Service des Commissions

commission d’enquête sur la conduite de la politique de sécurité menée par l’Etat en Corse

Paris, le 17 novembre 1999

NOTE DE PRESSE

A l’initiative des présidents des quatre groupes de sa majorité, le Sénat a constitué le 19 mai 1999 une commission d’enquête sur la conduite de la politique de sécurité menée par l’Etat en Corse.

La commission a choisi de centrer son analyse sur la période récente, de l’assassinat du préfet Erignac jusqu’à l’épisode de l’incendie de la paillote " Chez Francis ", cette courte période ayant révélé les dysfonctionnements les plus graves en Corse en matière de sécurité.

Au terme de six mois de travaux, après avoir entendu plus de 70 responsables à un titre ou à un autre de la politique de sécurité en Corse, et s’être déplacée à Ajaccio en formation plénière, ce qui constitue une première pour l’institution, quelles sont les observations générales retirées par la commission d’enquête du Sénat ?

- l’insécurité reste d’abord une donnée récurrente en Corse et cette situation ne s’est pas améliorée de manière significative en dépit de l’affectation dans l’île de forces de l’ordre très importantes et de la mise en place d’un cadre institutionnel et juridique particulier, notamment pour lutter contre le terrorisme ;

- cette insécurité se traduit par une criminalité spécifique qui entretient des liens évidents avec le fait nationaliste et l’émergence d’un phénomène pré-mafieux dont les pouvoirs publics ne semblent pas encore avoir pris la mesure ;

- la Corse est pourtant surencadrée et sur-administrée : pour deux départements qui ne regroupent qu’une population inférieure à celle d’un arrondissement de Marseille, l’île dispose de trois préfets, de huit sous-préfets, de deux conseils généraux, d’une assemblée territoriale, d’un conseil exécutif et de tous les échelons départementaux et régionaux pour les services de police, de gendarmerie et de justice ;

- les services de sécurité y sont pléthoriques : le taux d’encadrement en matière de sécurité est deux fois supérieur à celui du continent, soit un policier ou un gendarme pour 100 habitants ; ce surencadrement se traduit en fait par un sous-emploi des forces de sécurité et une concurrence souvent stérile entre services ;

- des forces de sécurité peu efficaces : à une police " poreuse " et donc peu opérationnelle du fait de son origine insulaire, mais aussi en raison d’un fort absentéisme, répond une gendarmerie quasi exclusivement originaire du continent qui reste étrangère à l’île et qui n’est pas en mesure d’assurer sa fonction traditionnelle de renseignement ; son efficacité est d’ailleurs hypothéquée par la fréquence des gardes statiques autour des petites brigades qui constituent autant de cibles faciles pour les terroristes ; ces caractéristiques imposent un recours important aux forces non permanentes (escadrons de gendarmerie mobile et CPS) ;

- les juges du pool anti-terroriste parisien sont en concurrence avec les magistrats locaux pour les affaires de terrorisme qui sont réparties entre les juges selon des règles peu claires, ce qui ne contribue pas à faciliter l’instruction de ces affaires ;

- il convient de saluer le récent renouvellement des responsables de la sécurité en Corse (magistrats, PJ...) qui augure d’une nouvelle politique de fermeté de l’Etat ; il reste que le " dépaysement " judiciaire de certaines affaires, comme celle des paillotes, serait sans doute bienvenu pour un fonctionnement serein de la justice ;

- les élus républicains de l’île devraient nécessairement être associés à une nouvelle politique de sécurité qui conditionne le développement économique de la Corse ; cette association suppose cependant une condamnation claire des dérives des nationalistes extrémistes qui n’est venue pour l’instant ni de l’assemblée territoriale, ni a fortiori du groupe des élus nationalistes ;

- la " guerre traditionnelle " entre les services de sécurité est exacerbée par des conflits de personnes qui s’expriment avec une intensité incompatible avec les règles déontologiques du service public (rivalités entre juges anti-terroristes, dénonciations entre services, relations exécrables entre magistrats et le représentant de l’Etat...) ;

- ces rivalités personnelles ont contribué pour une large part aux graves dysfonctionnements qui ont été constatés dans la conduite de l’enquête Erignac, dans son déroulement et dans l’interpellation des assassins présumés du préfet, certains d’entre eux ayant facilité la fuite d’Ivan Colonna.

Au total, la commission d’enquête du Sénat a constaté que la Corse a été le siège au cours de la période récente de désordres confondants en matière de sécurité, que ceux-ci n’ont pas été portés assez rapidement à la connaissance des plus hautes autorités de l’Etat, et que les pouvoirs publics n’y ont réagi que trop tardivement.