LE SÉNAT EXAMINERA DEMAIN
LE PROJET DE LOI RELATIF À L’IVG ET À LA CONTRACEPTION
Réunie le 31 janvier, sous la présidence de M. Jean Delaneau (RI - Indre-et-Loire), président, la commission des Affaires sociales du Sénat a examiné le projet de loi relatif à l’IVG et la contraception sur le rapport de M. Francis Giraud (RPR - Bouches-du-Rhône) et a adopté la position suivante :
IVG et contraception : le constat d’un échec collectif
La commission a tout d’abord formulé le constat d’un triple échec.
Le nombre d’IVG n’a pas significativement diminué depuis 1976
En 1976, il y avait 250.000 IVG par an en France. En 1998, 214.000 IVG ont encore été pratiquées : en un quart de siècle, le nombre des IVG n’a donc que très faiblement diminué.
Notre pays ne s’est pas doté d’une véritable politique d’information sur la sexualité et la contraception
La persistance d’une telle situation révèle les carences des politiques menées depuis 30 ans en faveur de l’éducation à la sexualité et de l’information sur la contraception. Si la contraception est aujourd’hui largement répandue dans notre pays, elle n’est pas suffisamment maîtrisée. La méconnaissance des mécanismes élémentaires de la transmission de la vie reste encore grande, particulièrement chez les jeunes.
Notre pays ne s’est pas davantage donné les moyens d’appliquer correctement la loi Veil
Les nombreuses auditions auxquelles la commission a procédé ont révélé les dysfonctionnements que connaissent les structures chargées d’accueillir les femmes et de pratiquer les IVG : manque de personnels médicaux et paramédicaux en raison des difficultés de recrutement, moyens insuffisants, accueil parfois inadapté des femmes...
Ces dysfonctionnements ne sont pas étrangers aux difficultés fréquemment rencontrées par les femmes pour accéder à l’IVG dans les délais légaux.
Le projet de loi du Gouvernement : une fuite en avant
La disposition essentielle du projet de loi est l’allongement de dix à douze semaines du délai légal pour pratiquer une IVG.
L’allongement du délai légal ne constitue pas une réponse adaptée
Le Gouvernement met en avant la situation de quelque 5.000 femmes qui, chaque année, sont contraintes de se rendre à l’étranger pour obtenir une IVG dans des pays où le terme légal est plus éloigné.
Nul ne peut naturellement rester insensible à la détresse de ces femmes. Mais le projet de loi n’apporte aucune solution aux 2.000 à 3.000 femmes qui dépassent le délai de douze semaines de grossesse.
En outre, l’allongement du délai conduira inévitablement un certain nombre de femmes, de manière bien compréhensible s’agissant d’une décision aussi douloureuse, à attendre davantage qu’elles ne font aujourd’hui. Il y a fort à craindre que, demain, ce soit 5.000 femmes et non plus 2.000 ou 3.000 qui se trouvent au-delà du délai de douze semaines de grossesse. Faudra-t-il alors changer encore la loi pour passer à quatorze semaines, puis à seize semaines de grossesse ?
Il y a enfin des situations particulières de détresse extrême qui conduisent à un dépassement des délais. Il s’agit souvent de femmes isolées, en situation de précarité, parfois victimes de viols, voire d’incestes. Un allongement de deux semaines du délai ne résoudra en rien ces situations dramatiques.
L’allongement du délai légal comporte en revanche des risques graves
L’intervention devient plus difficile tant d’un point de vue technique que psychologique entre la dixième et la douzième semaine de grossesse. Deux semaines supplémentaires changent la nature de l’acte médical : elles impliquent un effort considérable de formation et la mise en place de moyens techniques garantissant la sécurité des interventions.
L’allongement du délai risque ainsi de dégrader encore le fonctionnement quotidien du service public. Il est probable que l’accès à l’IVG restera toujours aussi difficile pour certaines femmes et il est à craindre que ces difficultés soient encore accrues. A la lassitude d’une génération " militante " qui s’est mobilisée en 1975, viendront s’ajouter les réticences croissantes de nombreux médecins à pratiquer des IVG au-delà des dix semaines de grossesse.
Enfin, si l’on ne peut pas parler d’eugénisme, le risque existe de pratiques individuelles de sélection du foetus au vu des éléments du diagnostic prénatal.
Les propositions de la commission des Affaires sociales : la priorité donnée à l’impératif de santé publique
Cette analyse a conduit la commission à formuler six propositions qui s’inscrivent toutes dans une préoccupation de santé publique.
Se doter des moyens d’appliquer correctement les lois existantes
Face à la fuite en avant que constitue le projet de loi, la commission ne peut que rappeler qu’il est aujourd’hui de la responsabilité du Gouvernement de mettre enfin en place les moyens nécessaires au bon fonctionnement du service public de l’IVG.
Si ces moyens en personnels formés et disponibles, en structures proches et accessibles, avaient pu être dégagés ou pouvaient l’être aujourd’hui, le projet de loi perdrait sa raison d’être dans ses dispositions essentielles.
De même est-il également de la responsabilité du Gouvernement de définir une politique ambitieuse d’éducation responsable à la sexualité et d’information sur la contraception, qui mobilise autant le corps enseignant que le corps médical et ouvre le dialogue au sein des familles.
Permettre la prise en charge des situations les plus douloureuses dans le cadre de l’interruption médicale de grossesse
Pour la majorité de la commission, l’allongement du délai légal de l’IVG n’est pas une réponse adaptée. Aussi propose-t-elle de maintenir le délai légal de l’IVG à dix semaines de grossesse qui reste pour elle la date charnière au-delà de laquelle il ne saurait y avoir un droit automatique à l’IVG. Pour autant, il lui paraît indispensable d’apporter une réponse à la détresse des femmes qui dépassent le délai légal.
Aussi propose-t-elle que ces situations puissent être prises en charge dans le cadre de l’interruption médicale de grossesse (IMG). Chaque cas serait alors examiné par une commission pluridisciplinaire comprenant un médecin choisi par la femme, un médecin gynécologue-obstétricien et une personne qualifiée non médecin qui pourrait être une conseillère conjugale, une psychologue, une assistante sociale...
L’IMG, comme le prévoit la loi Veil, peut être pratiquée à tout moment si la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou s’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.
La commission propose que la référence à la santé de la femme inclue sa santé psychique, appréciée notamment au regard de risques avérés de suicide ou d’un état de détresse consécutif à un viol ou un inceste.
Maintenir le caractère obligatoire de l’entretien social préalable
La commission souhaite maintenir le caractère obligatoire de l’entretien social préalable à l’IVG, supprimé par l’Assemblée nationale.
Cet entretien est aujourd’hui l’occasion pour la femme d’exposer ses difficultés personnelles, conjugales, familiales, d’être informée des aides et soutiens dont elle peut bénéficier, de parler de la contraception et de préparer ainsi l’avenir.
Rendre cet entretien facultatif aboutira à ce qu’un bon nombre de femmes n’en bénéficient pas, surtout celles pour lesquelles il pourrait être le plus utile.
Entourer de garanties la difficile question de l’accès des mineures à l’IVG
Le projet de loi réaffirme que l’autorisation parentale reste la règle en matière d’IVG des mineures. Il ouvre cependant une possibilité de dérogation à ce principe.
Si la commission propose d’accepter cette dérogation, elle souhaite entourer cette possibilité d’un certain nombre de garanties : il n’est pas envisageable, en effet, que la mineure puisse être livrée à elle-même ou qu’elle soit, comme le propose le projet de loi, simplement " accompagnée " par une personne de son choix qui pourrait être n’importe qui.
La commission propose par conséquent que cette personne ne se limite pas à accompagner la mineure, concept qui n’a aucune signification juridique, mais l’assiste, par référence aux dispositions du code civil qui prévoient, dans certaines situations, l’assistance d’un mineur par une personne adulte.
Réaffirmer la nécessité d’un suivi médical de la contraception
Le projet de loi supprime l’obligation d’une prescription médicale pour la délivrance de contraceptifs hormonaux, obligation qui résulte de la loi Neuwirth de 1967. Ces contraceptifs pourraient ainsi être mis en vente libre si l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé jugeait qu’ils ne présentent aucun danger.
Favorable à tout ce qui peut développer la contraception, qui est le meilleur garant de la diminution des IVG, la commission s’oppose pourtant à cette disposition, en particulier en ce qui concerne la première prescription.
En effet, l’obligation de prescription permet un bilan et un suivi médical de la femme et un dépistage précoce de certaines pathologies. Le dialogue entre le médecin et la femme est indispensable pour assurer une bonne compréhension et un bon usage d’une contraception efficace ; il assure en outre le choix d’une contraception adaptée à la situation de chaque femme.
Encadrer la pratique de la stérilisation à visée contraceptive
Si la commission reconnaît la nécessité de donner un cadre légal à la pratique de la stérilisation à visée contraceptive, elle a souhaité encadrer cette possibilité afin de protéger la santé des personnes et d’éviter que des excès ne puissent être commis. Il serait en effet dommageable que la loi puisse par exemple autoriser une stérilisation sur une femme âgée de 25 ans, sans descendance et sans contre-indication à la contraception.
La commission propose par conséquent de n’autoriser la stérilisation à visée contraceptive que dans deux cas : si la personne est âgée de trente ans au moins, ou lorsqu’il existe une contre-indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou une impossibilité avérée de les mettre en œuvre efficacement. La personne doit en outre être informée du caractère généralement définitif de cette opération.
S’agissant de la stérilisation des majeurs sous tutelle, la commission propose de prévoir qu’elle ne peut être pratiquée qu’à la demande des parents ou du représentant légal de la personne concernée et que si la personne concernée est apte à exprimer sa volonté, son consentement doit être systématiquement recherché. Il ne peut être passé outre à son refus ou à la révocation de son consentement.