Service des Commissions

M. Hubert Védrine présente devant les sénateurs

les résultats du Sommet de l’alliance atlantique

et fait le point sur l‘évolution de la crise au Kosovo

La commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, élargie aux membres de la Conférence des Présidents du Sénat et en présence de M. Christian Poncelet, Président du Sénat, a entendu le 29 avril 1999 M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères.

M. Hubert Védrine a d’abord souligné que le dernier sommet de l’Alliance Atlantique à Washington avait fait l’objet de longues négociations préalables. Il a rappelé que les Etats-Unis proposaient, d’une part, d’élargir les missions confiées à l’OTAN, d’autre part d’étendre la zone de compétence géographique de cette organisation, et enfin de reconnaître en faveur de l’Alliance une capacité d’intervention indépendante des décisions des Nations Unies. Il a observé que ces positions reposaient sur la volonté américaine de prendre en compte des menaces d’un type nouveau et d’assurer la pérennité de l’OTAN après l’effondrement de l’Union soviétique.

Revenant alors sur l’articulation entre les responsabilités respectives du Conseil de sécurité et de l’Alliance atlantique, le ministre des Affaires étrangères a souligné que l’accord donné par la France à l’automne dernier pour permettre à l’OTAN d’agir, y compris par des moyens militaires, dans le cadre de la crise du Kosovo -alors même que les trois résolutions des Nations Unies, malgré leur caractère très circonstancié, n’avaient pas prévu de manière explicite le recours à la force- revêtait un caractère exceptionnel lié à la violation systématique des obligations de ces résolutions et au blocage qui en résulte. Les Etats-Unis au contraire, a ajouté le ministre, souhaitaient ériger l’autosaisine de l’OTAN comme un principe valable de manière générale.

M. Hubert Védrine a indiqué que la négociation s’était poursuivie sur ce point jusqu’à la veille du sommet de Washington : la France, qui s’appuyait notamment sur la référence que l’article 7 du traité de l’Atlantique-nord fait à la Charte des Nations Unies, a fermement défendu la primauté qui doit revenir au Conseil de sécurité ; les Etats Unis ont alors, a ajouté le ministre des Affaires étrangères, retiré leurs propositions visant à donner à l’Alliance atlantique une capacité d’autosaisine et accepté d’inscrire dans les textes adoptés plusieurs mentions au rôle des Nations-Unies et, en particulier, du Conseil de sécurité.

Le ministre des Affaires étrangères a ensuite évoqué la volonté partagée par la France et le Royaume-Uni de mieux faire reconnaître l’objectif d’une identité européenne de sécurité et de défense au sein de l’Alliance. Il a rappelé à cet égard les réticences que soulevait cette question auprès des membres de l’OTAN qui n’appartiennent pas à l’Union européenne. M. Hubert Védrine a toutefois souligné que le communiqué adopté à l’issue du sommet ainsi que la déclaration relative au concept stratégique saluaient de manière satisfaisante l’identité européenne de défense et de sécurité.

Le ministre des Affaires étrangères a relevé que le sommet de Washington avait illustré le rayonnement de l’OTAN, notamment vis-à-vis des pays qui ne sont pas encore membres de l’Alliance mais souhaiteraient le devenir. Il a cité à cet égard la réunion des sept pays de la zone balkanique, ainsi que les rencontres avec les Etats membres du Conseil de partenariat euroatlantique et ceux du " groupe de Minsk ".

M. Hubert Védrine a souligné que les représentants des 19 Etats membres de l’Alliance atlantique avaient à l’unanimité rappelé les objectifs de l’action conduite au Kosovo et leur détermination à renforcer la pression sur les forces serbes, tout en poursuivant la même stratégie.

Evoquant l’évolution de la situation au Kosovo, M. Hubert Védrine a observé que les Alliés poursuivaient leur réflexion sur le contenu du règlement politique qui devra nécessairement suivre la fin du conflit. Il a souligné à cet égard leur commun accord sur la nécessité d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, la reconnaissance d’une autonomie substantielle du Kosovo et la nécessité, pour la communauté internationale, de garantir une protection du Kosovo dans des conditions qui restaient à déterminer. Le ministre des Affaires étrangères a également relevé que les discussions continuaient sur la composition et sur le mode de fonctionnement et de commandement de la future force internationale qui devra être mise en place. Il a rappelé l’attention accordée au dialogue avec les autorités russes afin de favoriser une issue à la crise actuelle. Il a enfin constaté, à la suite du limogeage du vice-premier ministre yougoslave, M. Draskovic, que les positions adoptées par cette personnalité traduisaient une opposition à M. Milosevic et non pas une évolution des positions des autorités serbes.

A l’issue de cet exposé, un débat s’est engagé entre les sénateurs et le ministre.

M. Christian de La Malène s’est interrogé sur la nature des buts de guerre aujourd’hui poursuivis par l’Alliance. Il s’est demandé si, au stade actuel, les objectifs qui avaient motivé l’engagement des frappes aériennes n’étaient pas passés au second plan derrière la question du prestige des Etats Unis et celle de la crédibilité de l’OTAN. Il s’est fortement inquiété du manque de perspectives résultant, à ses yeux, de la poursuite de la stratégie politique et militaire de l’Alliance. Citant l’exemple de l’Irak, dont le régime politique n’a pas évolué malgré l’embargo et les frappes aériennes, il a émis la crainte que la situation ne demeure figée si M. Milosevic ne cédait pas.

M. Robert del Picchia s’est demandé quels moyens de pression resteraient à la disposition de l’Alliance lorsque tous les objectifs stratégiques auront été atteints à l’issue de la campagne aérienne. Faisant allusion aux positions prises par M. Draskovic, il a souhaité savoir si l’on pouvait envisager une évolution de l’opinion publique serbe à l’égard de ses dirigeants.

Mme Danielle Bidard-Reydet a indiqué que le Parlement japonais venait d’accepter de modifier la teneur du traité de sécurité entre le Japon et les Etats-Unis dans le sens d’un élargissement de sa zone d’application et de son extension à des actions qui n’étaient plus exclusivement défensives. Rapprochant cet événement des positions américaines lors de l’élaboration du nouveau concept stratégique de l’OTAN, elle s’est demandé si ce dernier, malgré les inflexions obtenues par la France, demeurait compatible avec le respect des principes du droit international et de la Charte des Nations Unies. S’agissant de la crise du Kosovo, elle a souhaité que les pays de l’Alliance accentuent la recherche d’une solution négociée et elle a jugé intéressantes les propositions françaises d’un règlement qui impliquerait l’Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Appuyée par le Président Christian Poncelet, qui a estimé indispensable que les deux assemblées bénéficient des mêmes informations gouvernementales, Mme Danielle Bidard-Reydet a demandé que les sénateurs disposent du texte du projet d’accord élaboré dans le cadre des discussions de Rambouillet, ainsi que des documents adoptés lors du sommet de Washington.

M. Xavier de Villepin, président, a approuvé l’action de la diplomatie française en vue de mieux articuler les compétences de l’OTAN et les principes de la Charte des Nations Unies. Il s’est demandé si une bonne part des difficultés actuelles pour préciser le rôle de l’OTAN ne provenait pas de son élargissement qui a pu être ressenti par la Russie comme une humiliation.

M. André Dulait s’est demandé s’il ne fallait pas craindre que l’opposition des Etats-Unis à l’instauration de la Cour pénale internationale ne conduise à faire obstacle à l’entrée en vigueur du traité adopté à Rome en juin dernier.

M. Michel Caldaguès s’est félicité de l’efficacité de l’action du président de la République et de la diplomatie française pour renforcer dans le nouveau concept stratégique de l’OTAN les références au Conseil de sécurité des Nations Unies. Il a toutefois souhaité savoir si le texte définitivement adopté ne préservait pas la possibilité d’intervention de l’OTAN sans l’accord du Conseil de sécurité. En ce qui concerne la gestion de la crise du Kosovo, il s’est interrogé sur les raisons qui faisaient qu’à aucun moment le recours à des capacités militaires européennes propres –telles que le Corps européen, Eurofor ou Euromarfor– n’avait été envisagé.

M. Philippe de Gaulle a souhaité obtenir des précisions sur la nature des populations quittant le Kosovo et a en particulier demandé si elles comptaient des Albanais qui se seraient installés récemment dans la province.

M. Aymeri de Montesquiou s’est demandé si l’action diplomatique vis-à-vis de la Russie et de la Chine, en vue de les dissuader d’utiliser leur droit de veto au Conseil de sécurité, avait été suffisante. Il a interrogé le ministre sur les conséquences du retrait des observateurs de l’OSCE au Kosovo et sur l’intention prêtée à la diplomatie américaine d’exclure une éventuelle force internationale des contingents de pays orthodoxes. Il s’est également demandé s’il n’aurait pas été plus opportun de décréter l’embargo pétrolier à l’encontre de la Serbie avant d’engager des frappes aériennes et si la menace d’une inculpation devant le Tribunal pénal international ne dissuadait pas le président Milosevic de s’engager dans une négociation.

M. Alain Peyrefitte a souhaité obtenir des précisions sur la nature exacte de la situation actuelle de la France au sein de l’OTAN, en ce qui concerne notamment la préservation de sa liberté d’action. Il s’est demandé si la France n’aurait pas eu intérêt à rester en retrait des opérations militaires afin de conserver, pour la recherche d’une solution politique, une capacité de médiation –voire d’interposition– qui semble aujourd’hui être l’apanage de la Russie. Enfin, il a demandé si l’affirmation par les pays de l’Alliance d’un refus extrêmement clair de négocier à l’avenir avec M. Milosevic ne serait pas de nature à renforcer la contestation de son autorité et à faire évoluer la situation politique à Belgrade.

M. Emmanuel Hamel s’est interrogé sur les formes que pourrait prendre une intensification de l’action en faveur des réfugiés kosovars, de nature à préserver l’adhésion de l’opinion publique à la politique menée par les autorités françaises.

Le Président Christian Poncelet a enfin souhaité savoir si, au sein de l’Alliance, d’autres pays que la France agissaient auprès de la Russie en vue de la conduire à favoriser une issue politique. Il a demandé au ministre des Affaires étrangères s’il était envisageable de s’appuyer sur des opposants à M. Milosevic, et par exemple sur M. Draskovic, pour relayer les propositions des pays de l’Alliance afin de faire évoluer l’opinion publique serbe.

A la suite de ces interventions, M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, a apporté les précisions suivantes :

- la France écarte naturellement l’idée que le souci de préserver le prestige ou la crédibilité de l’OTAN puisse conduire à une fuite en avant dans la poursuite du conflit ; ce souci est partagé par les Etats-Unis, ainsi qu’en témoigne la prudence du Président Clinton face à la question d’une éventuelle opération terrestre ; la France accorde par ailleurs une importance toute particulière au maintien du contrôle politique sur le commandement militaire des opérations ;

- les objectifs de l’opération militaire n’ont pas varié et demeurent toujours la mise hors d’état de nuire de l’appareil militaire et répressif serbe ;

- si certains aspects du cadre politique définis à Rambouillet demeurent valables, à commencer par l’autonomie du Kosovo, ce cadre devra être adapté pour prendre en compte l’évolution de la situation en traitant notamment la question des réfugiés et en précisant l’étendue exacte de la souveraineté yougoslave ;

- la décision d’intensifier les frappes aériennes, qui seront désormais conduites 24 heures sur 24, vise à empêcher le regroupement et la réorganisation des forces serbes ;

- la phase actuelle des opérations militaires, dite phase 2, se caractérise par le contrôle des autorités politiques sur la désignation des cibles ; le passage à la phase 3 n’est pas envisagé actuellement ;

- le limogeage de M. Draskovic peut être considéré comme un signe annonciateur d’un changement du climat politique à Belgrade, qui semble également confirmé par l’évolution de l’état d’esprit de la population ;

- si nous progressons vers nos objectifs militaires, à savoir la paralysie de la machine de répression serbe, il reste à trouver une issue politique, que doit favoriser une plus large implication de la Russie ;

- le ministère des Affaires étrangères a élaboré un résumé des dispositions prévues à Rambouillet au dernier stade des négociations, ce document pouvant bien entendu être communiqué aux sénateurs ;

- la France continue à oeuvrer activement pour la recherche d’une solution négociée, même si elle a dû se résoudre à participer à l’emploi de moyens militaires pour réagir à une situation devenue intolérable ;

- si les Etats-Unis, avec le plus souvent la compréhension de leurs partenaires, cherchent effectivement à pouvoir mener des opérations de gestion des crises sans mandat automatique du Conseil de sécurité des Nations Unies, la France s’efforce pour sa part de faire prévaloir le droit international et la Charte des Nations Unies ; ses efforts se sont traduits par plusieurs références, dans le nouveau concept stratégique de l’OTAN, à la Charte et au Conseil de sécurité des Nations Unies ;

- l’élargissement de l’OTAN répond aux demandes insistantes des pays d’Europe centrale et orientale qui ont souhaité adhérer à l’Organisation ; pour autant, les pays de l’Alliance n’ont pas sous-estimé les réactions russes à cet élargissement et ont recherché un point d’équilibre avec l’élaboration de " l’acte fondateur " OTAN-Russie ;

- l’opposition des Etats-Unis au traité relatif à la Cour pénale internationale risque effectivement de ralentir le processus de ratification de ce dernier et la réunion des 60 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur ;

- l’absence de recensement récent au Kosovo conduit à considérer avec beaucoup de prudence les chiffres relatifs à la composition ethnique de la population de la province ; celle-ci serait composée, à hauteur de 85 à 90 %, par des Albanais implantés de longue date au Kosovo ; en dehors des Serbes, la population du Kosovo comporte également des minorités turque et bulgare ;

- la recherche d’un consensus sur un règlement politique au sein du Conseil de sécurité implique préalablement un accord avec la Russie, et ensuite des discussions avec la Chine ;

- les observateurs de l’OSCE n’étaient plus en mesure d’accomplir leur mission au Kosovo et leur retrait était donc devenu inévitable ;

- les Etats-Unis n’ont prononcé aucune exclusive quant à la composition de l’éventuelle force internationale qui serait envoyée au Kosovo en cas de règlement du conflit ; ils sont en revanche attachés à la présence dans cette force de troupes américaines et au maintien de la chaîne de commandement de l’OTAN ;

- aucun des dirigeants de l’Alliance n’a formellement exclu l’hypothèse d’une négociation avec M. Milosevic ; le Tribunal pénal international agit, pour sa part, en totale indépendance vis-à-vis des pays de l’Alliance ;

- la position française vis-à-vis de l’OTAN consiste toujours à rester en dehors des structures militaires intégrées afin qu’en aucune manière des forces françaises ne puissent être engagées sans l’accord des autorités politiques nationales ;

- il est illusoire de penser que la France aurait pu invoquer la recherche d’une solution diplomatique pour refuser de s’associer à l’opération militaire en cours, dans la mesure où, comme tous ses partenaires, elle avait fait le constat de l’obstination des autorités serbes après plus d’un an de négociations et d’efforts diplomatiques ;

- la France constitue aujourd’hui le troisième pays d’accueil pour les réfugiés kosovars et elle développe son aide à l’Albanie et à la Macédoine ;

- les autorités françaises sont disposées à discuter, s’il le souhaitait et s’il le pouvait, avec M. Draskovic ; par ailleurs, M. Rugova a été invité à s’exprimer devant le prochain Conseil des affaires générales de l’Union européenne, ce qui permettra de juger si les autorités de Belgrade le laissent effectivement disposer de sa liberté de mouvement et de parole.

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