Service des Commissions

M. PIERRE MOSCOVICI EVOQUE DEVANT LES SENATEURS L’ACTUALITE EUROPEENNE (EUROPE DE LA DEFENSE, ELARGISSEMENT, REFORME DES INSTITUTIONS, CONFERENCE DE SEATTLE)

 Réunie sous la présidence de M. Xavier de Villepin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a entendu le mercredi 10 novembre 1999, M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Pierre Moscovici a tout d’abord rappelé que l’actualité européenne de ces derniers mois avait été marquée par l’investiture, le l5 septembre dernier, de la nouvelle Commission dirigée par M. Romano Prodi et par la réunion du nouveau Parlement européen. Il a ensuite centré son intervention sur quatre domaines :

- la politique européenne de défense dans la perspective des décisions qui doivent être prises par le Conseil européen d’Helsinki ;

- l’évolution du processus d’élargissement à la suite du rapport de la Commission du 13 octobre dernier ;

- la question de la réforme des institutions ;

- et l’ouverture prochaine d’un nouveau cycle des négociations commerciales multilatérales.

M. Pierre Moscovici a tout d’abord tenu à souligner les bouleversements intervenus en quelques semaines dans le paysage européen de l’industrie aéronautique et de l’armement. Il a noté que le marché européen serait désormais dominé par deux acteurs : Bristish Aerospace, d’une part, et EADS, résultant de la fusion d’Aérospatiale-Matra et de Dasa, d’autre part. Ces deux groupes seront à même d’affronter la concurrence internationale, notamment américaine, et disposeront des moyens nécessaires pour rivaliser en matière de recherche et développement. Le ministre a par ailleurs relevé la création d’une grande société européenne spécialisée dans les missiles, qui regroupera Aerospatiale-Matra, British Aerospace et Finmeccanica, et qui sera au deuxième rang mondial dans ce secteur.

M. Pierre Moscovici a ensuite précisé que la position française lors du sommet d’Helsinki serait fondée sur le principe d’une Europe de la défense dotée de capacités lui permettant d’intervenir dans la gestion des crises, aussi bien avec l’Alliance atlantique que sans elle. Tirant notamment les enseignements nécessaires de la crise du Kosovo, la France a présenté un plan d’action destiné en particulier à favoriser un mécanisme de décision plus efficace. Sur cette base, M. Pierre Moscovici a indiqué que le Conseil européen d’Helsinki pourrait adopter deux types d’orientations :

- sur les capacités en matière de défense, l’identification des domaines considérés comme prioritaires, pour asseoir l’autonomie d’action de l’Union : renseignement et projection des forces, restructuration des forces armées des Etats membres, mise en cohérence et adaptation des forces multinationales européennes aux missions de gestion des crises et, enfin, renforcement d’une base industrielle et technologique de défense ;

- sur les outils institutionnels : la mise en place d’une part du comité politique et de sécurité (COPS), organe permanent composé de diplomates de haut rang et placé sous l’autorité du conseil Affaires générales, et d’autre part d’un comité militaire composé des chefs d’état-major des Quinze.

M. Pierre Moscovici a également affirmé que la France serait favorable à la définition de " critères de convergence " permettant de définir notamment des objectifs de rapprochement des budgets nationaux consacrés à la défense, soit pour les Quinze, soit pour quelques-uns d’entre eux. Il a par ailleurs fait remarquer que l’approbation de l’OCCAR (organisation conjointe de coopération en matière d’armement) par le Sénat permettrait d’approfondir la coopération européenne en la matière.

Evoquant alors l’élargissement de l’Union européenne, M. Pierre Moscovici a fait référence au rapport de la Commission européenne, publié le 13 octobre dernier, dans lequel elle recommande au Conseil européen d’ouvrir en l’an 2000 les négociations avec tous les pays candidats et de conférer à la Turquie le statut plein et entier de candidat. Il lui a semblé important que la Commission ne recommande pas d’accélérer le calendrier et qu’elle n’ait pas fixé de date in abstracto pour l’adhésion des pays candidats. Il a rappelé le lien établi avec l’achèvement de la réforme institutionnelle et souligné que la France veillera à ce que ne soient pas marginalisés les six candidats du second groupe.

Revenant sur l’importance de la réforme institutionnelle, M. Pierre Moscovici a estimé qu’il convenait, dans le cadre de la prochaine conférence intergouvernementale, de se montrer réalistes et raisonnablement ambitieux en traitant de manière prioritaire les questions qui n’ont pu être résolues à Amsterdam (composition de la Commission, extension du champ de vote à la majorité qualifiée et repondération des voix au Conseil).

Le ministre a ainsi estimé qu’il serait prématuré d’entreprendre dès maintenant la constitutionnalisation des traités au risque de faire échouer l’ensemble du processus. A titre personnel, M. Pierre Moscovici a marqué son intérêt pour les propositions contenues dans le récent rapport du commissariat général au Plan, élaboré sous la direction de M. Jean-Louis Quermonne : la modification du système de présidence tournante du Conseil, le renforcement du rôle de coordination du Conseil Affaires générales, le recours plus fréquent à des coopérations renforcées, et la mise en place d’" un pacte constitutionnel refondateur " destiné à rapprocher l’Europe de ses citoyens.

M. Pierre Moscovici s’est enfin attaché à préciser quelle serait la position européenne lors de la prochaine conférence de Seattle qui doit lancer un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales. Il a souligné que le mandat donné à la Commission répondait aux préoccupations françaises dans la mesure où il posait pour principe que les négociations devaient être globales et élargies à des sujets qui n’avaient pas encore fait l’objet de négociations lors de " l’Uruguay round " et où il préservait le modèle européen en matière d’agriculture et de politique culturelle et audiovisuelle.

Toutefois, le ministre a estimé que les négociations seraient difficiles puisque les premières propositions des Etats-Unis et du " groupe de Cairns " étaient très éloignées des positions européennes. Il s’est néanmoins félicité que l’Europe aborde ces négociations de manière plus unie que lors du précédent cycle.

A la suite de l’exposé du ministre délégué, M. Robert Del Picchia s’est interrogé sur la nature du statut de candidat qui pourrait être reconnu par le Conseil européen à la Turquie. Il s’est demandé si l’absence de la France dans la construction du futur véhicule blindé européen ne constituait pas un échec pour l’Europe de la défense. Il a souhaité par ailleurs obtenir des précisions sur la position des pays neutres au sein d’un éventuel état-major réunissant les quinze pays membres de l’Union européenne. Enfin, il a demandé au ministre délégué de préciser la position du gouvernement vis-à-vis des notions de " diversité culturelle " et d’" exception culturelle ".

M. André Rouvière a interrogé M. Pierre Moscovici sur les perspectives d’adhésion de Chypre à l’Union européenne et sur la prise en compte de la situation de Chypre dans les négociations qui pourraient s’ouvrir avec la Turquie. Il a demandé quels signes d’ouverture pourraient être adressés par l’Union européenne à la Moldavie. Il a souhaité enfin obtenir des précisions sur le calendrier prévisible de la réforme institutionnelle.

M. Serge Vinçon a demandé quelles étaient les réactions de nos partenaires vis-à-vis des propositions formulées par la France en matière de défense européenne.

M. Xavier de Villepin, président, a souhaité obtenir des précisions sur la position du gouvernement à l’égard d’une éventuelle Constitution européenne. Il s’est interrogé par ailleurs sur les risques que la France pourrait courir si elle refusait de participer aux prochaines négociations de Seattle. Il a demandé en outre au ministre délégué quels seraient les moyens dont disposerait le nouveau Haut-Représentant pour la PESC. Enfin, il a interrogé M. Pierre Moscovici sur la possible extension des mécanismes de coopérations renforcées à la PESC et sur les réactions européennes vis-à-vis de l’intervention russe en Tchétchénie.

En réponse aux questions des commissaires, le ministre délégué aux affaires européennes a apporté les précisions suivantes :

- les relations entre la Grèce et la Turquie avaient évolué dans un sens positif, notamment à la suite de l’élan de solidarité suscité par le tremblement de terre en Turquie, et aussi grâce à l’action dynamique des ministres des affaires étrangères de ces deux pays ; la reconnaissance de la candidature de la Turquie par le Conseil européen ne signifierait pas dans l’immédiat l’ouverture de négociations, mais impliquerait à terme l’intégration de ce pays au sein de l’Union européenne ; s’agissant de Chypre, on pouvait espérer des avancées vers une réconciliation nationale et souhaiter l’adhésion d’une île réunifiée à l’Union européenne ;

- la position de la France en ce qui concerne le véhicule blindé construit par les Allemands et les Anglais ne devait pas être interprétée comme un échec de l’Europe de la défense ; notre pays s’attachait à convaincre nos partenaires de l’intérêt des propositions françaises en matière de politique de la défense ; le sommet d’Helsinki pourrait marquer quelques avancées dans ce domaine, notamment sur le comité politique et de sécurité ;

- l’ " exception culturelle " constituait le moyen pour parvenir à la " diversité culturelle " en donnant aux " produits de l’esprit " un statut spécifique, comme le souhaitait la France dans le cadre du prochain cycle de négociations de l’OMC ;

- la Moldavie avait vocation, à terme, à appartenir à l’Union européenne, même si ce processus prendrait nécessairement du temps ;

- la réforme des institutions devra précéder l’élargissement ; à l’issue de la négociation relative à cette réforme, s’ouvrira une seconde phase consacrée aux ratifications nécessaires ; l’Union européenne pourrait alors, à la fin de l’année 2002 ou dans le courant de l’année 2003, se montrer prête à accueillir les pays candidats et à accélérer la conclusion des négociations dans ce sens ;

- le principe d’une Constitution européenne soulevait d’abord une réserve d’ordre pratique dans la mesure où l’inscription de cette question controversée à l’ordre du jour des négociations sur la réforme institutionnelle conduirait à retarder le processus d’élargissement ; en outre, l’Europe politique se construit par strates successives, de manière progressive, au fil du temps, sans qu’il soit nécessaire, pour l’heure, de formaliser ces acquis dans un texte unique ;

- la politique de la " chaise vide " à Seattle constituerait un risque majeur pour la France qui ne pourrait pas, dès lors, influencer les bases sur lesquelles s’ouvrirait la prochaine négociation ; notre pays cherchait à trouver au sein du groupe des pays en développement des soutiens aux positions qu’il défendait ;

- M. Javier Solana, Haut représentant pour la PESC, assumera également les fonctions de secrétaire général du Conseil, assisté dans cette tâche  par le secrétaire général adjoint, poste occupé aujourd’hui par l’un de nos compatriotes ; il pourra s’appuyer sur les grandes diplomaties européennes et, notamment, sur la diplomatie française ; quelques questions restaient toujours à trancher, notamment la présidence du COPS qui pourrait être décidée lors du sommet d’Helsinki ; le principe de coopérations renforcées pourrait s’étendre de manière pragmatique à la PESC.

Enfin, M. Pierre Moscovici a indiqué sa disponibilité pour rendre compte aussi régulièrement que possible devant le Sénat des travaux de la présidence française de l’Union européenne au deuxième semestre 2000.