Service des Commissions - Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
M. Alain Richard présente devant les Sénateurs les conclusions de la revue des programmes d'équipement militaire.
M. ALAIN RICHARD PRESENTE DEVANT LES SENATEURS LES CONCLUSIONS DE LA REVUE DES PROGRAMMES D'EQUIPEMENT MILITAIRE
La commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le jeudi 9 avril 1998 M. Alain Richard, ministre de la défense, sur les conclusions de la revue des programmes d'équipement militaire.
Le ministre de la défense a tout d'abord rappelé les objectifs visés par la revue des programmes afin de permettre le maintien de la loi de programmation pour les années 1997-2002 tout en recherchant toutes les marges d'économies compatibles avec la maîtrise des finances publiques souhaitée par le gouvernement.
Le gouvernement s'est ainsi, a poursuivi M. Alain Richard, prononcé sur la continuité de trois choix politiques majeurs : autonomie stratégique et politique, capacité d'action à distance du territoire national, et contribution à l'édification d'une Europe de la défense fondée sur un équilibre global avec nos principaux partenaires européens.
Le ministre de la défense a en conséquence indiqué que le cadre général et les objectifs de la loi de programmation 1997-2002 étaient maintenus avec une adaptation limitée du contenu et de l'échéancier de la programmation dans le cadre d'une stabilisation des annuités restantes des crédits d'équipement à 85 milliards de francs (en francs constants 1998), ce qui permettra, a souligné M. Alain Richard, de réaliser quelque 20 milliards de francs d'économies d'ici 2002, qui engendreront elles-mêmes 20 milliards de francs d'économies supplémentaires après le terme de l'actuelle programmation.
Ces mesures, a précisé le ministre de la défense, seront réparties entre les crédits consacrés à la dissuasion nucléaire (-3,4 milliards de francs), aux fonctions commandement, communications, renseignement (- 3,8 milliards de francs), aux forces classiques (- 9,4 milliards de francs), ainsi qu'aux services communs et à la DGA (- 3,4 milliards de francs).
Détaillant ensuite les principales mesures décidées au terme de la revue des programmes, M. Alain Richard a successivement évoqué les réductions de cibles de quelques programmes (tels que les missiles Mistral et les engins porte-blindés du char Leclerc), l'interruption, ou le retrait de la France, de trois programmes de missiles, le retrait anticipé du porte-avions Foch et de deux escadrons d'avions Jaguar, ainsi que la décision de faire coïncider la mise en service du quatrième SNLE-NG et du futur missile M51. Cette dernière mesure doit permettre, a relevé le ministre de la défense, de réaliser de substantielles économies, la structure de nos forces nucléaires en deux composantes complémentaires, ainsi que l'ensemble des grands programmes nucléaires, étant intégralement préservés.
Abordant ensuite les mesures décidées dans le domaine du commandement, du renseignement et de l'espace, M. Alain Richard a souligné le maintien des programmes clés en matière de renseignement, notamment le système d'observation optique spatiale Hélios II. Le calendrier des programmes de télécommunications Syracuse II et Syracuse III est aménagé afin d'assurer la meilleure synergie avec les technologies civiles en la matière. Le programme de satellite radar Horus doit en revanche être abandonné en raison de la défection de notre partenaire allemand.
S'agissant des programmes aériens, le ministre de la défense a successivement commenté la confirmation du programme Rafale, dont la cible est maintenue et qui ne fait l'objet que de l'aménagement des échéances de quelques livraisons, reportées de 2003 à 2004. Par ailleurs, M. Alain Richard a fait observer que le retrait anticipé de deux escadrons d'avions Jaguar permettrait à l'armée de l'air de rallier plus vite le format défini dans le modèle d'armée.
Dans le domaine des capacités de combat aéroterrestre, le ministre de la défense a souligné le maintien du programme d'hélicoptère Tigre, qui sera poursuivi dans ses deux versions, et du programme de char Leclerc. Dans le domaine de la mobilité, M. Alain Richard a fait observer la préservation du programme d'hélicoptère NH 90 et l'engagement du programme VBCI (véhicule blindé de combat d'infanterie). Il a enfin rappelé la nécessité d'assurer le remplacement de notre flotte de transport tactique, l'acquisition de nouveaux avions de transport devant être effectuée à partir de 2002.
S'agissant du groupe aéronaval, M. Alain Richard a précisé que le retrait de service du Foch correspondrait à l'admission au service actif du Charles de Gaulle, la commande d'un deuxième porte avions après 2002 demeurant une éventualité. Le ministre de la défense a également souligné le maintien du programme de NTCD (nouveaux transports de chalands de débarquement), la production de ces bâtiments devant s'opérer sous contrainte de moindre coût fixé après une démarche comparative.
Enfin, le ministre de la défense a fait observer que les conclusions de la revue des programmes s'inscrivaient dans le cadre de l'objectif général de réduction des coûts des programmes poursuivi par la DGA et que, par ailleurs, un effort limité serait imposé aux forces en matière d'entretien programmé du matériel.
M. Alain Richard a enfin souligné que les conclusions de la revue des programmes avaient fait l'objet d'une prise de position commune du président de la République et du Gouvernement. Il a estimé que la revue des programmes constituerait, pour les armées et les industriels, un élément de lisibilité appréciable et que la stabilisation des crédits d'équipement à laquelle avait conclu cet exercice ne saurait dispenser le ministère de la défense de poursuivre les indispensables efforts d'adaptation entrepris.
A l'issue de l'exposé du ministre, M. Xavier de Villepin, président, a relevé que l'annonce d'une stabilisation des crédits du titre V à un niveau supérieur à celui arrêté dans le cadre du budget de 1998 constituait un motif de satisfaction, de même que la non remise en cause de la loi de programmation militaire qui restera, avec le modèle d'armée retenu, le cadre de référence de notre politique de défense. Il a toutefois fait part de son inquiétude quant à la réduction de 20 milliards de francs de l'enveloppe financière globale par rapport aux prévisions initiales contenues dans cette loi de programmation. M. Xavier de Villepin, président, a ensuite interrogé le ministre sur les points suivants :
- le gouvernement s'engageait-il à ne pas affecter, dans les prochaines années, les crédits militaires de régulations budgétaires qui remettraient en cause l'engagement pris de stabilisation des crédits d'équipement ?
- comment serait résolue lors des prochaines programmations la difficile question de la "bulle financière" constituée par les économies successives imposées au budget de la défense ?
- la réduction de cibles ou l'abandon de certains programmes de cohérence ne risquait-elle pas de remettre en cause l'efficacité opérationnelle de nos forces ?
- comment évolueraient à l'avenir les programmes concernant l'espace militaire, compte tenu en particulier de l'abandon du programme Horus ?
- quelle serait l'évolution des effectifs d'avions de combat en ligne d'ici 2015 ?
- où en étaient les problèmes liés au fonctionnement du système de propulsion du porte-avions nucléaire ?
- quelle serait enfin l'incidence de la nouvelle réduction annoncée des crédits d'études "amont" sur nos capacités de recherche, déjà faibles par comparaison avec les efforts consentis en la matière par les Etats-Unis ?
M. Nicolas About s'est interrogé sur la continuité de nos capacités opérationnelles en Méditerranée durant les périodes de révision du porte-avions nucléaire, sur les conséquences sur les industries de défense des réductions de crédits concernant les missiles, sur la possibilité d'associer d'autres partenaires européens à la construction de systèmes radar Horus après le retrait de l'Allemagne, sur la possibilité de recourir aux compagnies aériennes civiles pour les transports de troupes, et enfin sur l'état actuel du processus de rapprochement entre Dassault et l'Aérospatiale.
M. Jean-Luc Bécart, après s'être félicité des orientations générales des conclusions de la revue des programmes, s'est notamment inquiété des incidences des décisions sur le niveau d'activité des industries de défense, en particulier la DCN et GIAT-Industries.
M. François Trucy, rapporteur spécial du budget de la défense à la commission des finances, s'est interrogé sur les possibilités de coopération européenne dans le domaine du groupe aéronaval ; il s'est également enquis des risques de pression sur le titre V liés à un éventuel accroissement des contraintes du titre III dans le cadre de la professionnalisation des armées.
M. André Rouvière, après s'être interrogé sur les modalités du projet de mise en concurrence de la direction des constructions navales et sur les perspectives de commandes de chars Leclerc par l'Arabie Saoudite, a demandé au ministre de préciser les conditions de prise en charge par l'Etat du logement par les collectivités locales des volontaires de la gendarmerie nationale.
Enfin, M. André Boyer a souhaité obtenir des informations sur la possibilité de construire un deuxième porte-avions disposant d'un mode de propulsion moins coûteux que le nucléaire.
M. Alain Richard a alors répondu aux questions des commissaires.
Le ministre, ayant souligné que la loi de programmation militaire avait déjà intégré un effort très important de modération des coûts, a reconnu que les 20 milliards d'économies nouvelles qui venaient d'être décidées, entraîneraient nécessairement des renonciations à certains objectifs opérationnels non prioritaires.
S'agissant des risques de régulation budgétaire, le ministre a rappelé que la décision de préserver l'actuelle loi de programmation, tout en lui apportant certains ajustements, constituait un engagement politique. Il a relevé que, si la croissance de l'économie se poursuivait au rythme actuel, les risques de régulation affectant le budget de la défense seraient réduits. Il n'a pas toutefois exclu qu'une inflexion de la conjoncture économique ou des priorités politiques, nécessitant par exemple un effort sur les revenus de solidarité, puisse avoir une incidence contraire.
Abordant la question de la "bosse financière" au-delà de 2002, le ministre a fait observer que les 20 milliards d'économies qui venaient d'être décidés, généreraient à leur tour 20 milliards d'économies complémentaires pour la période postérieure à l'actuelle loi de programmation. L'effet vertueux de ces économies ne supprimerait certes pas la "bosse financière" qui pouvait être aujourd'hui évaluée à environ 80 milliards de francs, mais le ministre a considéré que la politique de baisse des prix entreprise devrait permettre de réduire cette "bosse" de 40 à 50 milliards supplémentaires dans les prochaines années.
Le ministre a souhaité rassurer les commissaires en ce qui concerne les programmes de cohérence. En tout état de cause, le niveau des stocks de munitions nécessaires aux éventuelles opérations militaires était, pour l'heure, très largement supérieur aux besoins.
S'agissant des programmes spatiaux militaires, M. Alain Richard a rappelé que le choix de maintenir le programme satellitaire d'observation optique Hélios II entraînerait un effort financier substantiel compte tenu du retrait de la participation allemande. Ce choix avait été dicté par le souci de ne pas être démuni pendant cinq années de capacités d'observation satellitaire, dans l'attente de l'arrivée vers 2008 des satellites de nouvelle génération. En revanche, a précisé le ministre, les conséquences financières très lourdes du retrait de la participation allemande au programme Horus avaient conduit à l'abandon de ce programme, malgré le besoin militaire indéniable que représentait une capacité d'observation radar.
En ce qui concerne la réduction des crédits d'études et son incidence sur nos capacités de recherche, le ministre a fait observer que la vraie difficulté ne provenait pas tant de l'écart qui nous séparait des Etats-Unis en la matière que de la faiblesse générale des efforts consentis en matière de recherche par nos principaux partenaires européens. Le ministre a par ailleurs précisé que ces réductions inciteraient à une plus grande sélectivité et à un recours accru aux technologies duales.
L'aménagement du calendrier de livraison du Rafale air ainsi que le retrait anticipé de deux escadrons de Jaguar n'affecteraient pas l'objectif de 300 avions de combat en ligne retenu dans le cadre du modèle d'armée pour 2015. Pendant la durée d'exécution du programme Rafale, le ministre a indiqué qu'il serait possible d'examiner les possibilités de rapprochement industriel entre son constructeur et les autres industriels européens impliqués dans la fabrication de l'EFA.
S'agissant du second porte-avions, M. Alain Richard a tout d'abord fait observer que l'hypothèse consistant à garder pendant cinq ans le porte-avions Foch en service pour suppléer le Charles de Gaulle en 2004-2005 était apparue irréalisable. Une perspective européenne existait pour assurer la permanence du groupe aéronaval. La Grande-Bretagne avait apporté la preuve que le recours à de simples porte-aéronefs pouvait apporter de réelles capacités et le ministre a estimé que la seule solution crédible permettant d'assurer la permanence du groupe aéronaval en 2004-2005 passerait par une coopération franco-britannique. Si la construction d'un second porte-avions était à la portée financière de la France, il conviendrait cependant d'étudier l'hypothèse d'un mode de propulsion qui ne serait pas nucléaire. Le ministre a cependant précisé que les difficultés techniques liées à la propulsion du Charles de Gaulle appartenaient au passé.
L'anticipation de la construction du missile nucléaire M51 n'évitera pas, a précisé M. Alain Richard, la réduction nécessaire des effectifs dans le secteur missiles balistiques de l'Aérospatiale qui, par ailleurs, bénéficie d'un surcroît d'activité dans sa branche aéronautique.
S'agissant de l'avion de transport futur, le ministre a indiqué qu'une éventuelle décision d'Airbus de construire l'appareil signifierait que la société pourrait escompter des retombées civiles bénéfiques de ce programme. Rappelant par ailleurs que l'accord des huit pays pour le programme d'avion de transport futur était conditionné à une mise en concurrence avec d'autres produits, le ministre a fait observer que l'option américaine, basée essentiellement sur des appareils Hercule C130 J, n'était pas nécessairement la plus coûteuse. Il a par ailleurs souligné que l'examen de l'option russo-ukrainienne de l'Antonov 70 faisait apparaître cette solution comme une alternative crédible. En tout état de cause, si cette hypothèse était concrétisée, une charge de travail équivalant à 40 ou 50 % pourrait être affectée à Airbus compte tenu des nécessaires travaux de mise aux normes de l'appareil aux critères occidentaux.
Les décisions qui viennent d'être prises concernant le financement des dépenses militaires donnent une bonne visibilité pour les quatre prochaines années, ce qui doit permettre notamment à la DCN et à GIAT-Industries d'effectuer, dans de bonnes conditions, les adaptations nécessaires.
M. Alain Richard a indiqué que la confirmation du programme de laser mégajoule ne devait pas occulter le fait que les retombées civiles très importantes de ce programme s'appuieraient sur un effort financier substantiel assumé par le seul ministère de la défense.
Le ministre a indiqué que, dans l'état actuel de la professionnalisation, le titre III ne devrait pas connaître de difficultés majeures. Cela étant, une évolution positive du marché du travail aboutissant à une réduction du chômage des jeunes, pourrait entraîner, à terme, une réévaluation des soldes qui exigerait alors des financements complémentaires. Il ne s'agissait cependant, selon le ministre, que d'une éventualité compte tenu de l'intérêt que représentaient les carrières militaires et les dispositifs de reconversion qui leur étaient désormais associés.
Après avoir rappelé que le char Leclerc était proposé à des pays tels que l'Arabie saoudite et l'Afrique du sud dans un cadre de concurrence sévère, le ministre a précisé que la réalisation des NTCD sous contrainte de moindre coût, fixé après une démarche comparative nationale et européenne, constituait un signal pour la DCN l'incitant à passer à un niveau de prix comparable à celui des autres constructeurs.
M. Alain Richard a enfin indiqué que le principe du financement par l'Etat du logement des gendarmes pouvait faire l'objet d'arrangements avec les collectivités locales en ce qui concerne les renforts saisonniers des effectifs de la gendarmerie.