dans les opérations qu’elle conduisait. Il a rappelé que l’Agence française de développement (AFD) constituait un outil performant au service des orientations arrêtées par le gouvernement. Il a regretté toutefois la réduction régulière des crédits consacrés à l’aide publique au développement au cours des cinq dernières années. Il s’est demandé si cette tendance pourrait être inversée en 2002. Il a mentionné, en particulier, la contraction des concours de l’Agence française de développement et s’est inquiété de la baisse de la part de l’aide-projet réservée aux pays de la zone franc, qui était passée de 37 % en 1999 à 27 % en 2000. Il a craint que nos positions traditionnelles soient remises en cause par l’influence croissante des Etats-Unis sur le continent africain.
M. André Rouvière a demandé au ministre délégué de préciser les conditions dans lesquelles seraient utilisés les crédits dégagés par les opérations d’annulations de dettes. Il a constaté, par ailleurs, que la contribution française à l’aide européenne souffrait d’une faible visibilité ; dans ces conditions l’effort accordé par notre pays aux concours multilatéraux, en l’absence d’une progression parallèle de l’aide bilatérale pourrait desservir les objectifs poursuivis par la francophonie.
M. Emmanuel Hamel a souhaité que la politique française puisse être mieux défendue, en particulier auprès d’institutions telles que l’OCDE. Il s’est interrogé en outre sur les conditions à même de favoriser le retour des étudiants étrangers formés en France vers leur pays d’origine. Enfin, il a souhaité connaître le sentiment du ministre délégué sur la possibilité d’adopter une loi de programmation en matière d’aide au développement qui permettrait de mieux conforter, sur la durée, l’effort budgétaire dans ce domaine.
M. Charles-Henri de Cossé-Brissac a attiré l’attention sur la nécessité de renforcer, dans le cadre de la coopération décentralisée, les actions respectives de l’Etat et des collectivités locales. Enfin, il a évoqué les risques de concurrence que pourraient susciter, à terme, certaines productions développées dans les pays du sud grâce au soutien des bailleurs de fonds.
M. Xavier de Villepin, président, s’est interrogé sur la portée des nouveaux instruments mis en place par la réforme de la coopération et notamment sur la composition de la zone de solidarité prioritaire alors même que les crédits d’aide au développement diminuent. Il a souhaité savoir si certaines régulations budgétaires étaient intervenues sur l’exercice en cours. Il s’est demandé en outre quelles seraient les perspectives d’évolution du budget de la coopération pour 2002 au moment où le ralentissement de la conjoncture économique risquait de peser sur les arbitrages budgétaires. Enfin, il a souhaité connaître l’appréciation du ministre délégué sur la situation en Tunisie et en Centrafrique à la suite des déplacements qu’il avait effectués dans ces deux pays.
En, réponse aux commissaires, M. Charles Josselin a d’abord observé que nos partenaires traditionnels en Afrique ne souhaitaient plus s’enfermer dans une relation exclusive avec la France ; notre pays lui-même a cherché à développer ses liens avec l’ensemble des pays du continent. Il a relevé que le Royaume-Uni tendait, quant à lui, à cantonner son influence aux pays avec lesquels il entretenait des liens historiques. S’agissant des Etats-Unis il convenait de distinguer entre les discours et la pratique ; ainsi, la mise en œuvre de l’ouverture du marché américain aux produits africains se heurterait sans doute à la résistance des différents groupes de pression ; l’Union européenne avait, pour sa part, décidé l’ouverture progressive de ses frontières à l’ensemble des produits des pays les moins avancés, à l’exception des armes. La politique américaine en Afrique accordait, a souligné le ministre délégué, une place particulière aux enjeux pétroliers. Le véritable atout des Etats-Unis résidait dans l’accueil de près de 40 % de l’élite universitaire mondiale ; la France, pour sa part, notamment à travers la francophonie, cherchait à conjurer le risque d’une uniformisation culturelle.
Le ministre délégué à la coopération et à la francophonie, a rappelé ensuite le souci du gouvernement de mieux accueillir les étudiants étrangers sur le territoire national, et d’impliquer à cette fin les universités en vue de mobiliser les moyens nécessaires pour améliorer en particulier l’environnement général des études. La France, a-t-il observé, conserve une grande influence en Afrique subsaharienne comme en témoigne le dernier sommet France-Afrique de Yaoundé ; il conviendrait sans doute de regretter plutôt l’insuffisance de la présence des autres puissances dans la mesure où notre pays ne dispose pas, seul, des moyens nécessaires pour apporter au continent l’aide dont il a besoin.
M. Charles Josselin a rappelé que la zone de solidarité prioritaire avait été définie en fonction de différents critères qui conjuguaient la fidélité à nos liens historiques, ainsi que la cohérence régionale de nos actions ; elle n’emportait pas un droit automatique, pour les pays qui y figuraient, à bénéficier des crédits d’aide au développement. La situation de certains pays, a-t-il observé par ailleurs, ne permettait pas toujours de mener à bien les projets d’aide initialement prévus par la France.
M. Xavier de Villepin, président, a souhaité savoir à cet égard si la position défendue par la France vis-à-vis de la Côte d’Ivoire, n’était pas isolée au sein de la communauté des bailleurs de fonds. Le ministre délégué a estimé que la stabilisation de la situation dans ce pays pouvait laisser espérer la conclusion avant la fin de l’année d’un accord avec le FMI. Il a indiqué, par ailleurs, que l’Union européenne avait décidé, lors du dernier conseil Affaires générales, le principe d’une reprise " progressive et mesurée " de l’aide à la Côte d’Ivoire.
M. Charles Josselin a souligné sa volonté de préserver les moyens du réseau culturel français, même si la question de la révision de la carte actuelle des centres culturels était posée. Il a ajouté que les effectifs de l’enseignement français à l’étranger progressaient et qu’il conviendrait d’impliquer davantage l’éducation nationale dans le cadre d’un véritable partenariat pour dégager les moyens nécessaires à notre action dans ce domaine. Le ministre délégué a noté, par ailleurs, qu’il importait de trouver le point d’équilibre entre l’assistance technique de présence –pour laquelle s’imposait un principe de mobilité- et une nouvelle coopération plus souple, axée sur des missions d’expertise ponctuelles. Il a souligné qu’il entendait préserver les moyens budgétaires de l’assistance technique afin de maintenir un effectif à hauteur de 2.000 postes. Le prochain CICID, a-t-il poursuivi, devrait décider la création de 500 emplois budgétaires pour l’expertise ponctuelle et la création d’une filière de formation pour les personnels employés aux actions de coopération internationale.
Le ministre délégué à la coopération et à la francophonie a relevé que les reliquats au titre du FED s’élevaient à 9 milliards d’euros. Il a ajouté que sous la présidence française de l’Union européenne le principe d’une déconcentration de l’aide communautaire et d’une meilleure coordination des efforts bilatéraux et multilatéraux avait été arrêté afin de raccourcir notamment les délais de mise en œuvre des crédits de l’ordre de 5 à 6 ans pour le FED. Il a relevé en outre que si l’on avait pu observer une baisse relative de l’aide-projet en faveur de l’Afrique subsaharienne, une inversion de tendance était aujourd’hui perceptible. Il a estimé, par ailleurs, intéressante l’idée d’une loi de programmation qui permettrait de mieux conforter l’effort consacré à l’aide publique au développement. Les conditions d’une utilisation rigoureuse des ressources dégagées par les opérations d’annulations de dettes pourraient être assurées par une plus grande transparence et l’implication de la société civile. La prise de conscience de la priorité nécessaire accordée à la lutte contre la corruption s’imposait progressivement chez les dirigeants africains.
M. Charles Josselin a souligné que les concours multilatéraux représentaient 27 % de l’aide publique française. Il a relevé par ailleurs la forte pression exercée par la montée des contributions obligatoires liée aux opérations de maintien de la paix. Le ministre délégué a observé ensuite que le prochain CICID se prononcerait de nouveau sur la composition de la zone de solidarité prioritaire au regard de critères variés tels que la position des pays bénéficiaires vis-à-vis du blanchiment d’argent. Il a poursuivi en relevant que le budget de la coopération avait supporté cette année des mesures de régulation d’un montant de 100 millions de francs sur le titre VI et de 130 millions de francs sur le titre IV, dont 80 millions de francs pour l’assistance technique.
M. Charles Josselin a enfin noté que la situation en Tunisie présentait plusieurs signes d’apaisement. Il a rappelé que sa visite dans ce pays témoignait de la volonté de la France de poursuivre le dialogue. Il a exprimé l’espoir que la Tunisie offre l’image d’un pays moderne dans toute l’acception de ce terme et estimé que les messages qu’il avait transmis aux autorités tunisiennes semblaient avoir été entendus. S’agissant de la Centrafrique, il a relevé qu’à la suite de la récente tentative de coup d’Etat condamnée par la France, le Président Patassé avait obtenu le soutien de certaines puissances extérieures. Il a noté par ailleurs que plusieurs chefs d’Etat africains étaient intervenus afin de favoriser l’apaisement et éviter toute dérive vers un conflit interethnique qui aurait des conséquences dramatiques.