Ouverture du colloque par M. Gérard LARCHER, Président du Sénat
« Les collectivités territoriales, leviers de développement des ruralités »
Jeudi 7 novembre 2019
Salle Médicis
Monsieur le Président de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, cher Jean-Marie Bockel,
Monsieur le Ministre, Cher Pierre Méhaignerie,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je salue tout particulièrement les rapporteurs et membres du groupe de travail à l’origine de ce colloque, Bernard Delcros (Cantal), Jean François Husson (Meurthe-et-Moselle), Franck Montaugé (Gers), Raymond Vall (Gers), qui en sont les rapporteurs, et Françoise Gatel (Ille-et-Vilaine), Charles Guené (Haute-Marne), Jean-Claude Luche (Aveyron), Christian Manable (Somme), ainsi que Patrice Joly en charge de la mission agenda rural,
Mesdames et Messieurs les élus, maires, présidents de département et d’intercommunalité,
Mesdames et Messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue au Sénat, pour débattre d’un sujet qui est au cœur de nos préoccupations, l’avenir des territoires ruraux et le rôle des collectivités en matière de développement local.
Abordons le sans misérabilisme ni nostalgie.
Ce sont plus de 22 millions de nos concitoyens qui vivent dans les territoires ruraux, soit 35 % de la population française. Ces territoires, je les connais. Ce ne sont pas des lieux où l’on se contenterait « d’habiter », en marge d’espaces urbains dynamiques. Ce sont des lieux empreints de géographie et d’histoire, où l’on vit et où l’on crée, et où l’on construit, là aussi, la France de demain.
Sans doute ne sont-ils pas toujours pris en compte avec justesse. Non pas qu’ils ne soient pas l’objet d’attention – ça a été le cas par un passé récent et j’ai pu parler de « la France d’à côté » – mais les réponses d’aujourd’hui sont-elles réellement celles attendues ?
Je veux, avec vous, poser sereinement la question : peut on apporter une réponse globale à des problèmes qui ne s’expriment pas tous de la même façon ? Si je me réjouis que le Premier ministre ait présenté, le 20 septembre dernier, son plan « Nos campagnes, territoires d’avenir », est on certain que le contenu des 173 mesures apportera bien une réponse concrète et adaptée, je dirais différenciée, aux caractéristiques de chacun de nos territoires ?
La ruralité c’est d’abord le reflet de la diversité de notre pays. Et je suis convaincu que c’est de la diversité et donc de l’identité de nos territoires que viendra le renouveau démocratique auquel aspire notre pays.
Nous devrons donc au préalable revoir notre modèle institutionnel en construisant une nouvelle génération de décentralisation, fondée sur une réelle subsidiarité et sur la confiance accordée aux élus des territoires.
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L’optimisme n’est pas toujours de mise quand on parle de ruralité mais c’est bien d’optimisme et de volontarisme dont nous allons nous entretenir, à rebours du sentiment d’abandon.
Bien sûr, il ne faut pas mésestimer l’impression de marginalisation que peuvent ressentir certains territoires. Ce sentiment d’abandon, dont vous êtes les observateurs premiers, a nourri une partie de la « crise des ronds points » à l’automne dernier.
J’ai effectué 72 déplacements en vingt mois. Et il n’est pas un déplacement sans qu’on ne m’ait parlé de trois enjeux communs aux territoires de la ruralité :
- la fracture numérique, la difficulté pour de trop nombreux habitants à avoir accès au très haut débit ou même l’impossibilité de téléphoner avec un portable du fait d’une zone blanche ;
- l’accès aux soins et les risques de désertification médicale ;
- et l’enclavement, à travers à la fois les enjeux de mobilité et d’accès aux services, qu’ils soient publics ou privés.
Pour chacun de ces enjeux, je suis convaincu que la réponse viendra d’abord d’une dynamique propre à vos territoires, bien plus que d’un schéma départemental d’accessibilité aux services publics, qui serait mis en place sous l’égide du Commissariat général à l’égalité des territoires !
La commune, la mairie, c’est le premier service public de proximité, pour accompagner les initiatives d’un territoire.
La subsidiarité devra être au cœur du projet de la décentralisation : les collectivités du bloc communal doivent retrouver la liberté d’agir et pouvoir apporter une réponse qui ne soit pas nécessairement la même que celle de la collectivité voisine. Elles doivent également recouvrer les moyens d’agir, et à ce titre je réclame le respect intangible de l’autonomie financière et fiscale des collectivités. C’est un des enjeux majeurs du débat à venir sur le projet de loi de finances avec la réforme de la taxe d’habitation et de la fiscalité départementale et communale.
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Il est souvent deux écueils lorsque l’on évoque la ruralité :
Le premier écueil est de considérer que le remède ne peut venir que d’en haut, qu’il faut plus d’État, plus de politiques descendantes et plus de DETR. Or, comme vous le rappelez, dans l’intitulé même du colloque, les collectivités peuvent être le premier levier de développement des territoires qu’elles administrent.
Non qu’il faille moins d’État, bien au contraire, mais nous ne pouvons plus longtemps différer la réflexion sur les missions qui lui incombent.
Oui, nous avons besoin de l’État au plan local, les communes rurales en premier lieu, pour bénéficier de conseil et d’accompagnement. La carence en ingénierie est sans doute le frein le plus important pour faire émerger les projets des territoires ruraux. L’Agence nationale de cohésion des territoires y répondra-t-elle ? Mais elle ne devra pas entrer en concurrence avec les services des collectivités mais venir en appui ou en complément.
Oui, il faut que l’État joue pleinement son rôle. Il faut qu’il maintienne les financements au niveau attendu. Il faut qu’il contractualise au plus juste. Avec les sénateurs Bernard DELCROS, Frédérique ESPAGNAC et Rémy POINTEREAU, la proposition qu’ils font de proroger jusqu’au 31 décembre 2021 les mesures en vigueur dans les Zones de revitalisation rurales (ZRR) pour les communes bénéficiant du dispositif me paraît importante. Cette période transitoire devra être mise à profit pour définir des critères plus adaptés aux fragilités des territoires.
Le deuxième écueil consisterait à opposer grandes villes et villes moyennes, bourgs centres et villages. Il faut bien au contraire s’attacher à comprendre le lien entre les métropoles et les territoires avoisinants, entre les bourgs chef-lieu et les communes plus petites.
Vous avez auditionné Nadine Levratto, directrice de recherche au CNRS. Ses travaux ont cherché à vérifier l’hypothèse de la pensée dominante aujourd’hui, la capacité des métropoles à « ruisseler » sur les territoires avoisinants. Les résultats auxquels le groupe de travail sénatorial a eu accès montrent que toutes les métropoles n'ont pas eu un effet d'entraînement sur leur voisinage.
Il n’y a donc pas une vérité mais bien au contraire des réalités diverses, qui appellent des réponses différenciées.
La condition de la réussite me parait être l’existence d’un projet de territoire. Un territoire se construit dans des interactions vertueuses si l’ensemble des acteurs savent faire émerger une vision et un projet partagé.
C’est sans doute là le principal défaut d’un certain nombre d’intercommunalités XXL, qui est de ne pas pouvoir fédérer autour d’un projet. Augmenter le coefficient d’intégration fiscale par des compétences nouvelles n’a jamais fait un projet et n’a que rarement contribué à donner de la valeur ajoutée à un territoire.
Au-delà des financements, c’est de dynamique humaine dont ont besoin les espaces ruraux, pour se développer tout en préservant leurs particularismes. C’est de synergies autour d’une alliance entre les territoires urbains et les territoires ruraux, entre les pôles urbains, ce que j’appelle l’armature des villes moyennes, et les communes plus petites.
Il nous faut tout simplement faire confiance aux élus de ces territoires, en leur confiant le soin de construire librement leur projet.
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Le Premier ministre proposera à la fin du premier semestre 2020 une loi « 3D », pour décentralisation, différenciation, déconcentration. Je lui proposerai d’ajouter une lettre, C pour Confiance, C pour Concertation. Nous avons aujourd’hui le devoir de restaurer la confiance à tous les étages de la société et des corps constitués, en premier lieu entre l’État et les élus locaux. La nouvelle génération de la décentralisation doit permettre à chacun des élus, des communes, départements et régions, de retrouver la confiance. Le renforcement des libertés locales doit redonner aux élus des marges pour agir, pour innover, pour expérimenter.
Il n’y a, dans nos territoires, ni fatalisme ni renoncement, mais au contraire une vitalité, une envie de faire qui ne demande qu’à s’épanouir.
Car, comme le laisse entendre l’intitulé de votre colloque, les leviers de développement appartiennent à tous, métropoles et régions bien sûr, et aussi à toutes les communes et à tous les départements qui constituent le cœur battant de notre pays.
Seul le prononcé fait foi