Discours
Journée des maires d’outre-mer
Lundi 18 novembre 2019 – 10 h 30
Monsieur le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Michel Magras,
Monsieur le vice-président du Sénat, cher Thani Mohamed Soilihi,
Mesdames et Messieurs les sénateurs et anciens sénateurs (Jacques Cornano, Karine Claireaux, Hilarion Vendegou),
Madame la Ministre (Marie-Luce Penchard),
Monsieur le Ministre (Victorin Lurel),
Monsieur le Président de l’Assemblée de Polynésie française (Gaston Tong Sang),
Mesdames et Messieurs les maires, présidents d’associations départementales, maires-adjoints, et conseillers municipaux,
Chers amis,
C’est toujours avec beaucoup de plaisir que je prends la parole devant vous qui présidez aux destinées de collectivités dispersées à travers plusieurs océans et continents, et qui par là-même contribuez pleinement au rayonnement de la France.
Je tiens à vous dire combien j’éprouve un attachement indéfectible à vos territoires et à nos compatriotes qui y vivent, car ils portent avec fierté les valeurs de la République à travers le monde.
Je tiens tout d’abord à remercier chaleureusement le président Michel Magras et mes collègues membres de la délégation, qu’ils soient d’outre-mer ou de l’hexagone – nul n’est parfait – pour leur initiative de ce jour qui permet de faire mieux connaître leurs récents travaux sur les risques naturels majeurs. Placés sous l’autorité de Guillaume Arnell, les rapporteurs Mathieu Darnaud, Victoire Jasmin pour le premier volet et Abdallah Hassani et Jean-François Rapin pour le second, ont effectué un travail remarquable qui a permis de traiter ce sujet si important pour vos territoires de manière très complète et sans concession.
La rencontre d’aujourd’hui contribue également à renforcer les liens entre le Sénat et les élus ultramarins, et surtout à engager un dialogue enrichissant et utile pour la préparation des futurs textes législatifs.
Elle découle, en outre, d’une volonté permanente d’associer les élus locaux à nos travaux, comme l’a exprimé il y a quelques instants notre collègue Thani Mohamed Soilihi, président de la délégation chargée de la présence territoriale du Sénat, en vous présentant la plateforme interactive de consultation des élus. Cet outil est pour nous important car il constitue une ligne directe avec le terrain. Vous devez donc vous l’approprier afin que nous puissions recueillir vos avis sur certaines propositions sénatoriales et veiller ainsi à ce qu’elles correspondent au mieux à vos attentes.
Vos territoires doivent relever de nombreux défis, qu’ils résultent de la mondialisation, des échanges économiques, des flux migratoires et de ses conséquences en matière d’éducation, de santé, du changement climatique (montée des eaux, échouage des algues sargasses, dossier pour lequel, cher Dominique Théophile, vous êtes particulièrement investi) de la pollution au chlordécone aux Antilles, de la transition démographique – je pense au combat de Catherine Conconne pour le retour des jeunes Martiniquais au pays, ou encore de la fracture sociale, comme vous l’avez souligné, cher Michel Dennemont, l’an dernier lors du grand mouvement protestataire à La Réunion.
À ces défis s’ajoute la méfiance à l’égard des politiques publiques menées à destination de ces territoires, comme le rappelait Maurice Antiste lors du débat budgétaire de l’an dernier, précisant que 86 % des ultramarins n’ont pas ou peu confiance en celles-ci.
Les outre-mer, pour reprendre une de vos formules, cher Michel Magras, sont à la fois intercesseurs, précurseurs et éveilleurs de conscience, d’où une nécessité absolue et permanente d’écoute et d’échanges pour une meilleure prise en compte de leurs spécificités. Ce sont celles-ci qui rendent votre tâche plus compliquée et qui réclament une plus grande capacité d’adaptation, au plus près de l’attente de vos administrés et des réalités locales.
Le Président Jacques Chirac, dans son discours visionnaire de Madiana en Martinique le 11 mars 2000, avait montré le chemin à suivre pour aider les outre-mer à relever ces défis, celui de la différenciation territoriale. Chemin qui vous tient à cœur cher Michel Magras, car il apparaît de plus en plus comme une des clés d’avenir des politiques publiques outre-mer. En effet, l’inadaptation de certaines normes réduit considérablement l’efficacité de ces politiques. Là encore, les travaux de notre délégation aux outre-mer ont montré, notamment dans le domaine du bâtiment ou de l’agriculture, le poids des normes et leur fréquent décalage avec les réalités ultramarines. Décalage qui conduit parfois à des situations ubuesques…
La différenciation est une notion commode parce que floue et chacun en a sa propre définition : différenciation des compétences, différenciation des normes, contrôle du Parlement, contrôle du Gouvernement. On peut l’envisager de bien des manières.
Je me réjouis donc de la décision de votre délégation de se saisir du sujet en dialogue avec les élus. Car, si le Parlement était amené dans les mois à venir – nous au Sénat y sommes prêts – à examiner le projet de loi constitutionnel, il nous faudrait en toute responsabilité clarifier les relations entre l’État et les collectivités d’outre-mer.
Je sais que plusieurs de mes collègues ultramarins y sont favorables. Je pense en particulier à nos amis de Guyane, Antoine Karam et Georges Patient. Il me semble encore plus nécessaire outre-mer que dans l’hexagone d’entrer dans une nouvelle logique de gouvernance qui puise sa force dans le territoire et lui donne la liberté de créer, d’adapter et d’entreprendre. Il est évident que cela ne peut se concevoir qu’en affirmant, d’une part, l’ancrage des outre-mer dans la République et, d’autre part, la nécessaire solidarité nationale.
La différenciation, dès lors qu’elle est définie et organisée, ne remet pas en cause le principe d’égalité. Au contraire, elle peut constituer un moyen de garantir l’égalité. Il suffit de voir les fortes inégalités provenant du non accès à l’emploi, des retards considérables en matière de santé, d’éducation ou d’équipements, pour se rendre compte que l’État n’a pas été au cours de ces vingt dernières années en mesure d’assurer réellement l’égalité entre les territoires, même si de nombreux progrès ont été réalisés.
L’important travail conduit par notre collègue Victorin Lurel, lors de l’élaboration de la loi pour l’égalité réelle en outre-mer, le démontre aisément. Tout comme le cri d’alarme de Nassimah Dindar l’an dernier en faveur de l’habitat ultramarin, dont la situation très dégradée s’inscrit malheureusement dans un contexte de tension structurelle qui ne laisse pas envisager d’amélioration immédiate. Constat récemment confirmé par notre collègue Nuihau Laurey qui regrettait dans son avis budgétaire une baisse particulièrement importante des crédits en faveur du logement outre-mer, crédits portés à leur plus faible niveau depuis ces dix dernières années.
Toutefois, différenciation ou statu quo, les élus locaux pour mener à bien leur mission dans l’intérêt de leur territoire doivent recevoir de l’État les moyens nécessaires. Or, vos collectivités face aux importants défis qu’elles doivent relever, n’ont pas les ressources adéquates. Le 9 juillet dernier, le Comité des finances locales a adopté une délibération par laquelle il souhaite que soit initiée une trajectoire de rattrapage sur cinq ans des montants attribués au titre de la péréquation dans les DROM.
Les travaux du CFL montrent, en outre, que les critères actuels de répartition de la dotation d’aménagement des communes et des circonscriptions territoriales d’outre-mer ne permettent pas d’assurer une péréquation efficace entre les communes d’outre-mer. L’Assemblée nationale vient d’adopter en Loi de finances un amendement prévoyant un rattrapage de dotation. C’est une première étape, mais nous devons aller plus loin.
Ainsi attendons-nous avec impatience les préconisations de notre collègue Georges Patient, qui a été chargé par le Premier ministre d’une mission portant sur les finances locales outre-mer, car la situation financière d’un grand nombre de communes est particulièrement délicate.
Nous devons donc obtenir de nouvelles marges de manœuvre pour vos collectivités afin de les sortir de cette situation qui porte directement préjudice aux administrés puisque les élus n’ont pas les moyens de répondre à leurs besoins. Je pense, par exemple, aux retards en matière d’équipements sportifs, lorsque l’on sait que la pratique du sport est un puissant levier face aux défis sanitaires et sociaux de certains territoires. L’excellent rapport présenté l’an dernier par nos collègues Catherine Conconne, Gisèle Jourda, Viviane Malet et Lana Tetuanui, montre combien malgré ce manque de moyens et ces équipements obsolètes, les outre-mer produisent de grands champions. Imaginons les résultats avec une mise à niveau de ces équipements !
En Nouvelle-Calédonie, la grande difficulté des communes réside dans la faiblesse des ressources due en grande partie à l’absence de fiscalité propre. Pierre Frogier et Gérard Poadja m’autoriseront à reprendre à mon compte cette affirmation selon laquelle les communes calédoniennes ont été les grandes oubliées des accords de Matignon, puis de Nouméa. J’espère que la commune calédonienne trouvera toute sa place dans le nouveau statut qui verra le jour après la sortie de l’accord de Nouméa. À Wallis et Futuna, ces difficultés budgétaires se font également sentir dans les circonscriptions, échelon administratif équivalent à nos communes, comme me l’ont confirmé les rois d’Uvea, de Sigave et d’Alo en présence de Robert Laufoaulu.
Certes, ces constats ne sont pas nouveaux ; mais des mesures récentes mettent à mal l’autonomie financière de nos communes, comme la suppression de la taxe d’habitation qui fragilise une fois de plus le lien entre les collectivités locales, qui fournissent des services à la population, et le citoyen contribuable. Sur la suppression de la taxe d’habitation, vous me permettrez d’ironiser sur la complexité du dispositif de compensation, notamment du coefficient correcteur qui nécessite 35 pages de textes et pas moins de 520 alinéas pour définir le nouveau régime fiscal !
La disparition de la taxe d’habitation et son remplacement par la taxe foncière des départements vont modifier substantiellement le potentiel fiscal des communes, et donc le calcul des dotations et fonds de péréquation auxquels elles peuvent avoir droit. Le Gouvernement a annoncé que la question du calcul de la péréquation donnera lieu à des travaux au cours du premier semestre 2020, qui aboutiront lors du PLF 2021. Cela ne facilitera pas la tâche des équipes municipales qui seront élues au printemps prochain et qui doivent avoir une parfaite visibilité sur l’environnement financier dans lequel elles pourront inscrire leur action.
Autre sujet sensible pour les finances de vos collectivités, l’octroi de mer autorisé par Bruxelles jusqu’en 2020.
Après les propos de la ministre des Outre-mer concernant une éventuelle transformation de l’octroi de mer dans le cadre d’un rééquilibrage TVA/octroi de mer, le Président de la République, lors de son déplacement à La Réunion, s’est voulu rassurant en déclarant « on ne revient pas sur l’octroi de mer mais il faut le rendre plus intelligent ». Si tout le monde convient qu’il faille apporter des améliorations au dispositif existant, j’invite le Gouvernement à bien mesurer, avant toute prise de décisions, les incidences sur le tissu économique et l’équilibre budgétaire des collectivités. Toute éventuelle modification, y compris « intelligente », de l’octroi de mer doit se faire avec l’assentiment des élus lorsque l’on connaît la place prépondérante de l’octroi de mer dans les recettes fiscales des collectivités concernées. Sur ce sujet, comme sur les autres sujets fiscaux, nous devons aller dans le sens des demandes de Jean Louis Lagourgue en faveur de plus de différenciation fiscale pour combler le différentiel de compétitivité des entreprises ultramarines.
Je souhaite également évoquer le projet de loi Engagement et Proximité qui porte la marque de fabrique du Sénat. Ce texte répond à un certain nombre d’attentes des élus du bloc communal, pour l’essentiel sur les articulations entre commune et EPCI, et sur les conditions d’exercice du mandat ; en particulier, il renforce les pouvoirs de police du maire. Les résultats de la consultation lancée cet été par la commission des lois du Sénat donnent toute la mesure de la situation et soulignent la faiblesse des protections dont bénéficient aujourd’hui les maires qui sont régulièrement victimes d’incivilités, d’injures, voire de menaces et d’agressions physiques. N’oublions pas que d’après les chiffres du ministère de l’Intérieur, 361 maires ont été agressés en 2018, dont 40 % physiquement. Le projet de loi adopté par le Sénat apporte des éléments de réponse en permettant de sanctionner plus rapidement les infractions à la réglementation municipale, en ouvrant la possibilité aux maires de prononcer des amendes administratives pour des manquements continus ou répétés à la réglementation sur le domaine public. Par ailleurs, ce texte a repris la proposition du Sénat d’instaurer un pacte de gouvernance au sein des intercommunalités prévoyant les modalités d’association des maires à cette gouvernance ainsi que la transmission d’éléments d’information sur les travaux du conseil communautaire, ou encore la possibilité de donner aux maires une autorité fonctionnelle sur les services de l’EPCI, dans le cadre d’une convention de mise à disposition.
L’autre volet de ce projet de loi concerne l’amélioration des conditions d’exercice des mandats locaux. À cet égard, un certain nombre de propositions avaient été faites par notre délégation aux collectivités territoriales, en matière de régime indemnitaire et social mais aussi de formation, de reconversion et de responsabilité des élus.
Je sais que nos amis polynésiens auraient souhaité que certaines dispositions soient applicables immédiatement et non renvoyées à une ordonnance ; mais je sais aussi que le « bilan » des acquis en faveur des élus polynésiens est important grâce à vos sénateurs et, en particulier, à l’opiniâtreté et la fougue de Lana Tetuanui dans la défense de ses amendements.
Comme vous pouvez le constater, vos communes, leurs problématiques, sont au cœur des réflexions et des travaux de la Haute Assemblée.
Aussi, soyez certains de trouver auprès des membres de notre délégation aux outre-mer ou de moi-même, des interlocuteurs privilégiés. Nous sommes convaincus que toutes les solutions aux difficultés auxquelles notre pays est confronté passent par la confiance accordée aux élus locaux pour porter les projets des territoires et la liberté qui leur est donnée pour mieux tenir compte de la diversité de leur propre territoire. L’action publique est avant tout une œuvre collective disiez-vous, cher Stéphane Artano, lors d’un récent débat. Cette matinée doit donc contribuer à porter la politique de vos territoires au niveau national.
Je souhaite que nous puissions poursuivre cette matinée par des échanges libres qui permettront d’aller plus loin dans l’appréhension et la visibilité de vos problématiques.
Seul le prononcé fait foi