Service des Commissions
M. HUBERT VÉDRINE ÉVOQUE DEVANT LES SÉNATEURS LES ENJEUX DE LA PROCHAINE CONFERENCE INTERGOUVERNEMENTALE ET FAIT LE POINT SUR L’ACTUALITE INTERNATIONALE
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le 3 février 2000 M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine a d’abord évoqué l’actualité européenne en rappelant que la conférence intergouvernementale (CIG) s’ouvrirait le 14 février prochain. Dans cette perspective, a-t-il ajouté, chacun des Etats membres de l’Union européenne préciserait sa position sur les trois sujets à l’ordre du jour de la CIG : la repondération des voix au sein du Conseil, l’extension de la majorité qualifiée et le nombre de commissaires. S’il existait, comme le ministre des affaires étrangères l’a observé, un débat pour élargir les discussions à d’autres thèmes, il reviendrait au Conseil européen de Porto, en juin prochain, de se prononcer sur ce point.
Le ministre des affaires étrangères a souligné que les Quinze étaient parvenus en décembre dernier à Helsinki à un compromis satisfaisant sur les conditions de l’élargissement de l’Union européenne en décidant d’ouvrir les discussions pays par pays et non par groupe de pays, comme cela avait été proposé initialement par certains Etats membres. En outre, il a relevé que les Quinze avaient reconnu, comme l’avaient demandé la France, l’Italie et la Belgique, au lendemain de la conclusion du traité d’Amsterdam, la nécessité d’engager une réforme des institutions préalablement à l’élargissement et avaient fixé à 2003 la date à partir de laquelle l’Union serait prête à accueillir les nouveaux Etats membres.
Evoquant alors le débat sur l’organisation future d’une Europe élargie, M. Hubert Védrine, après avoir rappelé que les progrès de la construction européenne avaient été souvent accomplis à l’initiative d’un groupe restreint de pays, a marqué, à cet égard, sa préférence pour une Europe à " géométrie variable " plutôt que pour l’organisation d’un " noyau dur ", afin de laisser à chaque Etat membre qui le souhaiterait la possibilité de participer à des coopérations plus étroites dans différents domaines. Cet aspect de l’évolution institutionnelle était, de l’avis de M. Hubert Védrine, un élément crucial du projet européen qui ne s’identifiait pas seulement à la mise en place d’un espace commercial.
Le ministre des affaires étrangères a commenté la position européenne vis-à-vis de l’Autriche en rappelant que l’adhésion à l’Union européenne impliquait la reconnaissance des valeurs communes inscrites dans les traités et qu’il était en conséquence impossible de ne pas réagir lorsqu’un mouvement politique, qui avait contesté ces valeurs et ces principes, s’apprêtait à participer à une coalition gouvernementale.
Abordant ensuite la situation du processus de paix au Proche-Orient, M. Hubert Védrine a estimé, s’agissant du volet israélo-syrien, qu’une solution sur l’ensemble des points en discussion demeurait possible. Selon le ministre des affaires étrangères, les discussions avec le Liban présentaient davantage de difficultés et un accord de paix devrait, en tout état de cause, éviter d’entériner une présence étrangère dans ce pays ; quant aux négociations entre Israël et les Palestiniens, elles n’avaient enregistré aucune véritable avancée sur les problèmes de fond, même si les deux parties manifestaient une volonté commune de progresser.
M. Hubert Védrine a indiqué, s’agissant de l’Irak, que l’adoption d’une nouvelle résolution par le Conseil de sécurité des Nations unies, avait constitué un progrès certain et il n’a pas exclu une évolution de la position irakienne dans le sens d’une plus grande ouverture.
Le ministre des affaires étrangères a alors abordé la situation en Côte-d’Ivoire en indiquant que la crise qui avait conduit à la chute du Président Konan Bédié avait fait l’objet d’une très grande attention de la part de la France et d’une constante concertation entre le Président de la République et le Gouvernement. Il a rappelé que notre pays avait condamné le coup d’Etat et que l’Union européenne et les pays du groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) avaient engagé, sur la base des accords de Lomé, un dialogue avec la Côte-d’Ivoire pour favoriser le retour à une situation institutionnelle normale. Cette démarche, a-t-il ajouté, avait commencé à porter ses fruits. Il a précisé que le refus de la France d’intervenir dans les affaires intérieures d’un pays auquel nous attachent des liens étroits ne traduisait pas un désengagement vis-à-vis de l’Afrique, comme l’attestait le soutien accordé par notre pays pour assurer la pérennité des accords de Lomé, appuyer la constitution de forces de maintien de paix ou encore favoriser une solution au conflit dans la région des grands lacs.
Le ministre des affaires étrangères, après avoir évoqué la visite qu’il rendrait les 3 et 4 février prochain en Russie où il serait reçu par M. Vladimir Poutine, Premier ministre et Président par intérim, a indiqué qu’il convenait de poursuivre un dialogue de fond avec la Russie tout en rappelant à ce pays la nécessité de favoriser une solution politique au conflit en Tchétchénie.
A la suite de l’exposé de M. Hubert Védrine, un débat s’est engagé avec les commissaires.
M. Christian de la Malène s’est inquiété de ce que les documents publiés par la Commission et le Parlement européen sur les projets de réforme institutionnelle aillent au-delà des trois points définis lors du sommet d’Helsinki par le Conseil européen. Il a par ailleurs relevé l’initiative du Parlement européen tendant à rédiger une convention " constituante " dont le contenu lui paraissait préoccupant.
M. Aymeri de Montesquiou s’est tout d’abord interrogé sur la place future que tiendrait la Grande-Bretagne au sein de l’Union européenne, ce pays semblant soucieux de préserver sa spécificité à cet égard. Il s’est par ailleurs enquis des perspectives électorales iraniennes concernant en particulier les candidats proches du Président Khatami.
M. André Dulait a interrogé M. Hubert Védrine sur l’évolution de nos relations avec la Libye. Il s’est ensuite inquiété de la polémique, apparue dans la presse, concernant les difficultés de certains services des visas et a demandé quelles mesures seraient prises en la matière.
M. Pierre Mauroy a estimé qu’une coopération européenne " à la carte " permettrait de maintenir la dynamique du projet européen, la France ayant, à cet égard, un rôle essentiel à jouer. A propos de l’Autriche, M. Pierre Mauroy a fait remarquer que le mouvement spontané de réaction observé dans toute l’Europe semblait témoigner d’une prise de conscience politique européenne qui lui semblait très positive. M. Pierre Mauroy a ensuite demandé au ministre des affaires étrangères comment la France ou l’Europe entendait appuyer l’action du nouveau président indonésien dans sa volonté de développement et de réforme.
M. Paul d’Ornano s’est interrogé sur la réaction du gouvernement français à l’égard de la polémique récemment développée à Djibouti au sujet du meurtre du juge français, M. Borel.
M. Emmanuel Hamel a souhaité obtenir des précisions sur le programme de M. Jörg Haider et des dangers qu’il pourrait faire encourir à la démocratie. Il s’est ensuite interrogé sur les conséquences qu’aurait l’extension de la majorité qualifiée sur la souveraineté française.
Mme Paulette Brisepierre a souligné que, lors d’un récent déplacement au Proche-Orient, elle avait pu remarquer l’inquiétude des populations au sujet du déroulement du processus de paix. Elle a ensuite souhaité obtenir des informations concernant la situation au Cameroun après l’assassinat d’un de nos compatriotes, qui faisait suite à l’enlèvement d’un enfant français.
M. Xavier de Villepin, président, s’est inquiété de l’évolution négative de l’opinion publique britannique à l’égard de la construction européenne et s’est demandé si la non-participation de la Grande-Bretagne à l’Euro n’entraînerait pas des conséquences négatives pour l’Europe.
Il a ensuite interrogé le ministre sur les modalités de participation éventuelle de notre pays à une force de maintien de la paix de l’ONU en République démocratique du Congo.
Il a émis le voeu que le processus de paix actuellement en cours n’entraîne pas de conséquence négative pour la souveraineté et l’intégrité territoriale du Liban. Il s’est par ailleurs interrogé sur l’avenir des populations palestiniennes installées dans ce pays.
M. Guy Penne a souhaité obtenir des précisions concernant une éventuelle réforme du mode d’élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France.
M. Hubert Védrine a alors apporté les précisions suivantes :
- s’agissant de la réforme institutionnelle européenne, les trois sujets définis à Helsinki demeurent la priorité de la négociation dont l’aboutissement conditionne l’éventuel élargissement de l’ordre du jour de la Conférence intergouvernementale, qui sera conclue sous présidence française. Les propositions ambitieuses de la Commission ne constituent qu’un document de travail parmi d’autres, ce sont in fine les Etats qui feront la décision.
- le Premier ministre britannique témoigne d’une réelle volonté européenne, exprimée notamment dans la relance de l’Europe de la défense. Il est confronté à une certaine résistance de l’opinion publique quant à la participation de la Grande-Bretagne à l’Euro. Une absence durable de la Grande-Bretagne de la zone Euro finirait par représenter un risque pour ce pays lui-même ;
- le principe de fonctionnement de l’Union européenne à " géométrie variable " apparaîtrait moins discriminant que l’option du " noyau dur " pour les pays qui n’y appartiendraient pas. Au demeurant, les modalités des " coopérations renforcées ", telles que définies dans le Traité d’Amsterdam, rendent leur mise en œuvre complexe ;
- l’extension de la majorité qualifiée suppose pour la France une repondération significative des voix au Conseil. Enfin, le compromis de Luxembourg reste toujours valable comme recours ultime ;
- en Iran, le Président en exercice bénéficie d’une grande popularité ;
- le Gouvernement reste très attentif à la sécurité de la communauté française au Cameroun ;
- la mise en œuvre d’une opération de maintien de la paix de l’ONU en République démocratique du Congo suppose la mise en œuvre préalable de l’accord de Lusaka. La France concourrait à cette force en fournissant une partie de la logistique ;
- le Gouvernement français entretient des relations normales avec Djibouti et n’entend pas prendre parti dans une polémique de presse concernant une affaire judiciaire en cours ;
- le problème palestinien est au cœur des négociations entre Israël, la Syrie et le Liban. Une solution définitive sur ce délicat dossier suppose néanmoins que les autres aspects du processus de paix aient abouti ;
- les avancées prudentes à l’égard de la Libye, depuis la décision du Conseil de sécurité de l’ONU, doivent prendre en compte les sensibilités liées aux attentats passés ;
- vis-à-vis de l’Indonésie, la France oeuvre au sein de l’Union européenne pour qu’une aide adaptée soit apportée à ce pays ;
- les difficultés rencontrées par les services des visas trouvent notamment leurs sources dans la réduction constante du budget du ministère des affaires étrangères jusqu’à une période récente et qui l’a conduit à recourir à une proportion excessive de personnels recrutés localement. Le sort de ces services fait l’objet d’une préoccupation constante et d’un contrôle permanent de la part du ministère des affaires étrangères. Un effort budgétaire important est d’ailleurs aujourd’hui entrepris pour la modernisation des consulats, les lieux d’accueil et les procédures de traitement des dossiers à domicile. Des redéploiements d’effectifs sont également en cours. L’Inspection générale des affaires étrangères reste par ailleurs mobilisée sur toutes les questions de fraude. M. Paul d’Ornano, avec M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que les sénateurs des Français de l’étranger avaient souligné auprès de l’auteur de l’article les efforts récemment mis en œuvre par le ministère. Mme Monique Ben Guiga a indiqué qu’elle aurait préféré une présentation plus équilibrée de la situation de ces services ;
- aucun projet de réforme du mode d’élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France n’est, a précisé le ministre, aujourd’hui à l’étude. Toute réflexion sur cette question se ferait, en tout état de cause, dans une parfaite concertation.