Service des Commissions
Jeudi 2 mars 2000
M. ALAIN RICHARD EVOQUE DEVANT LES SENATEURS LA SITUATION AU KOSOVO
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le jeudi 2 mars 2000 M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la situation au Kosovo.
M. Alain Richard a tout d’abord rappelé que la présence militaire internationale au Kosovo avait permis de réduire très nettement le degré de violence dans la province en quelques mois ; ainsi, le nombre de morts violentes avait été divisé par trois entre le mois de septembre et la fin de l’année 1999. Aussi, le regain de tension intervenu au cours du mois de février ne devait pas masquer les résultats incontestables obtenus par la KFOR en faveur de la pacification du Kosovo.
Le ministre de la défense a également rappelé que la fin des hostilités s’était traduite par un renforcement de la prépondérance démographique des populations albanophones. Cette communauté albanophone demeure néanmoins partagée entre les groupes issus de l’UCK, et la mouvance plus modérée incarnée par la Ligue des démocrates du Kosovo (LDK) de M. Ibrahim Rugova. La situation minoritaire de la communauté serbe s’est, quant à elle, accentuée, les populations serbes étant désormais regroupées dans des enclaves pratiquement homogènes et cherchant à se doter, au travers de milices ou de groupes armés, de moyens d’autoprotection.
M. Alain Richard a estimé qu’au Kosovo, certaines forces, encore tentées par la lutte armée, freinaient le retour à la vie normale. C’est dans ce contexte qu’avait été provoquée une remontée de la violence dans la région de Mitrovica où se concentre plus de la moitié de la population serbophone de la province.
Rappelant les tâches très diverses assumées par la KFOR, le ministre de la défense a indiqué que face à la recrudescence des incidents, la France s’était montrée disposée, si nécessaire, à un renforcement de la présence militaire sur le terrain. Il a précisé que certains partenaires de la KFOR avaient, pour leur part, procédé à une diminution de leur contingent depuis l’automne dernier. Après en avoir débattu, le Conseil Atlantique avait jugé qu’un renforcement des effectifs n’était pas indispensable. En revanche, plusieurs unités de la KFOR stationnées dans d’autres zones, ont été appelées en renfort dans la zone de Mitrovica. Pour autant, soumises à des règles d’engagement parfois très limitatives, ces unités n’ont pas toujours pu contribuer efficacement aux opérations de contrôle.
Le ministre a alors souligné le caractère très exigeant et difficile de la mission confiée au contingent français dans la zone géographique qui lui a été attribuée et il a précisé qu’à aucun moment les structures de commandement de la KFOR, ou l’un quelconque de nos alliés, n’avaient souscrit aux allégations de certains organes de presse quant à la partialité de nos forces. Il a insisté sur la nécessité de poursuivre les actions de reconstruction et de renforcer les forces de police affectées à la mission des Nations unies pour le Kosovo (MINUK) dont les effectifs se limitaient à 2 000 hommes au lieu des 4 700 prévus. Il a également évoqué la nécessité d’instaurer un véritable pouvoir judiciaire, le recrutement de juges locaux montrant ses limites.
Estimant que la stabilité du Kosovo était aujourd’hui menacée tant par les affrontements interethniques que par les tensions intracommunautaires et le développement des activités mafieuses, M. Alain Richard a estimé que l’exemple de la Bosnie-Herzégovine montrait que des progrès étaient néanmoins réalisables dès lors que l’action de la communauté internationale pouvait s’inscrire dans la durée et s’appuyer sur un mandat clair. A ce propos, il a souligné qu’il était indispensable de demeurer dans le cadre fixé par la résolution 1244 des Nations unies, c’est-à-dire de continuer à organiser le statut d’ " autonomie substantielle " du Kosovo au sein de la République fédérale de Yougoslavie.
Un débat s’est ensuite engagé avec les membres de la commission.
M. Daniel Goulet a indiqué que ses déplacements au Kosovo lui avaient permis de constater une dégradation de la situation au cours des derniers mois. Il a estimé qu’un renforcement des moyens de la MINUK était préférable à l’envoi d’unités militaires supplémentaires. Il a insisté sur le besoin en forces de police et en moyens de coopération dans le domaine économique ou administratif, en souhaitant que l’action de la communauté internationale et, singulièrement celle de la France, soit à même de conduire les différentes communautés à travailler ensemble pour la reconstruction du Kosovo.
M. André Boyer a demandé des précisions sur l’influence politique actuelle de M. Ibrahim Rugova et sur l’insuffisance des forces de police mises à la disposition de la MINUK.
M. André Rouvière s’est interrogé sur le résultat du travail de réorganisation administrative accompli par la MINUK. Il a demandé dans quelles conditions certains de nos partenaires, au sein de la KFOR, avaient pu décider de la réduction de leurs effectifs.
M. Michel Pelchat a souhaité connaître le montant des fonds consacrés par la communauté internationale à la reconstruction du Kosovo. Il a déploré les critiques qui avaient pu être adressées au contingent français qui accomplissait un travail remarquable dans des conditions très difficiles. Estimant que tous les pays membres de la KFOR ne semblaient pas disposés à s’impliquer autant que nos propres forces, il a souhaité que la France place ses alliés devant leurs responsabilités.
M. Emmanuel Hamel a souhaité connaître le niveau des moyens effectivement engagés par la communauté internationale au regard de celui qui avait été promis et a demandé si la France renforcerait sa participation.
Mme Danielle Bidard-Reydet s’est félicitée que la communauté internationale maintienne l’objectif d’une autonomie substantielle du Kosovo excluant l’indépendance. Elle a souhaité, à cet égard, qu’un signe fort soit adressé en direction de toutes les factions extrémistes. Elle s’est étonnée que tous les contingents de la KFOR n’obéissent pas aux mêmes règles d’engagement, alors qu’au cours des opérations militaires, l’OTAN avait, semble-t-il, su imposer son unité de commandement. Elle s’est enfin interrogée sur le rôle politique susceptible d’être joué par M. Ibrahim Rugova.
M. Robert Del Picchia a souhaité connaître l’état des réflexions menées par la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal en vue de la constitution d’une force européenne de sécurité et de police.
M. Xavier de Villepin, président, évoquant les conditions difficiles dans lesquelles étaient engagés les soldats français, a demandé quelles étaient les dispositions prises en vue de parer à d’éventuelles actions de provocation. Regrettant la confusion qui entourait la question d’un éventuel renforcement de la présence militaire de la KFOR à Mitrovica, il a déploré que les autorités américaines aient, semble-t-il, renoncé à fournir des renforts temporaires en provenance d’autres secteurs de la province. Il a demandé des précisions sur la mise en place de l’état-major de l’Eurocorps au Kosovo. Considérant que l’évolution de la situation sur le terrain avait pu laisser craindre que la communauté internationale délaisse l’objectif fixé lors de l’intervention militaire, à savoir la préservation d’un Kosovo multi ethnique, il a estimé que le cadre défini par la résolution 1244 devait impérativement être respecté. Il s’est enfin inquiété de l’état des deux soldats français blessés à Mitrovica.
En réponse aux commissaires, M. Alain Richard a apporté les précisions suivantes :
- il existe au sein des différentes communautés du Kosovo une véritable aspiration en faveur de la reconstruction et de la paix. Par ailleurs, des crédits spécifiquement destinés à l’organisation de la coopération économique sont dégagés tant par le gouvernement français que par l’Union européenne ;
- M. Rugova dispose d’une réelle audience politique auprès des Kosovars, qui pourra sans doute se manifester à l’occasion des prochaines élections ; cependant, les positions prises par certains membres de l’UCK tendent à accroître la tension dans la région au risque de rendre plus difficile le bon déroulement de ces élections ; l’initiative prise par M. Bernard Kouchner d’associer les différents mouvements kosovars au sein de l’exécutif provisoire de la province reste un atout indéniable ;
- les effectifs prévus de policiers et de gendarmes français au Kosovo (MINUK) s’établissent à 80 hommes pour chacune des deux forces ; le nombre de candidatures a été plus important pour la gendarmerie que pour la police, mais ce déséquilibre devrait progressivement se corriger ; un escadron de gendarmerie mobile est en outre présent à Mitrovica, dans le cadre de la KFOR ;
- le calendrier institutionnel est subordonné à l’avancée des négociations avec les différentes communautés ; les élections dont la date n’a pas encore été fixée seront organisées sous les auspices de l’OSCE qui aura pour charge, en particulier, de préparer les listes électorales ;
- le dispositif institutionnel actuel de la province préserve des liens avec la République fédérale de Yougoslavie ; la tendance naturelle de la minorité serbe à se tourner vers Belgrade n’est pas nécessairement liée à une volonté délibérée de manipulation de la part du Président Milosevic ; les alliés doivent toutefois rester vigilants face à l’éventualité de toute menace de déstabilisation de la part des autorités serbes ;
- la diversité des règles d’engagement des différentes forces alliées présentes au Kosovo apparaît logique dans une coalition, en l’absence d’une quelconque autorité militaire supranationale ;
- les contributions volontaires au dispositif actuel des pays alliés pour l’année 2000 , s’ajoutant aux contributions au budget du département des opérations de maintien de la paix de l’ONU devraient s’établir à 225 millions d’euros ; s’il existe des retards de paiement, ces derniers ne devraient pas compromettre l’effort global ; la participation française, dans le cadre de son intervention au Kosovo pour l’année 1999 (militaire et civile), s’est élevée à 2,8 milliards de francs, soit près de 10 % de l’effort total des alliés ;
- les éventuelles critiques reprises par certains organes de presse étrangers et portées contre l’action de nos forces font l’objet de discussions entre alliés mais ne doivent pas aboutir à de vaines polémiques ;
- il importe de maintenir une bonne articulation entre les forces militaires et les forces de police présentes au Kosovo afin de disposer d’une chaîne de contrôle efficace ; une réflexion plus poussée sur la place de la police internationale dans le cadre des opérations de maintien de la paix apparaît aujourd’hui indispensable ;
- le dispositif français de sécurité a été renforcé afin de répondre aux risques de provocation qui pourraient se présenter ; les forces françaises ont compté dans leurs rangs, à la suite des récents incidents au Kosovo, deux blessés qui sont aujourd’hui hors de danger ; le contingent russe a déploré quant à lui un décès ;
- l’Eurocorps relèvera l’Etat-major Centre Europe de l’OTAN pour assurer le commandement de la Kfor dans un contexte difficile ; il fournira un effectif de 350 personnes que compléteront les quelque 650 hommes provenant des états majors des forces alliées n’appartenant pas à l’Eurocorps ; les conditions de relève de l’Eurocorps, prévue à la mi-octobre, sont à ce jour une source de préoccupation.
Le ministre a alors fait le point sur la coopération européenne en matière de défense à la suite de la réunion informelle des ministres de la défense de l’Union européenne à Sintra (Portugal). Cette réunion avait pour objectif de préparer le Conseil affaires générales du 20 mars prochain qui réunira les ministres des affaires étrangères et les ministres de la défense des quinze Etats membres et permettra de déterminer les conditions de mise en place des futures capacités européennes de défense. Il restera cependant à préciser les conditions de mise en oeuvre de ces capacités ainsi que l’effort financier que devront consentir les Quinze. Avant la fin de la présidence française, une " conférence de générations de forces " sera organisée afin d’affiner la contribution de chaque nation à la force de réaction rapide européenne. Il conviendra également de fixer les modalités de coopération entre l’Union européenne et l’OTAN en matière de défense.
M. Alain Richard a également précisé à l’intention de M. Xavier de Villepin, président, que le principe de critère de convergence dans le domaine de la défense restait d’actualité même s’il convenait de prendre en compte la volonté des Européens de maîtriser la dépense publique dans un contexte général marqué par l’affaiblissement, au sein des opinions publiques, de la perception d’une menace militaire.