Allocution du Président du Sénat
à l’occasion des vœux aux sénateurs
Mardi 14 janvier 2020 – 18 h 30
Monsieur le Premier ministre, nous sommes sensibles à votre venue,
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, merci de votre présence qui est un témoignage de votre attachement au bicamérisme,
Monsieur le Ministre chargé des relations avec le Parlement dont je salue la qualité des relations avec la Conférence des Présidents,
Madame et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Vice-présidents, chers collègues,
Messieurs les Questeurs du Sénat,
Mesdames et Messieurs les Secrétaires du Bureau du Sénat,
Mesdames et Messieurs les Présidents de Commissions,
Madame et Messieurs les Présidents de Groupes du Sénat et de l’Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les Présidents de Délégations et Office parlementaires, Mes chers collègues députés et sénateurs,
Chers collègues anciens sénateurs,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir pour célébrer, comme le veut la tradition, cette année nouvelle, année qui sera placée, nous l’espérons toutes et tous, sous le signe du retour de la confiance et du dialogue.
Pour célébrer le calendrier et janvier, je n’évoquerai pas, le Président Ferrand l’a fait avec brio ce midi, la décision « démocratique » du Pape Grégoire XIII établissant le nouveau calendrier grégorien. Il nous a conseillé la lecture cette année d’un ouvrage de référence de 1727, « Relation du Royaume des Féliciens » du Marquis de Lassay qui contient, bien avant le Directoire, la lumineuse suggestion d’un Parlement avec deux chambres. Le Sénat est un peu cette terre des « Féliciens » !
Je vais donc vous parler de cette terre des « Féliciens », non pour faire de « l’entre nous », mais pour simplement, comme le temps des vœux nous y incite, faire le point, et partager avec les représentants de l’exécutif M. le Premier ministre, des collègues de l’Assemblée nationale et de membres du Conseil constitutionnel.
Oui, c’est, mes chers collègues, l’occasion de porter un regard sur le travail accompli par notre Assemblée dans le cadre des missions que lui fixe la Constitution. Vous avez contribué à enrichir nos débats par vos interventions, vos rapports et les remontées de nos départements et territoires, si précieuses pour notre assemblée, qui est une caisse de résonance au travers des 550 000 élus territoriaux, de l’ensemble de nos concitoyens, je n’oublie pas nos compatriotes ultra-marins et ceux qui sont établis hors de France.
Nous avons une nouvelle fois démontré que le Sénat était indispensable au bon fonctionnement de nos institutions, c’est un lieu de débat et de liberté. Nous avons imprimé notre marque sur nombre de textes. Prenons un exemple, le débat sur le projet de loi « engagement et proximité » en fait la démonstration : il est né d’une mission sénatoriale de suivi de la loi NOTRe en 2015, poursuivi après 2017, concluant ses travaux par une Proposition de loi votée très largement en juin 2018 qui a inspiré et le projet gouvernemental et le texte définitif.
En 2018-2019, 76 % des textes ont été adoptés après accords entre les deux assemblées (dont 42 % par la navette et 24 % après un accord en CMP).
Trois-quarts des textes aboutissent donc par le dialogue bicaméral et cela concerne des sujets majeurs : les projets de loi relatifs à l’Énergie et au climat, pour une École de la confiance, réformant notre système de Santé, les projets de loi relatifs à la biodiversité et à la transformation de la fonction publique. Encore très récemment, le Sénat a pu faire entendre sa voix, les préoccupations des collectivités territoriales et celle d’un développement durable pragmatique sur le projet de loi relatif à l’économie circulaire.
Le Sénat s’est aussi investi dans sa mission de contrôle : de la sécurité des ponts à la filière sidérurgique, du sauvetage en mer à la sécurité des sapeurs-pompiers, de la souveraineté numérique à la gestion des risques climatiques, de la gratuité des transports publics aux infractions sexuelles commises sur des mineurs…
Vous avez été en initiative, n’hésitant pas à sortir des habitudes.
Le Sénat devra débattre dans les semaines et les mois qui viennent sur des textes importants pour l’avenir de notre pays et de notre société touchant notamment à la bioéthique, au Parquet Européen, aux retraites et à l’audiovisuel et sans doute un peu plus tard sur le rôle respectif de l’État et des collectivités territoriales, cette nouvelle génération de la décentralisation que j’appelle de mes vœux.
Mes chers Collègues je souhaite évoquer la poursuite des réformes engagées depuis plus de dix années pour que le fonctionnement de notre institution soit à la fois plus proche du citoyen, plus performant, plus attentif aux exigences de déontologie, et mieux compris par nos concitoyens en ces temps de défiance vis-à-vis des élites, des médias et des responsables politiques.
Plus proche des citoyens : de nouvelles formes de participation citoyenne doivent permettre de construire les nécessaires débats fondateurs de la démocratie.
Le numérique ouvre un nouveau champ à la participation des citoyens au travail législatif. La plateforme de consultation nous permet d’interroger les maires et les élus locaux. Nous l’avons déjà fait à plusieurs reprises : sur les menaces et agressions auxquelles sont confrontés les maires, sur la place des élus municipaux dans l’intercommunalité, sur les risques industriels et technologiques après l’accident de l’usine Lubrizol, ou encore sur l’avenir de l’école dans nos territoires. Au total, la plateforme compte près de 21 000 inscrits. Depuis son lancement, neuf consultations ont été effectuées.
En ce début d’année, sera prochainement ouverte au public, à titre expérimental, une plateforme permettant le dépôt et le soutien en ligne de pétitions. Elle pourra donner lieu à un « droit de tirage citoyen » sous le contrôle de la Conférence des Présidents qui pourra décider la création d’une mission de contrôle et, si la pétition porte sur un texte législatif, tout sénateur pourra la déposer sous forme d’une proposition de loi.
Notre assemblée est plus performante dans l’exercice de ses missions fondamentales. Nous avons privilégié une nouvelle organisation de nos travaux, une meilleure articulation entre commissions, délégations et séance publique. Le développement de la législation en commission, la réorganisation de la séance et le contrôle de recevabilité des amendements recentrent nos travaux sur l’essentiel, ce qui contribue à améliorer la qualité de nos débats et de la loi. Le choix d’un jour fixe pour les questions d’actualité au Gouvernement, le mercredi à 15 heures, ou encore la mise en place du scrutin électronique dans la salle des séances…ces innovations contribuent à la dynamisation de nos débats. J'engagerai une analyse sur les réformes introduites depuis 2015 pour mesurer leur effectivité et leur efficacité tout en étant très attentif au respect du droit d'amendement de tous les groupes, et des droits des groupes minoritaires et d'opposition.
Notre assemblée est plus performante sur sa gestion.
En 10 années, quelle qu’ait été la majorité, nous avons refondu l’organigramme des services – il y avait 24 directions en 2010, elles sont 14 aujourd'hui –, redéfini le temps de travail (1 607 heures), mis en place l’accueil d’apprentis et de stagiaires (60 par an), maîtrisé totalement notre budget dont le chiffre en euro courant a même baissé, supprimé les appartements de fonction et les prêts.
Nous poursuivrons autour des principes de pondération des rémunérations en fonction du mérite, de la performance et du travail.
Nous avons renforcé la vérification des comptes et leur certification par la Cour des comptes.
Nous allons par ailleurs mettre en place une procédure permanente d’audit interne.
Notre assemblée est attentive aux exigences de déontologie :
Initié en 2008, le comité de déontologie s'est vu par la loi confier le contrôle des frais de mandat.
Nous avons mis en place la certification des comptes de chaque groupe politique et redéfini leur financement.
Je fais confiance à nos Questeurs.
Nos institutions sont souvent mises en cause, parfois dans des conditions éthiques discutables. Je dis attention, il peut y avoir danger ! Le citoyen demande clarté, vérité, sincérité, nous lui devons et le faisons mais nous assistons à une fragilisation de la démocratie.
La démocratie a un coût (environ 5 euros par français et par an pour le Sénat). Et si nous devons la clarté, nous devons aussi assurer la dignité, l'indépendance et la juste rétribution de celles et ceux qui s'engagent avec la confiance des citoyens et des élus pour les représenter. C'est un sujet de démocratie et nous devrons, comme nos collègues allemands l'ont fait, regarder en face ces questions de protection juridique, sociale et de rémunération et éviter toute surenchère.
Sur le dossier de la gestion des caisses de retraite des anciens sénateurs et des fonctionnaires du Sénat, dès 2018, nous avons été très clairs : nous appliquerons la loi une fois votée et ce, aussi dit pour la bonne information du 1er Questeur de l’Assemblée nationale.
Quel est l’état de notre pays ?
Un an après, la France demeure en souffrance.
Parler de fractures, de césures, de doutes, de rejet, ce n’est pas être dans une attitude négative mais être dans le constat d'une réalité.
Recevant il y a peu un représentant d'une organisation professionnelle majeure, celui-ci me confiait : l'économie va plutôt bien mais c'est très inégalement réparti entre les métropoles, où la croissance est soutenue, et une bonne partie du reste du territoire qui continue à perdre de la substance.
Notre rôle, me semble-t-il, c'est, partant de ce constat, d'être des « réducteurs » de fractures.
Recevant des sapeurs-pompiers, ceux-ci me faisaient part de leur constat sur ces fractures communautaires, ces violences, ces enfermements sur eux-mêmes de territoires qui, pour certains, font « sécession » d'avec la communauté nationale.
Là encore, chaque responsable politique – et cela me concerne – doit regarder dans les yeux et avec le cœur cette France-là.
La réduction de ces fractures passe d’abord par « l’éloge de la proximité » pour reprendre une formule un peu littéraire, par ces corps intermédiaires, élus, organisations professionnelles et syndicales, par l’inversion de la verticalité, par la subsidiarité.
La réduction des fractures, elle est d’actualité sur un sujet qui divise notre Pays : la réforme des retraites !
Les retraites, ça n’est pas simplement une forme de salaire différé, c’est la sécurité sociale dont Jacques Chirac, à l’occasion de son cinquantième anniversaire, disait qu’elle faisait partie de l’identité de la France et du patrimoine des Français ; et concernant les retraites, il ajoutait que le pacte entre les générations, c’est notre système de répartition.
Le débat parlementaire peut permettre, s’il est articulé avec la conférence de financement, de trouver les solutions, mais il faut quelques conditions :
- avoir le temps nécessaire pour débattre ;
- disposer de tous les éléments d'appréciation sur les conséquences budgétaires et les modalités de l'équilibre financier.
Nous sommes tous ici garants de ce pacte entre les générations.
Nous sénateurs, nous avons une responsabilité particulière parce que nous sommes des « assembleurs » des 35 000 pièces du puzzle qui font la République.
Après mes déplacements dans nos villages, villes, départements et régions, je demeure convaincu que c’est de l’expérience des élus locaux dont les responsables politiques doivent s’inspirer pour enrichir leur réflexion et avoir une vision politique « de la commune à la Nation ».
Cette vision politique prend sa source dans la richesse de leurs initiatives, de leur dynamisme, de leur créativité. Elle s’appuie sur leur liberté de créer, d’expérimenter et d’entreprendre. Il nous faut inventer une nouvelle génération de notre gestion collective pour que « la vie en 3D » - décentralisation, - déconcentration, - différenciation soit aussi la vie en « 1R » : Une République.
Vous le savez, ma conviction est que nous devons réfléchir collectivement à une nouvelle génération de la décentralisation.
Un groupe de travail réunissant les Présidents des groupes politiques de notre assemblée ainsi que les Présidents de la commission des lois et de la Délégation aux collectivités territoriales et des collègues sera constitué dans les jours à venir et il fera des propositions avant la fin du premier semestre. Je considère que la décentralisation ne doit pas être le domaine réservé de « techniciens » et que nous devrons associer nos concitoyens à notre réflexion.
J’aurais pu vous parler ce soir de la laïcité si essentielle pour faire communauté au singulier et vous redire que la Loi de 1905 est un bien commun majeur. Je pourrais vous parler de l’accès de tous à la santé sur tous les territoires, vous parler solidarité et cohésion sociale : les débats vécus sur les ronds-points, les débats (grand ou petit), les crispations dans les rues ces dernières semaines sont autant d’interpellations sur notre cohésion. J’aurais pu vous parler de l’État dans ses responsabilités régaliennes de sécurité, de lutte contre les radicalités violentes qui tuent à Villejuif et ailleurs.
La France est un pays qui compte en Europe et dans le monde.
À l’heure où nous partageons ce moment, des soldats de nos armées patrouillent au Sahel, des pilotes affrontent la nuit d’Irak et de Syrie. Ils sont notre honneur. La mémoire de ceux qui ont donné leur vie nous crée des devoirs, devoir d’être des législateurs qui leur donnent les moyens d’agir, devoir de contribuer à être des acteurs d’apaisement dans un monde incertain, violent, imprévisible (où le risque de prolifération nucléaire prévaut) :
Un monde soumis aux dérèglements climatiques et où le « chacun pour soi » « triomphe » sur le multilatéralisme…
Pour relever cela, nous avons besoin d’Europe, d’une Europe qui affirme ses « souverainetés » économique, stratégique et de défense. Une Europe qui imagine de nouvelles relations avec le Royaume-Uni et qui traite de la question migratoire.
Mes chers collègues,
2020 sera une année marquée par des échéances électorales essentielles. Les élections municipales sont structurantes car elles forment la trame des 550 000 élus territoriaux. Elles désigneront celles et ceux qui dans ces petites Républiques dans la grande noueront le dialogue et la confiance avec nos concitoyens.
En octobre prochain, c’est une nouvelle assemblée qui siègera ici au Palais du Luxembourg.
Nos collègues qui se représenteront pourront se référer au bilan de notre assemblée.
Celles et ceux qui feront le choix d’achever leur mandat pourront témoigner de leur action ; je sais, pour vous connaître, qu’ils auront servi le Sénat, les territoires qu’ils représentent et la France avec engagement, et toujours en recherchant le meilleur pour nos compatriotes.
Le Sénat continuera à être un contrepouvoir sans lequel aucune démocratie ne peut exister. Il devra toujours être « un stabilisateur de nos institutions ».
Le Sénat préservera « une République Une, Indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Il saura répondre aux défis qui se présenteront à lui : la décentralisation, la révolution numérique, l’intelligence artificielle…
C’est un Sénat qui sera toujours garant des libertés individuelles et du respect de l’ordre public.
Cette année 2020 sera une année gaullienne ; dans la diversité de nos sensibilités, elle nous rappelle qu’« il ne faut pas subir ».
La France vivra, forte et généreuse, tant qu'elle sera déterminée à défendre, quoi qu'il en coûte, ses valeurs universelles, ses valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité.
Ne jamais renoncer à être ce que l'on est, quelles que soient les époques, quelles que soient les circonstances, c'est le message que nous devons porter.
Très bonne année à chacune et à chacun,
Très bonne année à vous, Monsieur le Premier ministre,
Très bonne année à vous, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Très bonne année à vous, Madame et Messieurs les Ministres,
Très bonne année au Sénat,
Très bonne année à la France !
Seul le prononcé fait foi