Service des Commissions
M. HUBERT VEDRINE EVOQUE DEVANT LES SENATEURS LE SOMMET EURO-AFRICAIN DU CAIRE, la situation au proche-orient, en tchetchenie et les priorites de la future presidence française de l’union europeenne
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le 5 avril 2000 M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine a tout d’abord commenté les résultats du sommet euro-africain du Caire. Il a souligné combien cette première rencontre formelle entre pays d’Afrique et pays de l’Union européenne constituait un événement important, dans la mesure où le dialogue euro-africain ne pouvait se réduire aux relations avec la seule Commission européenne et où, d’autre part, il était nécessaire de démontrer aux partenaires africains que l’Union ne se désintéressait pas de l’avenir de ce continent.
Le ministre des Affaires étrangères a précisé que le sommet du Caire avait permis d’aborder des questions telles que l’allégement de la dette, domaine dans lequel la France avait donné l’exemple en procédant à une annulation totale au profit des pays les plus pauvres, la restitution des biens culturels, ou encore la destruction des mines, et notamment celles datant du second conflit mondial. Il a ajouté que s’étaient déroulés, en marge du sommet, de nombreux entretiens bilatéraux extrêmement utiles, notamment entre le Maroc et l’Algérie ou avec la Libye, envers laquelle les sanctions internationales étaient actuellement suspendues.
M. Hubert Védrine a indiqué que le prochain sommet euro-africain aurait lieu en 2003. Il a estimé que ce type de rencontre ne pouvait que renforcer l’action de la diplomatie française en montrant à nos partenaires africains le rôle particulier joué par la France pour la prise en compte des difficultés de ce continent par l’Union européenne, mais aussi en sensibilisant nos partenaires européens à la réalité africaine et à la nécessité d’un dialogue étroit avec l’Afrique.
Le ministre des Affaires étrangères a ensuite évoqué la situation au Proche-Orient, caractérisée par des difficultés persistantes dans les discussions israélo-palestiniennes comme dans les négociations israélo-syriennes, le Président Assad n’ayant pas évolué sur la restitution complète du Golan. S’agissant du retrait unilatéral israélien du sud-Liban, dont la perspective est désormais toute proche, la France pourrait conditionner sa participation à un arrangement de sécurité à la conclusion d’un accord préalable entre les parties concernées.
Abordant la situation en Tchétchénie, M. Hubert Védrine a constaté que les autorités russes n’étaient pas parvenues à réaliser un contrôle militaire complet de la région. Il a par ailleurs estimé que la confirmation de la brutalité des actions menées par les troupes russes, en particulier à l’égard des populations civiles, contribuait à alourdir le climat entourant ce conflit, comme en témoignent les débats au sein de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies ou les restrictions posées à la visite sur place de Mme Robinson, Haut commissaire de l’ONU pour les droits de l’Homme.
Il a annoncé que la France avait saisi l’ensemble de ses partenaires occidentaux du G8 afin de les inviter à réfléchir à la définition d’une nouvelle stratégie d’aide et de coopération à l’égard de la Russie, dont l’objectif est la consolidation de l’état de droit dans ce pays et qui tienne compte de la manière dont les autorités russes répondent à nos attentes sur la Tchétchénie.
Enfin, le ministre des Affaires étrangères a évoqué les perspectives de la prochaine présidence française de l’Union européenne. Il s’est félicité des bons résultats du travail de la présidence portugaise, comme en témoigne le récent Conseil européen de Lisbonne. Il a rappelé que la France devrait, en tout premier lieu, faire aboutir la Conférence intergouvernementale, dont les travaux avançaient de manière satisfaisante, en particulier sur la question de la nouvelle pondération des voix et de l’extension du vote à la majorité qualifiée. Elle s’emploiera également à concrétiser les décisions relatives à l’Europe de la défense, par la mise en œuvre des organes institutionnels et des capacités militaires définis à Helsinki. Elle devra également stimuler les discussions d’élargissement, même si celles-ci n’aboutiront, en tout état de cause, qu’après la présidence française. Enfin, elle s’attachera à faire aboutir la charte sur les droits fondamentaux et à inscrire à l’ordre du jour des sujets tels que la sécurité du consommateur ou la sécurité des transports maritimes.
Après l’exposé du ministre, un débat s’est engagé avec les commissaires.
M. Guy Penne s’est inquiété des difficultés rencontrées dans les lycées français de Londres et de Bruxelles et a suggéré que le directeur de l’agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) effectue une mission de conciliation destinée à résoudre les problèmes.
M. Christian de La Malène s’est étonné de ce que la Conférence intergouvernementale ne semblait pas suivre, comme il l’aurait souhaité, le mandat de négociation que lui avait confié le Conseil. Il s’est demandé si l’échéance de décembre ne risquait pas d’inciter la présidence française à privilégier une conclusion positive à tout prix, au risque de laisser en suspens certains aspects de la nécessaire réforme institutionnelle. Il s’est ensuite interrogé sur la réflexion en cours destinée à améliorer le fonctionnement du Conseil.
M. Aymeri de Montesquiou a interrogé le ministre sur la concrétisation des axes majeurs dégagés au Sommet du Caire entre les pays d’Europe et d’Afrique. Il s’est ensuite inquiété de l’absence de " politique arabe " de la France au moment où de nombreux Etats du Moyen-Orient se tournent vers notre pays pour équilibrer la présence, ressentie par certains excessive, des Etats-Unis.
M. André Rouvière a souhaité obtenir des précisions sur l’évolution de nos relations politiques et commerciales avec la Libye. Il s’est interrogé sur l’existence ou non d’une échéance précise à l’actuelle suspension des sanctions dont bénéficiait désormais ce pays.
M. Michel Pelchat, de retour d’un déplacement en Irak, a fait observer que la population irakienne, qui endurait de grandes souffrances, attendait beaucoup de la France et ressentait une certaine désillusion devant ce qui lui apparaissait comme un alignement de notre politique sur la ligne prônée par les Etats-Unis.
M. Robert Del Picchia a demandé si des mesures préventives seraient prises pour pallier les risques de famine en Ethiopie.
M. Philippe de Gaulle s’est interrogé sur le statut des personnalités représentant, au Sommet du Caire, des pays comme le Congo, le Tchad, l’Ethiopie et le Soudan. Il s’est, par ailleurs, inquiété de l’envoi de gendarmes au Kosovo, le statut de la gendarmerie lui apparaissant incompatible avec les missions qui lui étaient confiées sur place.
M. Xavier de Villepin, président, a souhaité obtenir des précisions sur ce que pourrait être la position française dans l’hypothèse, périlleuse, où un accord ne serait pas conclu entre Israël, la Syrie et le Liban, préalablement à un retrait de l’armée israélienne du sud-Liban. Il a souhaité, par ailleurs, connaître la position de la France, à la Commission des droits de l’homme de l’ONU, sur la proposition de résolution américaine condamnant la Chine en matière de respect des droits de l’homme.
M. Hubert Védrine a alors apporté les précisions suivantes :
- le ministère des affaires étrangères suit attentivement la situation des établissements scolaires à Londres et Bruxelles ; la suggestion du sénateur Penne d’envoi d’une mission sur place apparaît comme une bonne idée pour éviter, par le dialogue, une dégradation de la situation ;
- le mandat du Conseil pour la Conférence intergouvernementale (CIG) et les négociations au sein de cette dernière, portent bien sur les trois sujets demeurés hors du traité d’Amsterdam. Par ailleurs, les discussions pourraient s’élargir à la révision des modalités des coopérations renforcées. La présidence française n’entend pas obtenir une conclusion à n’importe quel prix lors de l’échéance de décembre. Une conclusion positive implique que les problèmes essentiels pour l’avenir de l’Union soient résolus. Enfin, depuis deux ans, des progrès sensibles ont été accomplis en ce qui concerne le fonctionnement du Conseil affaires générales ;
- la position française à l’égard de l’Irak est spécifique et se distingue de celle de ses partenaires du Conseil de sécurité que notre pays s’efforce de faire évoluer. La France, en maintes occasions, met en avant le caractère inefficace et cruel que peuvent revêtir les conséquences de l’embargo subi par la population iranienne ; dans le cadre de la résolution 1284 du Conseil de sécurité, elle s’efforce de promouvoir une position constructive fondée sur un bon fonctionnement de la commission d’inspection qui pourrait permettre, à terme, un allégement de l’embargo ;
- eu égard aux situations nationales ou aux types de conflits extrêmement divers et spécifiques, une politique arabe unique n’est pas envisageable aujourd’hui.
En réponse à M. Aymeri de Montesquiou, M. Hubert Védrine a précisé que la notion de " politique arabe de la France " prônée par le Général de Gaulle correspondait, en effet, à une situation historique datée, où la France se devait de rétablir des relations normales avec l’ensemble des pays du monde arabe.
Le ministre a ensuite précisé que :
- aucune échéance n’est actuellement fixée pour transformer en levée définitive l’actuelle suspension de sanctions contre la Libye. Les relations bilatérales s’améliorent progressivement mais doivent aussi tenir compte de la grande sensibilité de l’opinion publique française ;
- la situation de l’Ethiopie a été évoquée au Sommet du Caire. Les anticipations météorologiques conduiraient effectivement à craindre une situation de famine concernant quelque 400 000 personnes. Le programme alimentaire mondial (PAM) doit prendre des dispositions préventives et un éventuel concours de la France est à l’étude ;
- en Afrique, seule la Somalie ne dispose pas d’un véritable gouvernement, tous les pays d’Afrique représentés au Sommet du Caire l’étaient par leurs dirigeants officiels ;
- la France n’est pas le seul pays à avoir envoyé au Kosovo des forces comparables à celles de notre gendarmerie. La mise en œuvre de la résolution 1244 impose de trouver des solutions nouvelles qui ne correspondent pas nécessairement au statut initial de cette Arme ;
- la France a indiqué que si un accord était conclu entre Israël, la Syrie et le Liban sur le retrait de l’armée israélienne du Liban-sud, elle serait éventuellement disposée à répondre favorablement à une demande de participation militaire sur le terrain. Dans l’hypothèse où aucun accord ne serait conclu, la France examinerait, au sein du Conseil de sécurité, les modalités d’application des résolutions 425 et 426 ;
- des résolutions visant à condamner la Chine, dans le cadre de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies, émanent régulièrement des Etats-Unis depuis plusieurs années. Depuis 1997, l’Europe a, pour sa part, privilégié un dialogue critique avec la Chine sur la question des droits de l’Homme, dialogue qui manque aujourd’hui de mesures concrètes confirmant les engagements chinois. C’est à l’aune des résultats de cette stratégie que serait examinée la proposition de résolution des Etats-Unis.
En réponse à M. André Boyer, M. Hubert Védrine a indiqué que le sort du photographe français, M. Brice Fleutiaux, prisonnier en Tchétchénie, faisait l’objet d’une sollicitude constante et active de la part du gouvernement français.