M. Alain Richard, ministre de la défense, détaille, devant les sénateurs, les résultats de la conférence d’engagement des forces
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a procédé, le mercredi 22 novembre, à l’audition de M. Alain Richard, ministre de la défense.
M. Alain Richard a estimé que la conférence d’engagement des forces, tenue à Bruxelles le 20 novembre dernier, constituait une étape cruciale sur la voie de la constitution d’une capacité européenne d’action militaire au service d’une politique européenne de sécurité et de défense.
Après avoir rappelé l’objectif défini au Conseil européen d’Helsinki, à savoir la capacité, d’ici 2003, de déployer en moins de soixante jours et pour une durée d’au moins un an, des forces pouvant aller jusqu’au niveau d’un corps d’armée (60 000 hommes), il a indiqué que les Etats membres avaient adopté deux documents de planification militaire extrêmement détaillés : un catalogue de capacité identifiant toutes les capacités militaires nécessaires pour assumer les missions de Petersberg, et un catalogue de force détaillant les contributions de chacun des Etats membres qui permettront de constituer un réservoir de plus de 100 000 hommes, d’environ 400 avions de combat et de 100 bâtiments. Au-delà de ce recensement, les Quinze se sont engagés à poursuivre l’effort en vue d’une amélioration qualitative de ces forces, notamment en matière de disponibilité et d’interopérabilité, du renforcement des capacités opérationnelles dans le domaine des moyens de recherche et de sauvetage, de ravitaillement en vol, de suppression des défenses aériennes, de défense contre les missiles sol-sol et d’armement guidé. En ce qui concerne les capacités stratégiques, il sera nécessaire d’évaluer et de valider les contributions relatives aux états-majors, l’état-major de l’Union européenne devant par ailleurs être déclaré opérationnel au cours de l’année 2001. Un renforcement des capacités européennes est également nécessaire en matière de renseignement et de transport stratégique, en particulier au travers des projets d’hélicoptères de transport NH90, de navires de transport opérationnel et d’avions de transport A400M. Enfin, un mécanisme de suivi et d’évaluation sera approuvé lors du Conseil européen de Nice.
M. Alain Richard a estimé que la définition des relations entre l’Union européenne et l’Alliance atlantique avait constitué, pour nombre de nos partenaires, une question déterminante. A cet égard, les quinze Etats membres ont réaffirmé le principe de l’autonomie de décision par rapport à l’OTAN. Si l’Union européenne décide d’agir seule, cette décision ne sera soumise à aucun autre accord que celui de ses Etats membres, l’OTAN étant bien entendu tenue informée. En revanche, si l’Union européenne décide d’agir avec les moyens de l’Alliance, elle transmettra à cette dernière une demande sur les moyens et les capacités nécessaires à l’opération.
M. Alain Richard a souligné la grande qualité de la coopération d’ores et déjà engagée sur ces bases entre l’Union européenne et l’OTAN, les Etats-Unis reconnaissant le caractère positif des efforts actuellement accomplis par les européens.
S’agissant des relations avec les pays tiers, notamment les Etats européens membres de l’OTAN et non membres de l’Union européenne, les modalités de leur collaboration avec les instances européennes ont été définies, tant en ce qui concerne leur éventuelle contribution en période de crise que dans leurs relations quotidiennes avec le comité politique et de sécurité et l’état-major de l’Union européenne auprès desquels ils pourront désigner des représentants.
M. Alain Richard a ensuite détaillé la contribution française au réservoir de forces. Comprenant 12 000 hommes, 75 avions de combat et 12 bâtiments, dont le porte-avions Charles de Gaulle, elle représentera environ 20 % de la force de réaction rapide, l’apport de la France étant particulièrement significatif dans le domaine des capacités " clés ", c’est-à-dire le commandement, le renseignement, avec ses capacités d’observation satellitaires et de reconnaissance et de surveillance du champ de bataille, et enfin le transport stratégique, avec 29 avions à long et moyen rayon d’action et 2 transports de chalands de débarquement.
Le ministre de la défense, après avoir annoncé qu’il transmettrait à la commission un document introductif à la prochaine loi de programmation militaire, a ensuite précisé les différentes priorités découlant, pour l’outil militaire français, des objectifs de renforcement des capacités militaires de l’Union européenne. Ces priorités concernent :
- l’amélioration des moyens d’imagerie satellitaire en vue d’accroître la définition et la cadence de renouvellement des images,
- le renforcement de moyens de reconnaissance, grâce à des drones tactiques plus performants et des nacelles de reconnaissance de nouvelle génération,
- l’augmentation de la protection et du débit des systèmes de communication par satellite,
- l’acquisition de nouveaux armements de précision et de missiles de croisière,
- le renforcement des capacités de projection de force à partir de la mer, grâce à la mise en service du Rafale F2 dès 2006,
- la construction de 2 transports de chaland de débarquement de nouvelle génération.
M. Alain Richard a ajouté que le renforcement des capacités européennes passerait également par la mise en œuvre de projets en coopération, par exemple, avec l’Allemagne et l’Italie pour la capacité d’observation satellitaire tout temps, avec l’Allemagne pour la réalisation d’une messagerie sécurisée, avec 6 autres pays européens, pour la réalisation de l’A400M.
En conclusion, M. Alain Richard s’est félicité de la nouvelle dynamique dont bénéficie la construction de l’Europe de la défense. Il a rappelé l’accord intervenu à Marseille pour transférer à l’Union européenne les principales missions de l’Union de l’Europe occidentale. Il a souligné l’émergence, entre les Quinze, d’un consensus sur la nécessité d’acquérir une capacité de gestion des crises non seulement en Europe, mais également, sous mandat des Nations unies, pour des missions plus éloignées.
A la suite de cet exposé, M. Serge Vinçon s’est vivement félicité des progrès réalisés, notamment sous la présidence française, dans la construction de l’Europe de la défense, soulignant la contribution de la France il a demandé comment elle se situait par rapport à nos principaux partenaires, notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne. Il a demandé des précisions sur le financement de la politique européenne de sécurité et de défense. Il s’est demandé si l’évolution future du budget français de la défense se situerait à la hauteur des ambitions affichées en matière de renforcement des capacités européennes de défense.
M. Alain Richard a indiqué que l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie fournissaient des contributions comparables représentant environ les 4/5e du potentiel total de l’Union européenne. Il a toutefois précisé que la France et le Royaume-Uni apportaient une contribution majeure en matière d’encadrement des forces et de capacité de commandement projetables, l’Allemagne souhaitant pour sa part se doter prochainement de telles capacités. Après avoir précisé que l’état-major européen constituait la seule structure commune, il a indiqué que le financement de chaque contribution sera assuré par le budget national de chaque Etat membre. Il a souhaité la réalisation d’exercices militaires propres à l’Union européenne dès 2001. Enfin, évoquant les perspectives financières de la prochaine loi de programmation militaire, il a souligné la continuité de l’effort d’équipement entrepris par la France en vue de réaliser le modèle d’armée 2015.
M. Aymeri de Montesquiou a interrogé le ministre sur les modalités de financement de la défense européenne ; sur le devenir du projet d’avion de transport A400 M au cas où l’un des pays partie au programme réviserait à la baisse ses intentions de commande initiale ; sur la situation des pays de tradition neutre au sein du dispositif de défense européenne.
M. Alain Richard, a alors indiqué que c’est la participation des pays à la politique commune de défense européenne qui incitera les nations participantes à assumer les engagements qu’elles avaient souscrits. A cet égard, le catalogue d’engagements pouvait constituer en quelque sorte le premier niveau d’une programmation européenne.
- L’A400M représente le plus grand contrat commun conclu à ce jour et son coût s’élève à près de vingt milliards d’euros. Il constitue une étape essentielle de la construction de la défense européenne. La France et l’Allemagne ont d’ailleurs, d’ores et déjà, dégagé les premiers financements nécessaires à son financement ;
- Abordant la question des pays traditionnellement neutres, M. Alain Richard a indiqué que ces pays, sans renoncer à leur neutralité, avaient intégré dans leur réflexion l’évolution du contexte stratégique et collaboraient déjà activement, dans le domaine de la défense, avec l’Union européenne et avec l’OTAN, notamment au Kosovo.
En réponse à M. André Rouvière, M. Alain Richard a précisé qu’entre l’Union européenne ou l’OTAN, il reviendrait à chaque nation d’apprécier le cadre d’engagement qu’elle entendait privilégier. Le dispositif de défense commune reposait sur la mise à disposition de forces nationales et son objectif n’était pas la création d’une armée européenne. Le ministre de la défense a d’ailleurs rappelé que les moyens collectifs de l’alliance provenaient soit de moyens nationaux européens qui pourraient alors être mis à la disposition de l’Union européenne, soit de moyens nationaux américains. A terme, ces derniers pourraient progressivement être remplacés par des capacités européennes propres.
M. Paul Masson, a fait part de son scepticisme quant à la politique que l’Union européenne serait prête à mener pour traduire son ambition de défense commune. Il a fait part de ses doutes quant à la possibilité pour l’Europe de mobiliser durablement les ressources financières appropriées et s’est interrogé sur la disponibilité de l’opinion publique de soutenir un engagement européen en dehors du cadre de l’Alliance.
M. Alain Richard a indiqué au sénateur que l’implication de l’Italie et de l’Allemagne à se doter de capacités spatiales et la construction conjointe par la France et la Grande-Bretagne de missiles de croisière démontraient la réalité des ambitions européennes. Le ministre a, par ailleurs, estimé que la détermination des Européens à agir conjointement au Kosovo, dès le début de la crise, avait été décisive pour la solution du conflit.
Répondant à M. Jean-Guy Branger, M. Alain Richard a rappelé que l’objectif de défense européenne ne tendait, en aucun cas, à égaler la puissance militaire américaine. L’effort de recherche technologique était un élément important et il convenait d’éviter que ne se dessine une Europe de la défense à deux vitesses, privilégiant deux ou trois pays parmi les quinze. L’avancée réalisée à Bruxelles lors de la conférence d’engagement reposait sur l’entente collective de tous les membres de l’Union. Au demeurant, a précisé le ministre, l’Europe spatiale avait démontré l’existence d’un esprit européen dans le domaine des technologies modernes, fondé notamment sur l’intérêt industriel lié au lancement de nouveaux programmes.
M. Xavier de Villepin, président, a demandé au ministre l’analyse qu’il faisait de l’évolution considérable effectuée par la Grande-Bretagne et la RFA depuis quelques années dans le domaine de la défense européenne et que concrétisait une plus grande disponibilité de ces deux pays à s’impliquer dans les crises internationales dans un cadre européen.
M. Alain Richard a indiqué que l’Allemagne avait progressivement élargi sa vision régionale de la sécurité. En 1996, elle avait d’ailleurs décidé une importante révision constitutionnelle autorisant la participation de ses forces à des opérations de maintien de la paix. Les décisions prises par l’Allemagne dans le cadre de la conférence d’engagement s’inscrivaient dans cette même logique.
La Grande-Bretagne, pour sa part, avait pris conscience de l’importance stratégique de l’Europe et avait progressivement manifesté le souci d’y prendre sa juste place. La défense a été l’un des domaines où le gouvernement britannique a perçu l’opportunité d’exercer un rôle majeur et expliquait la décision prise à Saint-Malo en 1998.
En réponse à une question de M. Xavier de Villepin, président, le ministre de la défense a indiqué qu’il examinait la possibilité pour la France, et donc pour les capacités européennes, de se doter d’un second porte-avions.
Puis, M. Xavier de Villepin, président, faisant état des propos du ministre ivoirien de la défense sur l’éventuelle révision des accords de défense passés entre son pays et la France, a interrogé le ministre sur l’évolution de nos positions militaires en Afrique.
M. Alain Richard a indiqué que les forces françaises prépositionnées l’étaient sur la base d’un accord mutuel et étaient considérées comme un atout de stabilité. La France n’entendait pas maintenir de forces dans un pays qui ne le souhaiterait pas. Au demeurant, la présence de nos forces dans ces pays est fondée sur un partenariat avec les armées locales et le pouvoir politique. Le ministre a reconnu, avec M. Xavier de Villepin, président, le caractère essentiel de cette présence militaire vis-à-vis de nos compatriotes résidant dans ces pays et il a par ailleurs relevé l’intérêt opérationnel de ces forces prépositionnées pour d’autres pays européens, notamment pour la Grande-Bretagne, lorsque celle-ci avait décidé d’engager certaines de ses unités en Sierra Leone.
Enfin, en réponse à une question de Mme Josette Durrieu, M. Alain Richard a précisé que le ministère de la défense mettrait à la disposition du ministère de l’agriculture certaines de ses emprises en cours d’aliénation pour assurer le stockage des farines animales, en veillant au respect scrupuleux des normes sanitaires et environnementales.