Service des Commissions
M. Alain Richard fait un nouveau point de la situation au kosovo devant les sénateurs
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par M. Xavier de Villepin, a entendu le mercredi 14 avril 1999, M. Alain Richard, ministre de la défense, sur l’évolution de la crise au Kosovo.
Le ministre a d’abord indiqué que l’action militaire en cours portait sur la globalité de l’appareil militaire yougoslave pour priver ses forces de leur capacité d’action sur le territoire du Kosovo. Les bombardements avaient eu des effets significatifs sur l’armature et le caractère opérationnel des forces armées yougoslaves, en réduisant notamment leur capacité de mobilité ; la chaîne de commandement avait subi des perturbations graves et les coups portés aux infrastructures fixes réduisaient les capacités de manoeuvre de l’armée yougoslave. Au total, a précisé le ministre, l’état du rapport de forces avait déjà évolué de manière substantielle.
La phase " 2 + " des opérations en cours consistait à ajouter aux cibles militaires initiales des cibles à caractère économique et politique. Dans ce contexte, le choix des objectifs conduisait à un niveau d’échanges intenses entre les partenaires de l’Alliance. En tout état de cause, la mise en œuvre des phases successives relevait, a souligné M. Alain Richard, de la décision politique des gouvernements.
Parmi les Européens, la France –a relevé le ministre– était le premier contributeur en moyens opérationnels, ce qui lui donnait un rôle important dans les échanges relatifs au choix des options militaires.
Le ministre a relevé que le niveau d’activité des forces yougoslaves au Kosovo même était désormais très réduit. Il apparaissait que l’UCK, en tant que force militaire, demeurait présente sur le territoire kosovar et avait démontré sa capacité à regrouper ses forces en dépit de la perte d’un peu moins du quart de ses effectifs. Les forces de l’UCK ne faisaient d’ailleurs pas l’objet d’assauts importants de la part des forces yougoslaves.
Dépourvues désormais de couverture aérienne, les forces yougoslaves –a indiqué M. Alain Richard– se trouvaient sous la menace aérienne permanente des forces alliées. Le ministre a relevé toutefois que les forces terrestres serbes avaient subi peu de destructions : elles étaient camouflées, attaquaient peu et se regroupaient auprès de sites peuplés de civils et de réfugiés.
Le ministre de la défense a alors indiqué que le renforcement en cours des moyens aériens de l’Alliance avait pour objet de permettre une surveillance aérienne permanente du territoire kosovar, impliquant le survol continu du Kosovo par une centaine d’aéronefs de toutes natures, de façon à être en mesure d’identifier puis de détruire d’éventuelles cibles blindées.
M. Alain Richard a précisé que le total des moyens opérationnels des forces de l’Alliance pourrait atteindre prochainement le millier d’aéronefs. A l’heure actuelle, sur un total de 556 aéronefs, la contribution des Etats-Unis s’élevait à 339 appareils, celle de la France à 58, de la Grande-Bretagne à 28 et de l’Allemagne à 18. Le renforcement de cette flotte d’aéronefs conduirait à une augmentation plus que proportionnelle du nombre d’appareils ravitailleurs, compte tenu de la nécessité de faire décoller les avions à partir de bases plus éloignées du théâtre d’opérations. L’objectif de ce renforcement était l’immobilisation complète des forces yougoslaves et leur destruction progressive.
Abordant ensuite les actions humanitaires en cours, le ministre de la défense a souligné que la création d’une force logistique destinée à sécuriser une partie du territoire du nord de l’Albanie s’était avérée absolument indispensable. Cette zone était, depuis longtemps, le théâtre d’une certaine violence endémique ; il était donc impossible de laisser quelque 150.000 réfugiés sans aucun soutien dans cette région. Se référant aux critiques de certaines organisations humanitaires relatives à l’implication de l’OTAN dans la mise en place de cette force, le ministre a fait observer que la réalité des capacités multinationales existant en Europe faisait de l’OTAN le seul outil crédible pour constituer et encadrer une telle force.
M. Alain Richard a alors souligné, malgré la faiblesse des informations disponibles sur la réalité des mouvements et des effectifs de réfugiés restés au Kosovo, l’importance qu’il y avait à trouver des moyens adaptés permettant de leur porter secours.
Evoquant enfin la préparation d’une future force de sécurisation destinée à assurer la mise en œuvre d’un arrangement politique à venir, le ministre de la défense a indiqué que l’essentiel de ses capacités opérationnelles proviendrait probablement en majorité des grands pays européens. Cette force devrait pouvoir être déployée dans des délais très brefs, aussitôt après la conclusion d’un accord politique. M. Alain Richard a précisé que cette force devrait disposer des capacités opérationnelles comprenant des matériels lourds ainsi que de règles d’engagement cohérentes de nature à assurer la crédibilité de sa mission, notamment dans l’hypothèse où une certaine violence réapparaîtrait, même après l’adoption d’un règlement politique.
A l’issue de l’exposé du ministre, un débat s’est engagé avec les commissaires.
M. André Dulait s’est interrogé sur la possibilité d’utiliser le territoire de la Hongrie, nouveau membre de l’Alliance atlantique, comme base de départ des forces de l’OTAN.
M. Robert Del Picchia, après avoir relevé que les forces françaises occupaient le premier rang parmi les alliés européens au sein des forces de l’OTAN actuellement engagées, a demandé au ministre des précisions sur les effectifs que la France pourrait mettre au service d’une force de sécurisation.
Mme Paulette Brisepierre, évoquant le prochain sommet de l’Alliance atlantique à Washington, s’est demandée si cette réunion pourrait être l’occasion d’inflexions politiques ou de décisions nouvelles.
M. Pierre Mauroy a interrogé le ministre de la défense sur la situation actuelle des forces de l’UCK et sur la position du Gouvernement français et de ses alliés à l’égard de ce mouvement de résistance. Il a par ailleurs souhaité connaître la nature des aides qui pouvaient être apportées pour porter secours aux populations déplacées à l’intérieur du Kosovo.
M. Aymeri de Montesquiou, après s’être interrogé sur l’ampleur des moyens aériens mis en œuvre en regard de la modeste superficie du Kosovo, a déploré l’insuffisance des moyens militaires européens malgré l’importance des efforts budgétaires consentis. Il a par ailleurs demandé au ministre de la défense si les accords de Rambouillet pourraient demeurer, après les frappes aériennes actuelles, la base d’un éventuel accord politique et a évoqué l’éventualité d’une partition du territoire kosovar. Il a enfin souligné le rôle de médiation important qui pourrait revenir à la Russie afin de parvenir à un règlement politique.
M. Emmanuel Hamel a questionné le ministre sur le coût financier des opérations actuellement engagées et sur leur imputation budgétaire à venir. Il s’est par ailleurs demandé si la Russie était prête à participer à une future force de sécurisation destinée à garantir un accord politique.
M. Michel Barnier, abordant les leçons qui devront être tirées, le moment venu, de la crise du Kosovo, a réitéré sa proposition d’une force permanente d’intervention humanitaire de l’Union européenne qui donnerait à l’action communautaire plus de rapidité, d’efficacité et de lisibilité. Il a par ailleurs demandé au ministre son sentiment quant au projet de fusion des fonctions de secrétaire général de l’UEO avec celles du futur Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune.
M. Claude Estier s’est demandé quelle était, dans les circonstances actuelles, la position du Gouvernement français au regard d’un éventuel report du sommet de Washington devant commémorer le cinquantième anniversaire de l’Alliance atlantique.
M. Jean-Guy Branger, après avoir réaffirmé son soutien aux positions adoptées par le Président de la République et le Gouvernement, a souligné que les Alliés et l’OTAN devaient nécessairement sortir vainqueurs de la confrontation actuelle. Il s’est demandé quel était l’état actuel des réflexions à l’égard d’un éventuel engagement au sol si les opérations aériennes en cours ne permettaient pas d’atteindre l’objectif recherché.
M. Xavier de Villepin, président, a demandé au ministre de la défense les indications dont il disposait en ce qui concerne le moral des forces armées yougoslaves et la situation actuelle des opposants au président Milosevic. Evoquant ensuite le prochain sommet de Washington, il a estimé que la révision prévue du concept stratégique de l’OTAN devrait également tirer les enseignements de l’actuelle crise au Kosovo.
M. Bertrand Delanoë, après avoir exprimé son accord avec l’action conduite par la France avec ses alliés au Kosovo, a également estimé qu’il y aurait lieu de tirer les leçons du conflit actuel sur le concept stratégique de l’OTAN et sur le positionnement de la France au sein de l’Alliance atlantique.
M. Jean-Luc Mélenchon a rappelé le trouble que lui inspiraient les opérations actuelles de l’OTAN, conduites sans mandat international, sous commandement américain, et sans autorisation du Parlement. Il s’est déclaré sensible à tout ce qui pouvait être fait pour ramener les actions entreprises dans le cadre des Nations unies. Il s’est enfin demandé en quoi consisterait pour les Alliés le fait de sortir de vainqueurs de l’actuelle confrontation : s’agissait-il de ramener les dirigeants serbes à la table des négociations et jusqu’où pouvaient aller les destructions effectuées sur le territoire serbe ?
Répondant aux intervenants, le ministre a alors apporté les précisions suivantes :
- très peu d’informations étaient disponibles sur l’évolution interne du pouvoir yougoslave. On ne pouvait discerner, pour l’heure, un quelconque fléchissement de la loyauté des forces yougoslaves à l’égard du régime serbe ;
- les pays qui, comme la Hongrie, venaient d’intégrer l’Alliance atlantique, ont encore beaucoup à faire pour disposer d’infrastructures interopérables. Par ailleurs, l’une des lignes de conduite de l’Alliance consistait à ne pas placer en première ligne les pays de la zone ;
- la force de sécurité qui viendrait conforter un accord politique futur devrait comporter un effectif de quelque 4.500 soldats français, soit le double de l’effectif de nos forces actuellement stationnées à la frontière macédonienne ;
- la France était le seul pays européen où le débat concernant le rôle de l’OTAN atteignait une telle intensité. Même si l’Alliance se voyait reprocher certains de ses choix, ceux-ci n’auraient-ils pas été les mêmes dans l’hypothèse où l’action aurait été menée par les seuls pays européens, sachant qu’il était impossible d’obtenir, sans veto russe, un mandat exprès du Conseil de sécurité des Nations-Unies ?
- le sommet de Washington ne conduira pas à une inflexion de l’action de la communauté internationale. Cette action évolue au demeurant quotidiennement dans le cadre de discussions régulières entre chefs d’Etat et de gouvernement. En tout état de cause, il convenait de ne pas surestimer l’importance du processus de révision du concept stratégique de l’OTAN, qui n’aboutira ni à une modification du traité de Washington, ni à une évolution de la relation entre l’ONU et l’OTAN. Le concept stratégique devrait faire figurer dans son dispositif une reconnaissance du principe d’une identité européenne de sécurité et de défense. Toutefois, la capacité des Européens à s’organiser militairement ne dépendait pas des conclusions du concept stratégique ;
- il n’y avait pas d’alternative aux frappes aériennes actuellement en cours. L’autre option, consistant à entrer en force sur le territoire yougoslave, avait été écartée par tous les partenaires. Les objectifs recherchés à travers l’opération actuelle étaient clairs depuis le début : obtenir que tous les Kosovars puissent vivre en sécurité sur leur territoire, conformément aux normes et aux valeurs européennes. La réaction favorable de l’opinion démontrait d’ailleurs que ce but était clair et légitime. Il n’était dans l’intention de personne d’obtenir le démantèlement de la Yougoslavie et la communauté internationale s’accordait pour que le Kosovo demeure à l’intérieur des frontières actuelles de ce pays. L’objectif était donc de détruire les moyens de force dont dispose la Yougoslavie pour mettre en œuvre sa stratégie d’apartheid par la terreur ;
- les propositions initiales du commandement suprême des forces alliées en Europe ne sont pas systématiquement retenues par le Conseil atlantique. Il n’existe pas par ailleurs de divergences entre les Etats-Unis, d’une part, et la France, d’autre part. Quant aux choix politiques opérés, ils ne démontrent pas de glissement sur la nature des objectifs poursuivis ;
- les attaques contre les ponts et voies de communication avaient pour objectif de réduire les capacités de renforcement de l’armée serbe au Kosovo ; les 15 à 20.000 soldats yougoslaves stationnés au Kosovo et les 15.000 membres des forces spéciales ne pourront ainsi recevoir de renforts ;
- l’UCK était représentative d’un stade de l’évolution de la communauté albanophone à la suite de l’échec de la stratégie pacifique conduite par M. Rugova. C’était également une composante politique importante et le choix du groupe de contact de l’associer aux négociations de Rambouillet s’était avéré juste. Elle ne constituait cependant pas le seul interlocuteur de la communauté internationale. Aucun allié n’entendait par ailleurs procéder à l’armement de l’UCK qui compliquerait encore davantage toute perspective de solution politique ;
- l’ONU ne pouvait pas se trouver au centre du dispositif international actuellement en œuvre, compte tenu du risque de veto russe. Le retour de l’ONU impliquait donc un soutien de la part des Russes, sachant que ceux-ci ne disposaient pas d’autorité directe sur M. Milosevic. Le motif fondamental d’un veto russe au Conseil de sécurité était toujours d’actualité et concernait le déploiement d’une force de sécurité en Yougoslavie ;
- en l’absence d’une solution politique rapide, les secours à apporter aux réfugiés kosovars demeurés dans la province ne pouvaient être obtenus que par des stratégies indirectes : l’efficacité de parachutage de vivres était aléatoire compte tenu de la difficulté à localiser les réfugiés ; l’implication d’organisations humanitaires non gouvernementales pouvait être envisagée compte tenu des propos de M. Milosevic lui-même, qui avait proposé la semaine dernière le libre accès aux ONG ;
- le coût des opérations en cours pourrait s’élever, pour la France, à ce jour, à quelques centaines de millions de francs. Les choix de réorganisation de nos armées effectués ces dernières années ne devraient pas se trouver fragilisés par les analyses qu’il conviendra de porter, le moment venu, sur la crise actuelle ;
- la proposition d’une force européenne humanitaire méritait en effet d’être examinée, mais sa mise en œuvre devrait surmonter la difficulté de concilier, en cas de conflit, des impératifs militaires avec une chaîne logistique humanitaire ;
- une fusion des postes de secrétaire général de l’UEO et de Haut représentant pour la PESC pouvait être envisagée, mais il importait surtout d’améliorer les procédures de travail et de faire de l’Union européenne un outil politico-militaire efficace ;
- enfin, la question d’un éventuel engagement de forces au sol pourrait se poser dans des conditions différentes lorsque les opérations en cours auront permis d’aboutir à une paralysie réelle des forces yougoslaves.
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