Service des Commissions
M. Hubert Védrine évoque devant les sénateurs la situation au Proche-Orient et le projet américain de défense nationale antimissiles
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, réunie le jeudi 8 juin 2000 sous la présidence de M. Xavier de Villepin, président, a entendu M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères sur la situation au Proche-Orient et les résultats du récent sommet russo-américain consacré notamment aux discussions stratégiques sur la défense antimissiles.
S’agissant du Proche-Orient, M. Hubert Védrine a considéré que les négociations israélo-syriennes se trouvaient actuellement au point mort, alors qu’une rencontre entre le Premier ministre israélien, M. Barak, et le président de l’Autorité palestinienne, M. Yasser Arafat, était prochainement envisagée à Washington.
Evoquant la situation au Sud-Liban, il s’est réjoui que la résolution 425 du Conseil de sécurité des Nations unies ait pu être appliquée. L’armée du Liban Sud s’est dissoute sans incident et les différents protagonistes se sont comportés de façon raisonnable.
M. Hubert Védrine a rappelé que le Secrétariat général des Nations unies avait lancé à la France un appel en vue du renforcement de sa contribution à la force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Le ministre a souligné qu’il appartenait à l’ensemble des membres du Conseil de sécurité, et non seulement à la France, de prendre leurs responsabilités sur la question du Sud-Liban. La France a ainsi souhaité qu’un certain nombre de conditions préalables soient réunies avant toute décision de confier un nouveau mandat à la FINUL. Il est tout d’abord indispensable que le Liban s’engage à restaurer l’autorité de son gouvernement dans la région et que la Syrie, comme Israël, confirment leur volonté d’apaisement. Il est également souhaitable que la FINUL voie son organisation améliorée et que son mandat éventuel soit limité dans le temps.
M. Hubert Védrine a estimé que l’évolution de la situation conduirait sans doute à revoir à la baisse l’estimation initiale des Nations unies qui souhaitaient porter les effectifs de la FINUL à 8.000 hommes. D’autre part, l’actuel mandat de la FINUL courant jusqu’à fin juillet, le Conseil de sécurité dispose encore de plusieurs semaines pour définir les contours de la future force. En tout état de cause, la résolution 425 a bien précisé que cette dernière devrait aider l’Etat libanais à restaurer son autorité au Sud-Liban et qu’elle n’avait donc en aucun cas vocation à se substituer à lui.
Le ministre des affaires étrangères a ensuite évoqué la récente rencontre entre MM. Clinton et Poutine à Moscou.
Evoquant tout d’abord les réactions russes à la position que la France avait exprimée sur la Tchétchénie, il a rappelé que notre pays avait défendu des positions claires et équilibrées.
Il a ensuite commenté le projet américain de défense nationale antimissile (NMD). Le ministre des affaires étrangères a rappelé que, depuis longtemps, s’exprimait aux Etats-Unis un courant d’opinion désireux de se dégager de la stratégie de dissuasion nucléaire fondée sur la destruction mutuelle assurée. Le Président Reagan avait lui-même considéré, en lançant l’initiative de défense stratégique, que la dissuasion nucléaire était immorale et dépassée. Alors qu’aujourd’hui les technologies d’interception des missiles balistiques se sont perfectionnées, le souhait d’établir une protection globale du territoire américain ne fait que se renforcer, si bien qu’il sera difficile à tout dirigeant politique américain de renoncer à un système de défense techniquement réalisable. Les enjeux industriels accentuent par ailleurs la pression en faveur du déploiement de la NMD.
M. Hubert Védrine a rappelé que la NMD n’était pas compatible avec le traité russo-américain ABM (anti ballistic missile). Le président Clinton tente donc d’obtenir une révision de ce traité mais la Russie, craignant un affaiblissement de la crédibilité de sa dissuasion nucléaire, s’y est jusqu’à présent opposée alors que les républicains, majoritaires au Sénat, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne soutiendraient pas un compromis réalisé avec Moscou sur ce sujet.
Le ministre des affaires étrangères a également indiqué que sous l’influence d’Henry Kissinger, principal artisan des accords élaborés avec l’URSS sur les armements stratégiques, se développait actuellement, au sein du parti républicain, un courant estimant que dans le nouveau contexte stratégique, les Etats-Unis pouvaient définir leur politique de défense sans négocier avec Moscou et opter pour une nouvelle posture renforçant le rôle des armes défensives au détriment des armes offensives.
Selon M. Hubert Védrine, le programme américain de défense nationale antimissile entraînera d’importantes conséquences, aujourd’hui difficilement évaluables, sur les équilibres de sécurité dans le monde. Aussi serait-il souhaitable que les Etats-Unis veillent à ne pas prendre de décision précipitée, d’autant que la menace balistique nord-coréenne, régulièrement évoquée à l’appui de ce projet, paraît pour l’heure hypothétique.
A la suite de l’exposé du ministre, un débat s’est d’abord engagé sur la situation au Proche-Orient.
M. Aymeri de Montesquiou s’est demandé quel rôle le Président Assad, qui prépare sa succession, pouvait jouer dans la signature d’un accord de paix avec Israël. Il a également souhaité connaître les conséquences du retrait de l’armée israélienne du Liban sud sur l’opinion palestinienne. Evoquant par ailleurs la difficulté de trouver une solution à la question de Jérusalem, il s’est interrogé sur la perspective de parvenir à un règlement de paix entre Israël et les Palestiniens. Enfin, il a souhaité connaître l’appréciation du ministre sur les conditions de succession au pouvoir en Arabie saoudite.
Mme Danielle Bidard-Reydet s’est interrogée sur les moyens pour l’Europe, et la France en particulier, d’encourager une paix durable entre Israéliens et Palestiniens, fondée sur le respect des deux peuples, de leur dignité et de leur histoire. Elle a souhaité savoir, à cet égard, si d’autres résolutions votées par les Nations unies ne pourraient pas enfin trouver, comme la résolution 425, une application effective
M. Xavier de Villepin, président, a souhaité obtenir des précisions sur la référence à la ligne frontalière du 4 juin 1967, dans le cadre du processus de paix.
En réponse aux questions des commissaires, M. Hubert Védrine a apporté les précisions suivantes :
- la ligne du 4 juin 1967 désigne le tracé de la frontière qui prévalait avant la guerre des six jours ; ce tracé n’est pas véritablement contesté ; la difficulté que soulève le statut de Jérusalem trouve son origine dans le refus des Israéliens d’admettre la division de cette ville ; les Israéliens posent par ailleurs pour condition de leur retrait du plateau du Golan des assurances sur les eaux du Jourdain et du lac de Tibériade, tandis que les Syriens considèrent le retrait total des forces Israéliennes comme un préalable à l’avancée des négociations sur tous les autres points d’un accord de paix ;
- le retrait israélien du Liban sud peut sans doute donner des arguments à ceux qui, au sein de l’opinion palestinienne, plaident pour un recours à la force et contribuent ainsi à mettre M. Yasser Arafat en difficulté. Toutefois, le président de l’Autorité palestinienne conserve une audience certaine chez les siens. S’il a obtenu des résultats indéniables à la suite de la négociation engagée avec Israël, les blocages du processus de paix pourraient toutefois créer une nouvelle situation de tension ;
- aucune des formules actuellement envisagées sur le statut de Jérusalem ne pourra se concrétiser sans l’accord entre les parties israélienne et palestinienne ;
- l’Arabie saoudite connaît un système successoral très organisé ;
- les chances d’obtenir un règlement de paix dans la région sont plus fortes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a dix ans ; les opinions publiques ont évolué en Israël –comme l’a montré l’élection de M. Ehoud Barak l’an passé– comme dans les pays arabes ;
- les résolutions des Nations unies constituent un fondement solide pour favoriser la paix dans la région, à condition de leur donner une application effective ; de ce point de vue, le retrait israélien du Liban sud ne peut que constituer un motif de satisfaction ; pour la France, la recherche d’une solution pour la Palestine passe nécessairement par la constitution d’un Etat viable qui puisse être un véritable interlocuteur pour Israël ;
- loin de se placer en situation de concurrence, Paris recherche la convergence avec Washington pour favoriser un règlement de paix, même si les méthodes peuvent différer ; avec les Etats-Unis, la France est le seul pays à être sollicité par les parties au conflit, y compris les Israéliens, pour jouer un rôle de médiation.
Les commissaires ont alors interrogé le ministre sur la position américaine dans le domaine de la défense antimissiles.
M. Christian de la Malène s’est demandé si l’adoption d’un nouveau concept stratégique aux Etats-Unis conduirait à une remise en cause de la dissuasion nucléaire et affecterait l’organisation militaire de l’Alliance atlantique.
M. Aymeri de Montesquiou, après avoir évoqué la vive réaction du secrétaire d’Etat américain à l’annonce de la vente d’avions de combat par le Kazakhstan à la Corée du nord, s’est demandé si le rapprochement observé entre le Kazakhstan et la Russie ne créait pas, pour la France, une opportunité de renforcer son influence dans ce pays d’Asie centrale.
M. Robert Del Picchia a souhaité savoir quelle serait la position adoptée par notre pays vis-à-vis de la Tchétchénie dans la perspective de la présidence française de l’Union européenne. Il a par ailleurs demandé des informations sur la situation du photographe français Brice Fleutiaux, retenu en otage en Tchétchénie.
M. Xavier de Villepin, président, a estimé que l’adoption d’un nouveau concept stratégique aux Etats-Unis constituait sans doute un mouvement irréversible, qui répondait par ailleurs aux aspirations de l’opinion américaine. Il s’est interrogé toutefois sur le devenir de la dissuasion nucléaire à la suite de cette évolution.
En réponse aux commissaires, le ministre des affaires étrangères a apporté les précisions suivantes :
- les tenants du nouveau concept stratégique américain réunissent, d’une part, les milieux industriels susceptibles de bénéficier du développement d’une défense antimissiles, d’autre part, les hommes politiques, au premier rang desquels les républicains, et enfin une large part des spécialistes de questions stratégiques, en particulier M. Henry Kissinger ; les Etats-Unis ne renonceront sans doute jamais à posséder des armes nucléaires et pourront s’orienter vers une stratégie conjuguant un système dissuasif et défensif ;
- la situation en Asie centrale conduit à rechercher un renforcement de la présence économique française, même si elle ne permet pas aujourd’hui de développer véritablement les relations politiques ;
- les autorités françaises accordent, comme à tous les otages français retenus à travers le monde, une attention quotidienne à la situation de M. Brice Fleutiaux ;
- à la différence de la position française, la Tchétchénie n’a jamais été au premier plan des préoccupations de nos partenaires occidentaux. La dégradation de la situation dans cette zone confirme les préoccupations françaises ; on ne peut exclure par ailleurs un risque de contagion aux régions voisines. Notre pays estime, pour sa part, qu’un règlement passe nécessairement par une solution politique. L’intérêt accordé à la situation en Tchétchénie relève d’une position équilibrée qui n’interdit en rien à la France de poursuivre une politique de relations constructives avec la Russie.
M. Hubert Védrine a, par ailleurs, précisé, à l’intention de M. Robert Del Picchia que, si la France avait condamné le putsch militaire en Côte d’Ivoire de décembre dernier, notre pays, avec ses partenaires européens, avait, après l’annonce par les autorités ivoiriennes de la tenue de prochaines élections, engagé la normalisation des relations avec ce pays dans le cadre des accords de Lomé. Il a ajouté que M. Konan Bédié ne faisait pas, à proprement parler, l’objet d’une demande d’extradition mais d’une commission rogatoire. Il a observé enfin qu’une large partie des forces politiques ivoiriennes contestait la capacité de M. Ouattara à se présenter aux prochaines élections.
A M. Xavier de Villepin, président, qui l’interrogeait sur les conséquences de la crise gouvernementale en Pologne, le ministre des affaires étrangères a précisé que les négociations d’adhésion de ce pays à l’Union européenne connaissaient, avant même cette crise, une situation délicate, liée aux réticences polonaises à traiter point par point des questions les plus difficiles. Il a regretté que les médias polonais rejettent sur la France la responsabilité des difficultés rencontrées dans ce processus.