M. HUBERT VEDRINE, MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES, PRESENTE DEVANT LES SENATEURS LE PROJET DE BUDGET POUR 2001 DE SON MINISTERE, FAIT LE POINT SUR L’EVOLUTION DES TRAVAUX DE LA CONFERENCE INTERGOUVERNEMENTALE, EVOQUE LA SITUATION EN SERBIE ET DANS LES TERRITOIRES PALESTINIENS ET PRECISE LA POSITION DU GOUVERNEMENT SUR LA PROPOSITION DE LOI RELATIVE A LA RECONNAISSANCE DU GENOCIDE ARMENIEN DE 1915
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le mercredi 4 octobre 2000, M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine a tout d’abord présenté les crédits du ministère des affaires étrangères inscrits au projet de loi de finances pour 2001. Il a considéré que, d’une manière générale, le budget du quai d’Orsay pour 2001 confirmait la stabilisation des effectifs et des moyens de fonctionnement obtenus l’an passé et permettait de faire progresser les engagements multilatéraux de la France.
Il a précisé que ce budget s’élèverait à 22 milliards de francs, soit une progression de 5,3 % par rapport au budget de l’an passé. Il a indiqué que cette progression résultait pour l’essentiel de l’augmentation sensible du montant des contributions obligatoires et des contributions aux opérations de maintien de la paix puisque, abstraction faite de ces crédits, le reste du budget progressait de 40 millions de francs. Il s’est également réjoui de la stabilisation, pour la deuxième année consécutive, des effectifs du ministère qui s’élèveront à 9.471 emplois. Il a enfin précisé que les crédits du Fonds de concours " droit de chancellerie " seraient désormais intégrés au budget en loi de finances initiale, à hauteur de 119 millions de francs.
Evoquant les principales priorités de son département ministériel, M. Hubert Védrine a indiqué que ce budget permettrait de poursuivre la modernisation du quai d’Orsay entreprise ces dernières années avec, notamment, la fusion des services des affaires étrangères et de la coopération, la déconcentration administrative au profit des postes diplomatiques, la rénovation de la politique immobilière, le renforcement de la formation continue et des services aux usagers.
S’agissant des moyens de la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), il a estimé que les moyens consacrés à l’aide au développement étaient préservés puisque les autorisations de programme consacrées aux interventions de l’Agence française de développement et du Fonds de solidarité prioritaire étaient en progression. Si les crédits consacrés à l’assistance technique permanente poursuivent leur décrue, conformément aux orientations arrêtées depuis de nombreuses années, le ministre a souligné la stabilité des crédits d’intervention du titre IV. Cette stabilité permettra, a indiqué le ministre, de poursuivre l’effort en faveur de l’audiovisuel extérieur, qui bénéficiera d’une dotation supplémentaire de 10 millions de francs, et de la formation des élites étrangères dans le cadre du programme de bourses d’excellence qui sera doté de 15 millions de francs supplémentaires. Il a précisé, à ce propos, qu’après la forte augmentation du nombre de visas accordés (+ 25 % de 1998 à 1999 et + 50 % de 1999 à 2000), le nombre d’étudiants étrangers accueillis en France s’élevait désormais à 160 000.
M. Hubert Védrine a également souligné la forte augmentation des moyens destinés à couvrir les contributions obligatoires de la France au titre des opérations de maintien de la paix et la progression des contributions volontaires à certaines organisations telles que le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ou l’Organisation mondiale de la santé.
Il a enfin précisé que, dans le prolongement des recommandations du rapport établi par Mme Monique Ben Guiga, l’assistance aux Français résidant hors de France bénéficierait de moyens nouveaux, notamment 4,5 millions de francs supplémentaires destinés à l’action sociale, à la formation continue et à la sécurité des Français, ainsi qu’une amélioration des crédits consacrés aux bourses scolaires des enfants français, qui connaîtront ainsi une progression de 30 % depuis 1997.
A la suite de l’exposé du ministre, M. Xavier de Villepin s’est interrogé sur la diminution des moyens de fonctionnement constatée dans de nombreux postes diplomatiques et sur l’éventuelle augmentation de la contribution française au HCR, compte tenu de la candidature de l’un de nos compatriotes au poste de Haut Commissaire.
M. Robert Del Picchia a remarqué que, sur un total de 400 millions de francs de droits de chancellerie, le ministère des affaires étrangères ne récupérerait que 119 millions de francs.
M. Daniel Goulet a vivement souhaité un renforcement des moyens consacrés à la francophonie.
En réponse à ces interventions, M. Hubert Védrine a apporté les précisions suivantes :
- avec 1,3 % du budget de l’Etat, le ministère des affaires étrangères parvient à maintenir une présence diplomatique française conséquente dans le monde, à mettre en œuvre une politique active de coopération et d’aide au développement et à contribuer significativement au fonctionnement des organisations internationales. La politique de modernisation engagée par le ministère a permis d’optimiser l’utilisation des crédits alors que, parallèlement, le déclin continu des moyens du quai d’Orsay a été stoppé depuis deux ans ;
- dans le cadre de l’appui à la candidature française au HCR, il est souhaitable que la France augmente sa contribution volontaire à l’organisation tout en veillant à ce que cet effort exceptionnel n’entame pas le budget courant du ministère et fasse l’objet d’un financement spécifique ;
- le quai d’Orsay est parvenu à conserver la rétrocession de 30 % des droits de chancellerie encaissés par le trésor public ;
- la rationalisation des interventions dans le domaine de la francophonie doit aller de pair avec le maintien des moyens budgétaires qui y sont consacrés.
M. Hubert Védrine a ensuite fait le point sur l’évolution des travaux de la Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions.
Rappelant que l’action de la présidence française n’avait concrètement pu débuter qu’au mois de septembre, il a tout d’abord estimé que tout bilan ne pourrait en être dressé qu’à la fin du mois de décembre, après le Conseil européen de Nice.
Il a rappelé les attentes et s’est en revanche félicité de l’évolution positive des discussions relatives à la charte sur les droits fondamentaux qui devrait permettre d’aboutir à un texte de nature plus politique que juridique d’ici la fin de l’année. Evoquant le récent référendum au Danemark et l’évolution de l’Euro, il a estimé que ces éléments n’interféraient pas directement sur le cours des travaux de la Conférence intergouvernementale.
M. Paul Masson a jugé peu probable qu’après le succès du non au Danemark le gouvernement danois soit plus enclin à effectuer des concessions en matière de réforme des institutions.
M. Xavier de Villepin s’est interrogé sur l’effet de la position danoise à l’égard du Royaume Uni et de la Suède.
M. Christian de la Malène, rappelant que le Conseil européen d’Helsinki avait exigé une réforme en profondeur des institutions européennes en préalable à tout élargissement, a souhaité qu’un éventuel échec des discussions, d’ici la réunion de Nice, n’aboutisse pas à renoncer à cette exigence fondamentale.
A la suite de ces interventions, M. Hubert Védrine a estimé que le résultat du référendum danois ne devrait pas en lui-même modifier la position, réservée dès l’origine, du Gouvernement danois sur la réforme des institutions. Il a confirmé que la France n’entendait pas chercher à obtenir, lors du Conseil européen de Nice, un accord à n’importe quel prix. Il a souligné l’impact profond sur le fonctionnement des institutions qu’entraînerait la mise en œuvre des quatre orientations souhaitées par le Gouvernement français, à savoir l’élargissement du vote à la majorité qualifiée, la nouvelle pondération des voix, le plafonnement du nombre de membres de la Commission et l’assouplissement des modalités des coopérations renforcées. Il a rappelé l’attachement de la France à l’obtention de progrès substantiels sur ces quatre points.
Le ministre des affaires étrangères a ensuite évoqué l’évolution de la situation en Serbie. Il a indiqué que la France souhaitait aider les Serbes à conduire leur évolution vers un régime démocratique et un rapprochement de l’Europe.
Il a rappelé qu’alors que son mandat courait jusqu’en juin 2001, Slobodan Milosevic avait provoqué une élection présidentielle au suffrage universel direct de crainte de ne pas être reconduit si le système d’élection indirect antérieur avait été maintenu. Selon les divers recoupements effectués, l’opposition, désormais unie autour de M. Kostunica, avait obtenu au moins 51,5 % des voix. Ce résultat a, dans un premier temps, profondément ébranlé le régime de Belgrade, qui n’a pas osé proclamer, comme il en avait, semble-t-il, l’intention, l’élection de Milosevic dès le premier tour, ni même son arrivée en tête du scrutin. Aussi, le gouvernement de Belgrade n’a-t-il pu que se replier sur l’organisation d’un second tour.
M. Hubert Védrine a affirmé que, dans les circonstances actuelles, la France continuerait de soutenir l’opposition démocratique en Serbie. Il a estimé que le mouvement enclenché avec le succès de l’opposition lors du premier tour était désormais irréversible, même si l’on ne saurait, aujourd’hui, préjuger du moment où l’alternance deviendra effective. Il a considéré que la perspective d’une levée des sanctions ouvertes par les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne lors de leur réunion informelle d’Evian, avait joué un rôle important dans la mobilisation de l’électorat de l’opposition serbe.
M. Xavier de Villepin s’est interrogé, d’une part, sur l’incidence d’un changement d’exécutif à Belgrade au regard de la question du Kosovo et, d’autre part, sur l’évolution de l’attitude de la Russie à l’égard du régime de Milosevic.
M. Hubert Védrine a considéré que le départ du président Milosevic constituait aujourd’hui la priorité pour une évolution politique dans les Balkans. S’agissant des dirigeants russes, leurs objectifs ne diffèrent pas de ceux des Européens, même s’ils doivent tenir compte d’une opinion publique encore marquée par une vive hostilité à l’égard de l’intervention de l’OTAN.
Le ministre des affaires étrangères a ensuite fait le point sur la négociation en cours à Paris entre Israéliens et Palestiniens, en indiquant qu’au moment où il s’exprimait devant la commission, les deux parties n’avaient pas encore accepté de se rencontrer en présence du Secrétaire d’Etat américain. En effet, a-t-il ajouté, le Premier ministre israélien refusait, pour l’heure, les conditions préalables fixées par M. Yasser Arafat pour la reprise du dialogue (accord de cessez-le-feu, retrait des armes lourdes israéliennes, mise en place d’une commission d’enquête internationale).
M. Hubert Védrine a rappelé que la crise actuelle avait été provoquée par une action délibérée de M. Ariel Sharon inspirée par des motifs de politique intérieure, dans un contexte de tension lié aux difficultés du processus de paix. Il a observé en outre qu’Israël utilisait des techniques de maintien de l’ordre très proches des méthodes militaires classiques. Le ministre a souligné le rôle utile et discret de la France pour permettre aux deux parties de renouer le dialogue. Il a estimé par ailleurs que ni les Israéliens ni les Palestiniens n’avaient eu l’intention d’abandonner la négociation pour recourir à la violence. Il a exprimé l’espoir que les uns et les autres puissent mettre fin au cycle de la violence et reprendre les discussions aujourd’hui suspendues.
M. Daniel Goulet, après s’être félicité des positions prises par la France sur la situation dans la région, a souhaité savoir si elles étaient partagées par nos quatorze partenaires de l’Union européenne. Il a estimé en outre, comme le ministre des affaires étrangères, que la visite de M. Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées s’apparentait à une provocation.
M. Philippe de Gaulle s’est interrogé sur le rôle effectif que jouait la France dans le cadre du processus de paix alors même que l’influence de notre pays au Proche-Orient semblait désormais réduite.
Mme Danielle Bidard-Reydet, après avoir mis en cause la responsabilité de M. Ariel Sharon dans les événements actuels et relevé qu’il était accompagné de très nombreux militaires israéliens, a souhaité obtenir des précisions sur les positions prises par l’Union européenne sur les demandes palestiniennes tendant à la création d’une commission d’enquête internationale et à l’envoi d’observateurs internationaux sur le terrain.
M. Hubert Védrine a répondu aux commissaires en indiquant d’abord qu’il était assez difficile d’obtenir une position commune des Quinze sur l’évolution de la situation au Proche-Orient dans la mesure où certains pays européens éprouvaient quelque réticence à s’exprimer sur ce sujet. Il a souligné à cet égard que la France avait été seule à dénoncer la provocation délibérée de M. Ariel Sharon. Il a indiqué que l’Union européenne, par la voix de notre pays, avait jugé légitime la mise en place d’une commission d’enquête sur la base de la proposition américaine et qu’elle s’était montrée prête à participer à cette structure si les Israéliens en avaient accepté le principe. En revanche, les Quinze n’avaient pas soutenu la proposition d’envoi d’observateurs sur place dans la mesure où une telle initiative supposait l’accord préalable d’Israël. Il a estimé que si les Etats-Unis avaient toujours joué un rôle déterminant au Proche-Orient, notamment en favorisant le processus de paix, la France avait, pour sa part, apporté une contribution très précieuse en formulant, depuis plusieurs décennies déjà, les principes sur lesquels les négociations avaient pu finalement s’ouvrir. Il a rappelé en outre que la France ne pouvait faire entendre sa voix dans la région qu’en maintenant le dialogue avec toutes les parties en présence. Il a conclu en soulignant qu’il serait regrettable que la période qui s’achèverait bientôt, caractérisée par les positions équilibrées de l’actuel Président des Etats-Unis, ne puisse être mise à profit pour parvenir à un déblocage du processus de paix.
M. Xavier de Villepin, président, a ensuite donné lecture de la lettre adressée par M. Christian Poncelet, Président du Sénat, à M. le Premier ministre, par laquelle il lui indiquait que la Conférence des présidents, réunie le mardi 3 octobre, avait souhaité conditionner la question de l’éventuelle inscription à l’ordre du jour du Sénat de la proposition de loi sur le génocide arménien de 1915 à une audition du ministre des affaires étrangères et à la présentation de la position du Gouvernement sur ce texte.
M. Xavier de Villepin a alors demandé au ministre des affaires étrangères si celui-ci confirmait ou non la déclaration qu’il avait faite sur ce sujet devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées le 17 mars 1999.
M. Hubert Védrine a répondu que le Gouvernement n’entendait pas demander l’inscription de ce texte à l’ordre du jour prioritaire du Sénat, celui-ci étant cependant libre de l’inscrire éventuellement à son ordre du jour complémentaire.
M. Hubert Védrine a rappelé qu’il avait déjà eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet au nom du Président de la République et du Gouvernement. Quant à l’opportunité d’une démarche législative sur cette question et à ses incidences sur la diplomatie française, le ministre a précisé qu’il ne changeait rien à ce qu’il avait déclaré précédemment.
M. Michel Pelchat a alors interrogé le ministre sur les montants, qu’il a jugés exorbitants, réclamés à l’Irak par la commission d’indemnisation des Nations unies.
M. Hubert Védrine a souligné que la position française vis-à-vis de l’Irak se distinguait de celle adoptée par les autres pays occidentaux. Il est revenu sur le rôle déterminant joué par la France dans l’élaboration de la résolution 1284 du Conseil de sécurité, qui ouvrait pour la première fois la perspective d’une levée des sanctions. Il a rappelé l’accord donné par la France à l’organisation de vols humanitaires en Irak. Le ministre a précisé, enfin, que le Conseil de sécurité avait, en 1990, créé à l’unanimité une commission d’indemnisation afin de permettre la réparation des dommages causés par l’Irak au Koweit dans les conditions fixées par le droit international. Il a ajouté que la France avait largement contribué à réduire de 30 % à 25 % les prélèvements sur les recettes pétrolières irakiennes qui alimentent le fonds d’indemnisation, ce qui représente, pour l’Irak, la possibilité de consacrer un milliard de dollars par an à des besoins humanitaires.