M. HUBERT VEDRINE, MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES, FAIT LE POINT, DEVANT LES SENATEURS, SUR LA PRESIDENCE FRANCAISE DE L’UNION EUROPENNE
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a procédé à l’audition, le mardi 21 novembre, de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la présidence française de l’Union européenne.
M. Hubert Védrine a d’abord fait le point des négociations consacrées à la réforme institutionnelle de l’Union européenne. Il a relevé que des progrès avaient été enregistrés en particulier lors du Conseil européen de Biarritz sur la question de l’extension du vote à la majorité qualifiée et que les difficultés se cristallisaient aujourd’hui sur son éventuelle extension aux domaines des négociations commerciales, du droit social, de la mise en œuvre des mesures liées à la justice et à la sécurité intérieure, et enfin, à la fiscalité. Il a indiqué de même que des avancées avaient été obtenues pour l’assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées dans le cadre du premier pilier (communautaire). Il a observé que plusieurs Etats contestaient le principe même de l’application de ce dispositif au deuxième pilier (politique étrangère et de sécurité communes).
Le ministre des affaires étrangères a relevé, en revanche, que les oppositions au plafonnement du nombre de commissaires s’étaient confirmées, et qu’il s’agissait là du seul sujet où se manifestait réellement un clivage entre " petits " et " grands " Etats. Il a estimé qu’un compromis pourrait peut-être être obtenu sur la formule d’un plafonnement différé. Il a ajouté que la France, pour sa part, pourrait éventuellement accepter un système de rotation des commissaires dans l’hypothèse où tous les Etats membres consentiraient aux concessions nécessaires en vue d’obtenir un accord ambitieux sur l’ensemble des points en discussion dans le cadre de la Conférence intergouvernementale. M. Hubert Védrine, évoquant alors la question de la repondération des voix, a indiqué que l’objectif restait une repondération substantielle. Il a souligné qu’il était difficile, à ce jour, de prévoir l’issue des négociations sur ce sujet. Il a enfin estimé que l’ensemble des points en discussion serait tranché au Conseil européen de Nice, après une dernière réunion ministérielle le 3 décembre.
M. Hubert Védrine a ajouté que la Charte européenne des droits fondamentaux ne pourrait être incorporée au traité compte tenu de l’opposition de certains Etats, en particulier du Royaume-Uni, mais qu’elle serait proclamée en tant qu’acte politique par les trois institutions de l’Union européenne.
Evoquant la Conférence euroméditerranéenne de Marseille, le ministre des affaires étrangères a souligné que cette réunion s’était déroulée dans un contexte tendu lié à la crise en cours au Proche-Orient. Il a cependant estimé qu’il était indispensable qu’elle se tienne à la date prévue afin de marquer la priorité accordée par l’Union européenne aux relations qu’elle entretient avec ses partenaires de la rive sud de la Méditerranée. Il a ajouté que l’organisation de la Conférence de Marseille avait permis également de conforter la réforme des instruments de l’aide extérieure, proposée par le commissaire Patten et soutenue par la France, ainsi que la volonté, exprimée notamment par la France, d’attribuer au programme MEDA des ressources supérieures à celles dévolues aux Balkans. Malgré l’absence de la Syrie et du Liban, a ajouté M. Hubert Védrine, la réunion euroméditerranéenne a permis une concertation utile sur les conditions de la coopération entre l’Union européenne et ses partenaires et contribué ainsi à sauver le processus de Barcelone. Il a observé que si le contenu de la déclaration finale relative à la situation au Proche-Orient était resté en deçà des attentes des Etats arabes, le processus de paix n’était pas l’objet du partenariat euroméditerranéen. Il a ajouté, par ailleurs, que les Quinze avaient adopté, le 20 novembre, une déclaration sur la situation au Proche-Orient, qui reprenait les engagements pris par les Israéliens et les Palestiniens à Charm el-Cheikh et à Gaza, soutenait l’action du Secrétaire général des Nations unies et mentionnait enfin, pour la première fois, le problème des colonies. Il a rappelé, à cet égard, la difficulté d’obtenir des Quinze une position commune ambitieuse sur ce dossier.
Concluant son propos sur les progrès des discussions consacrées à l’Europe de la défense, le ministre des affaires étrangères a observé que les ultimes difficultés avaient porté sur le contenu des arrangements de sécurité entre l’Union européenne et l’Otan et les réticences manifestées par certains Etats neutres. Il a rappelé également, à propos de la gestion civile des crises, la nécessité de clarifier la répartition des compétences entre la Commission et le Conseil. Cependant, des solutions étaient en vue sur l’ensemble des points.
A la suite de l’exposé du ministre, un débat s’est engagé avec les commissaires.
M. Christian de La Malène a souhaité avoir des précisions sur l’ordre du jour du conseil européen de Nice et savoir si les points sur lesquels des progrès concrets sont attendus, comme en matière d’Europe de la défense, seront privilégiés.
M. André Dulait a demandé si la présence de la Libye à la conférence de Marseille permettait d’envisager une évolution de nos relations avec ce pays.
M. Paul Masson a souhaité savoir si la France accepterait de conclure un accord à Nice, même en cas d’échec des négociations sur la repondération des voix.
M. Xavier de Villepin, président, a interrogé le ministre sur le projet italo-allemand de convenir à Nice d’une nouvelle Conférence intergouvernementale (CIG) d’ici 2004, afin de clarifier les pouvoirs des institutions européennes entre elles, les compétences respectives des Etats et de l’Union européenne, enfin sur l’éventuelle rédaction d’une constitution européenne.
M. Hubert Védrine a apporté les précisions suivantes :
- l’ordre du jour du Conseil européen à Nice donnera la priorité à la CIG. Y seront également abordées les questions relatives à la charte des droits fondamentaux, aux dossiers économiques et sociaux et à l’Europe de la défense. La poursuite des négociations, en vue de l’élargissement de l’Union européenne, ne doit pas faire l’objet d’une décision majeure à Nice car celles-ci doivent se poursuivre en fonction des résultats obtenus chapitre par chapitre et pays par pays afin que les problèmes les plus importants soient réglés avant l’entrée de nouveaux pays dans l’Union européenne. La France, au nom de la présidence de l’Union européenne, a demandé à la Commission d’intensifier les négociations ouvertes avec l’ensemble des pays candidats, mais aucune date finale ne saurait aujourd’hui être fixée ;
- la Libye, après bien des hésitations, a accepté de se rendre comme observateur à la conférence de Marseille ;
- la France fera tout pour obtenir un résultat satisfaisant à Nice marquant l’aboutissement des négociations sur les quatre sujets majeurs de la CIG. Elle ne serait toutefois pas prête à accepter un accord qui serait insuffisant, en particulier sur la question de la pondération des voix ;
- il n’est pas souhaitable qu’une nouvelle CIG soit fixée trop rapidement après le sommet de Nice. Il est en revanche envisageable de fixer un rendez-vous en 2004 afin de clarifier les compétences de l’Union. Aujourd’hui, toutefois, sont partisans de cette clarification aussi bien ceux qui souhaitent marquer l’arrêt de l’extension des compétences communautaires par rapport aux Etats ou aux régions, que ceux qui préconisent une Europe fédérale.
Abordant alors la situation au Proche-Orient, M. Aymeri de Montesquiou a, pour sa part, regretté que les pays européens et la France n’adoptent pas une attitude plus claire à l’égard de l’attitude d’Israël dans sa politique d’implantation de colonies, d’accès à l’eau ou encore dans sa politique de répression. Il a estimé qu’il serait pleinement dans le rôle de l’Europe d’arbitrer entre les Israéliens et les Palestiniens, en sanctionnant la détérioration de la situation dans les territoires occupés.
M. Pierre Biarnès a souhaité que la France, par ses prises de position, soutienne plus activement les Israéliens et les Palestiniens qui sont favorables à la paix.
Mme Danielle Bidard-Reydet a souligné l’ampleur des bombardements des territoires occupés et de la répression israélienne. Elle a regretté le manque de vigueur du communiqué de l’Union européenne qui maintient un équilibre non conforme à la réalité. Elle a souhaité savoir quelle suite pourrait être donnée à la proposition d’envoi d’une force d’observateur qu’Israël continue de refuser. Elle a souhaité qu’une initiative particulière de la France permette de donner un signal fort, estimant que le manque de visibilité des positions françaises ou européennes contribuait au profond malaise des populations des territoires.
M. Guy Penne a alors interrogé le ministre sur l’évolution de certains aspects de la structure administrative du conseil supérieur des Français de l’étranger. Il a par ailleurs souligné les difficultés sociales très importantes qui affectaient l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger et de nombreux établissements dans plusieurs capitales. Il a souhaité l’extension de la loi Sapin sur la résorption de la précarité dans la fonction publique, au bénéfice des personnels contractuels relevant du ministère des affaires étrangères.
Mme Paulette Brisepierre a également relevé le grave malaise que l’on peut constater au sein de plusieurs établissements d’enseignement français, notamment au Maroc et en Afrique et a demandé que soient rapidement prises des dispositions permettant de trouver une solution à cette situation délicate.
Après avoir également déploré le caractère disproportionné de la répression militaire israélienne à l’égard de l’insurrection populaire palestinienne, Mme Monique Cerisier-ben Guiga a souhaité que la France prenne une attitude plus nette dans ce conflit. Abordant alors les difficultés rencontrées actuellement par l’AEFE, elle a relevé que la situation se dégradait de manière continue depuis trois ans et demi en raison notamment de la suppression de postes de professeurs expatriés et de la non-application, notamment au Maroc, de certains accords sur la protection sociale des personnels recrutés localement.
M. Xavier de Villepin, président, a tout d’abord regretté que le ministère des affaires étrangères ne dispose pas des marges de manoeuvre financières nécessaires à la résorption du conflit social qui touche les établissements d’enseignement français à l’étranger.
Il s’est par ailleurs inquiété de la détérioration générale des relations entre Israël et les pays arabes voisins, risquant d’aboutir à un embrasement régional.
M. Hubert Védrine, tout en regrettant que le ministère des affaires étrangères ne dispose pas de marge de manoeuvre financière suffisante, et en se félicitant des interventions des parlementaires qui pourraient contribuer à modifier cette situation, a rappelé que la France était le seul pays au monde à s’efforcer de donner aux enfants des Français expatriés, les mêmes conditions de scolarisation qu’aux enfants vivant en France. Il a souligné que l’accord du 14 juin dernier avait permis de définir un programme d’action sur six ans, doté de 167 millions de francs. Il a également souligné l’intérêt que pourrait représenter le développement d’une synergie entre le ministère de l’éducation nationale et celui des affaires étrangères.
Le ministre des affaires étrangères a ensuite rappelé aux commissaires qu’une déclaration faite par la présidence de l’Union européenne ou proposée par celle-ci aux Nations unies, devait requérir l’accord des quatorze autres Etats membres. A cet égard, la dernière déclaration du 20 novembre sur la situation au Proche-Orient est apparue comme un texte marquant une évolution de la position des Quinze vers plus de fermeté à l’égard d’Israël et fondé sur les engagements précis pris par les parties elles-mêmes lors de leurs rencontres antérieures. Si la France peut, en son propre nom, prendre des positions plus nettes, comme elle l’a déjà fait dans le passé, elle doit préserver ses relations de travail avec l’ensemble des parties prenantes au processus de paix. En outre, une force d’observation ne pourrait être envoyée dans les territoires occupés que si les deux parties l’acceptaient et que lui étaient garanties les conditions de sa sécurité.
Enfin, répondant à M. Xavier de Villepin, président, et à Mme Danielle Bidard-Reydet, qui craignait que la dureté des positions israéliennes ne conduise à menacer, à terme, l’avenir même d’Israël, M. Hubert Védrine a redouté que l’aggravation de la situation dans les territoires ne soit propice à toutes les provocations tendant à faire échouer le processus de paix. Il a enfin estimé que le changement de Président aux Etats-Unis entraînerait sans doute un temps de latence et d’adaptation dans l’implication de l’administration américaine dans ce dossier.