Délégation à la planification
2004 : PERSPECTIVES MACROÉCONOMIQUES
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Au cours de la réunion de la Délégation du Sénat pour la Planification du 16 novembre 1999, M. Joël BOURDIN (RI, Eure), a présenté un rapport d’information sur les perspectives économiques à moyen terme (1999-2004).
Ce rapport s’appuie sur des travaux de projection réalisés pour le compte du Sénat à l’aide de modèles macroéconomiques.
Simulations sur un" atterrissage brutal " de l’économie américaine
Après la tempête financière de 1998 et la crise des pays émergents, l’économie mondiale a retrouvé son calme. Après le ralentissement de 1998 (+ 2,3 %), les prévisions de croissance mondiale pour 1999 sont révisées à la hausse (+ 3 %) et celles pour 2000 sont encore plus favorables (+ 3,5 %).
Si le rapport analyse les raisons de cet optimisme, il illustre également la contradiction entre les opportunités réelles de croissance de l’économie mondiale et les risques de crise financière, tant la situation d’endettement de l’économie américaine ne paraît pas durable. Il s’interroge donc sur les conséquences d’un scénario d’" atterrissage brutal " de l’économie américaine.
Ce scénario reposerait sur les enchaînements suivants : des anticipations de chute du dollar, une tension sur les taux d’intérêt à long terme, une aggravation des risques inflationnistes et, enfin, un risque de krach boursier devenu, dans ce contexte, maximal.
La simulation repose ainsi sur plusieurs hypothèses dont une baisse de 2 points des taux longs, une chute de 30 % des cours boursiers aux Etats-Unis et une diffusion aux autres places financières telle que celle qui a été observée dans le passé : en Europe, les cours boursiers baisseraient de 15 % et les taux longs augmenteraient de 1 point.
Selon le modèle OEF, ces évolutions freinent l’activité par trois canaux :
- la chute de la bourse et des marchés obligataires dévalorise le patrimoine financier des ménages. Pour compenser cette " perte de richesse ", leur taux d’épargne augmente et la consommation diminue ;
- le durcissement des conditions de financement (hausse des taux) agit directement sur la consommation et l’investissement ;
- enfin, la rentabilité de l’investissement est affectée par la hausse des taux.
Les conséquences en termes de croissance sont les suivantes :
- aux Etats-Unis, le taux de croissance serait inférieur de 0,4 point la première année et 0,9 point la deuxième année ;
- en Europe, de 0,2 point pendant deux ans (les conséquences pour la France seraient sensiblement identiques à celles pour l’ensemble de la zone euro) ;
- au Japon, de 0,3 point la première année et de 1 point la seconde.
Ce scénario de crise financière n’est cependant pas le plus défavorable, dans la mesure où il suppose une détente assez rapide des taux d’intérêt après l’intervention d’un krach boursier et ne prend pas en compte la possibilité d’enchaînements cumulatifs : une chute du dollar, dont les effets ne sont pas pris en compte dans les résultats ci-dessus, pourrait avoir pour conséquence une tension durable sur les taux d’intérêt et, en Europe, une dégradation de la compétitivité et de l’activité.
La croissance européenne à moyen terme : l’investissement, facteur clé
Le rapport rappelle que les prévisions se réfèrent généralement à la notion de " croissance potentielle " et que celle-ci étant fondée sur l’observation du passé, elles ont une valeur prédictive assez faible. En effet, elles présentent la croissance des capacités de production comme un invariant, comme si les prévisions d’investissement n’avaient aucun impact. Or, les développements récents de l’économie américaine illustrent l’importance de l’accumulation de capital dans un scénario de croissance élevée.
Cette analyse est corroborée par une simulation réalisée à l’aide du modèle OEF. Celle-ci évalue à œ point de croissance supplémentaire chaque année l’impact d’un dynamisme des investissements analogue en France à celui que connaissent les Etats-Unis (soit une augmentation de 10 % par an).
Taxe TOBIN : une fausse bonne idée
Le rapport consacre une analyse détaillée aux propositions visant à limiter l’instabilité financière par l’instauration d’une taxation des transactions de change (taxe TOBIN), qui permet de répondre aux trois questions suivantes :
Qui paierait cette taxe ?
Les transactions interbancaires - 80 à 90 % des opérations de change - n’existent que parce que les coûts de transactions sont très faibles. Ces opérations d’arbitrage, qui contribuent à la liquidité des marchés des changes, disparaîtraient pour la plupart si une taxe TOBIN était instaurée. La taxe TOBIN ne serait donc qu’une taxe sur le commerce international et sur l’épargne investie à l’étranger par les OPCVM, les assurances, les fonds de pension et les fonds de placement, au détriment des économies qui importent des capitaux, en premier lieu les pays émergents.
La mise en œuvre d’une taxe TOBIN serait-elle techniquement possible ?
L’assiette de la taxe devrait recouvrir non seulement les transactions au comptant, mais aussi les opérations à terme (swaps, options, futures), sinon les échanges de devises s’effectueront par le biais de montages complexes sur les marchés dérivés, traditionnellement plus instables : la taxe produirait peu de recettes et plus d’instabilité. Mais cela suppose notamment que la réglementation s’étende constamment aux nouveaux produits imaginés par les opérateurs pour la contourner. Or l’expérience des contrôles des changes démontre que le législateur est toujours perdant à ce jeu.
En outre, la taxe TOBIN devrait être instaurée simultanément sur l’ensemble des grandes places financières. Sinon les activités et les emplois liés aux marchés des changes se délocaliseront vers des pays " hors taxe ", notamment vers les places financières off-shore, ce qui favoriserait l’évasion fiscale et le blanchiment des capitaux. Or, la plupart des pays anglo-saxons sont traditionnellement opposés au principe d’une taxe " internationale ", sceptiques devant l’efficacité d’un contrôle des changes et enclins à croire que la faculté pour les épargnants de retirer leurs capitaux exerce à long terme une contrainte salutaire sur les politiques économiques.
La taxe TOBIN limiterait-elle l’instabilité financière ?
Rien n’est moins sûr. Aucune étude empirique n’a jamais pu mettre en évidence un lien net entre les coûts de transaction et la liquidité des marchés, d’un côté, l’ampleur de leurs fluctuations à moyen terme, de l’autre. Le marché immobilier parisien s’est ainsi caractérisé par la formation de bulles spéculatives et de grandes fluctuations de prix, alors même que les coûts de transaction y sont de l’ordre de plusieurs pour cents. Il en est de même des bourses, où les coûts de transactions sont beaucoup plus élevés que les taux proposés pour la taxe TOBIN.
Par ailleurs, l’instauration d’une taxe TOBIN ne saurait prévenir le renouvellement de crises de change comme celles qu’ont connues les économies dynamiques d’Asie, la Russie ou le Brésil : les coûts de transaction sur leurs marchés financiers (de 0,1 % à 2 % environ) dépassaient déjà les taux proposés pour la taxe TOBIN et se sont encore accrus en période de crise. Il est d’ailleurs évident que des coûts de transaction de plusieurs pour cents ne sauraient décourager des spéculateurs qui anticipent une dévaluation de 30 ou 40 % du taux de change.
De même, l’instauration d’une taxe TOBIN ne paraît guère en mesure de limiter le risque systémique : on voit mal par quels mécanismes la taxe TOBIN pourrait dissuader des prises de risque excessives. Par ailleurs, moins les marchés sont liquides, moins il y a d’opérateurs, plus les marchés sont concentrés, et plus ils sont vulnérables aux risques de manipulation de cours et aux comportements mimétiques. Enfin, lorsque les intervenants savent qu’un marché est peu liquide, ils sont davantage enclins à des mouvements de panique.
Le rapport conclut ainsi que la taxe TOBIN n’est aujourd’hui qu’une fausse bonne idée, qui occulte les véritables débats sur la régulation de la sphère financière.
Perspectives à moyen terme pour l’économie française :
le retour de la demande intérieure ?
Le scénario qui est présenté est globalement favorable : l’économie française retrouverait au cours des années 1999 à 2004 une croissance relativement soutenue (+ 2,8 % par an en moyenne, dont + 2,6 % en 1999 et + 3,5 % en 2000), supérieure à celle de la moyenne de ses partenaires européens (+ 2,5 % par an), en raison d’un phénomène de rattrapage du retard pris pendant la première moitié des années 90, et très supérieure à celle des années 1991 à 1998 (+ 1,7 % par an en moyenne).
Ceci s’explique en projection par le type de reprise que connaît l’économie française depuis 1998 : le secteur marchand a créé 325.000 emplois en 1998 et en créerait 220.000 en 1999, évolution qui se traduit par une accélération de la progression du revenu des ménages.
Cette situation de départ suscite, selon le modèle, des enchaînements favorables et un redressement de la demande intérieure : celle-ci progresserait de 2,6 % par an entre 1999 et 2004 (contre + 1,1 % par an entre 1991 et 1997).
Le rapport montre ainsi qu’un " message " essentiel de la projection n’est certes pas que la reprise de la demande intérieure sera durable - un choc d’origine externe ou interne sur l’économie française peut en effet inverser les évolutions en cours -, mais qu’elle est d’autant plus solide qu’elle se produit sans endettement des agents privés et que subsiste un potentiel de rattrapage important à la suite du ralentissement de la première moitié des années 90 (on peut en effet observer qu’en 1990, le niveau de la consommation privée était en France, en parité et pouvoir d’achat, supérieur de 7 % environ à la moyenne européenne, mais qu’entre 1990 et 1998, il avait baissé pour rejoindre cette moyenne).
Chômage
Malgré la forte progression de l’emploi (+ 1,6 million d’emplois supplémentaires en six ans dans la projection), le chômage resterait néanmoins à un niveau élevé en 2004 (9,3 % pour le taux de chômage), comparable à celui de 1990. On observe ainsi qu’en dépit de périodes de croissance soutenue, l’économie française n’arrive pas à mordre significativement dans la part non conjoncturelle du chômage, laquelle, par sédimentations successives, paraît s’être établie à un niveau élevé, de l’ordre de 8 ou 9 % de la population active. Dans ces conditions, il paraît prématuré d’évoquer, au moins pour le moyen terme, un " retour au plein emploi ".
35 heures : des prévisions de créations d’emplois revues à la baisse
L’impact des 35 heures sur l’économie française constitue par ailleurs une forte incertitude pour le moyen terme.
Le rapport propose des éclairages sur les quatre inconnues des 35 heures : le bilan, les perspectives, l’équilibre macroéconomique des accords et leur financement.
Le bilan est encore incertain : comme le montrent aussi bien l’analyse économique des accords, que les précisions apportées par les ministres de l’Emploi et de l’Economie, l’idée selon laquelle les 35 heures ont d’ores et déjà effectivement créé 100.000 emplois dans l’économie française relève d’une incompréhension du bilan d’étape effectué par le ministère de l’Emploi en septembre dernier.
Les perspectives sont encore plus incertaines : à la demande su Sénat, l’OFCE a effectué une nouvelle simulation des effets des 35 heures, qui s’appuie sur le bilan des premiers accords. Cette simulation révise nettement à la basse les estimations antérieures de l’impact des 35 heures sur l’emploi (400.000 créations d’emplois au lieu de 700.000).
Mais surtout, cette simulation montre que l’équilibre macroéconomique des accords est fragile : la mise en œuvre des 35 heures pourrait spontanément détériorer les comptes des entreprises comme des administrations publiques, ce qui n’est évidemment pas de nature à créer les conditions favorables au dynamisme de l’investissement.
Le rapport s’interroge ensuite sur la méthode retenue par le Gouvernement pour financer les 35 heures : est-il cohérent de vanter les mérites des 35 heures, tout en s’efforçant de les financer ex-ante au franc le franc, comme si la réduction du temps de travail n’avait aucun effet favorable sur l’évolution de l’emploi ? Pourquoi financer les aides liées aux 35 heures à partir d’un bric-à-brac de prélèvements affectés, en lieu et place d’une réflexion sur le niveau et la structure optimale des dépenses publiques en faveur de l’emploi ?
Comment peut-on réclamer aux organismes de sécurité sociale et à l’UNEDIC de ristourner par avance le surcroît des recettes résultant d’une dépense publique et ce, sur la base de projections macroéconomiques par essence aléatoires ? Est-il souhaitable que des taxes destinées à l’origine à lutter contre des nuisances (comme la taxe sur le tabac ou la TGAP) se voient de facto assigner un objectif de rendement fiscal, au risque d’en perdre une part de leur légitimité et de leur caractère " pédagogique " ? N’est-il pas paradoxal de financer des aides " pérennes " avec des taxes qui ont vocation à réduire leur assiette, donc à disparaître ? Pourquoi les estimations du coût des 35 heures pour les finances publiques n’intègrent-elles ni le coût des 35 heures dans les grandes entreprises publiques, ni le coût des 35 heures dans les trois fonctions publiques, ni les surcoûts induits pour les finances locales par la mise en œuvre des 35 heures dans les établissements médico-sociaux ?
Enfin, le rapport souligne un des enseignements de la projection de l’OFCE. Dès lors que les 35 heures tendent spontanément à détériorer les comptes des entreprises, instituer de nouveaux prélèvements sur les entreprises (comme la contribution sociale sur les bénéfices nets ou la TGAP) plutôt que sur les ménages fait donc " payer " aux entreprises deux fois la réduction du temps de travail : une fois, via les coûts de réorganisation et de compensation salariale ; une seconde fois via les nouveaux prélèvements.
Par ailleurs, le choix d’une écotaxe pour financer les allégements de charges liés aux 35 heures est peu opportun : en effet, les effets inflationnistes de l’écotaxe se cumuleraient avec le choc inflationniste induit par les 35 heures pour pénaliser la compétitivité de l’économie française.
Politique budgétaire : quelles " marges de manoeuvre " ?
Le redressement de la croissance économique permettrait un relatif rétablissement des comptes publics, le déficit serait ramené à 1,5 % du PIB et le ratio dette publique/PIB baisserait à partir de 2000.
Le rapporteur considère toutefois que ce résultat est loin d’être rassurant. Il rappelle en effet qu’en 1990, au terme d’une période de croissance soutenue, la France connaissait un déficit public de l’ordre de 1,5 % du PIB qui ne lui a pas permis de faire face au ralentissement de l’activité puis à la récession de 1993 dans des conditions satisfaisantes (la récession de 1993 avait porté le déficit public à 5,8 % du PIB).
Il a souhaité que les mêmes erreurs ne se renouvellent pas dans la période de croissance soutenue qui paraît se dessiner et rappelle en outre qu’il faut se préparer d’ores et déjà à la dégradation attendue des régimes de retraite qui devrait être équivalente à 1,5 % du PIB entre 2005 et 2010.
Le débat que l’on voit poindre sur des " marges de manoeuvre budgétaires " apparaît ainsi tout à fait prématuré. Dans cette période de reprise - espérée - de la croissance, une bonne politique budgétaire consisterait à fixer un objectif à moyen terme de maîtrise des dépenses et de réduction des déficits publics plus ambitieux. Cela suppose en particulier une maîtrise accrue des dépenses de l’ensemble de la fonction publique (principal poste de dépense) dont jusqu’à présent l’augmentation n’a pas été véritablement freinée. Cela passe par une stabilisation des effectifs publics, mais l’introduction des 35 heures dans la fonction publique - qui se traduira inévitablement par une augmentation des effectifs - rend cet objectif très incertain.
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La principale conclusion qui se dégage de ces travaux de projection est la suivante : très déprimée au cours de la première moitié des années 1990, la demande intérieure française paraît établie aujourd’hui sur des bases solides. La politique économique doit donc être très attentive aux conditions qui permettront à l’offre productive d’accompagner ce mouvement, en particulier par une accélération de l’investissement productif qui est la clé d’une croissance durablement élevée pour les prochaines années.
L’orientation actuelle de la politique budgétaire ou encore les mesures de financement des 35 heures ne paraissent pas correspondre à cet objectif.
Sommaire résumé du rapport
Un scénario de crise financière aux Etats-Unis : Quelles conséquences pour l’économie mondiale ? (page 11)
La croissance européenne à moyen terme : l’investissement, facteur clé (page 15)
- Que peut-on attendre d’une nouvelle dynamique technologique ? (page 24)
Peut-on limiter l’instabilité financière en taxant les mouvements internationaux de capitaux ? (page 27)
Principaux enseignements d’une projection de l’économie française à l’horizon 2004 (page 37)
Conclusions (page 43)
Population active et chômage (page 46)
Les inconnues des 35 heures (page 48)
Les tendances des finances publiques (page 67)