Intervention de M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Congrès de l’Assemblée des départements de France
Rennes – Jeudi 8 novembre 2018
Monsieur le Président de l’Assemblée des départements de France, cher Dominique Bussereau,
Madame le Maire de Rennes qui nous accueille dans sa commune, chère Nathalie Appéré,
Monsieur le Président du département d’Ille-et-Vilaine, cher Jean-Luc Chenut,
Monsieur le Président de la Région Bretagne, cher Loïc Chesnais-Girard,
Mes chers collègues Députés et Sénateurs,
Monsieur le Secrétaire général représentant M. le Préfet,
Messieurs les présidents des groupes politiques de l’Assemblée des départements de France, chers François Sauvadet et André Viola,
Mesdames et Messieurs les Présidents de département,
Monsieur le Président de l’Association des Maires de France, cher François Baroin,
Monsieur le Président de Régions de France, cher Hervé Morin,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les Directeurs généraux des services,
Mesdames et Messieurs,
Ce 88ème congrès de l’Assemblée des départements de France intervient à un moment politique particulier.
Il intervient :
- quatre mois après le retrait de la Conférence nationale des territoires de votre association, de l’Association des maires de France et de Régions de France, sur fond de malaise dans le dialogue entre l’Etat et les collectivités et de ressenti d’une recentralisation en marche ;
- un mois et demi après le lancement de Territoires Unis à Marseille, marqué par un appel à la défense des libertés locales, souvent vantées par un gouvernement qui prône les différenciations territoriales, mais en réalité bridées par un corset financier modernisé dans sa forme mais encore plus serré qu’auparavant ;
- trois semaines après un remaniement ministériel qui avait pour objectif de permettre au Gouvernement de renouer – enfin ! – le dialogue avec les collectivités sur des bases plus saines.
- Et en particulier pour les départements, dans ce cadre, de trouver d’ici votre congrès des solutions à deux sujets majeurs de préoccupation immédiate : la prise en charge des mineurs non accompagnés et des allocations individuelles de solidarité. Le Président de la République s’y était engagé devant le Président Bussereau et moi-même à l’Elysée le 16 octobre.
- Mais aussi d’apporter une réponse à deux autres sujets structurants pour les départements : le lien avec les métropoles, et la question éminemment sensible de la refonte de la fiscalité locale, du fait de la suppression de la taxe d’habitation. Cela concerne bien entendu également les communes, mais aussi potentiellement les régions. Tout comme un autre sujet évoqué par le Président de la République : celui de la mise en œuvre de la loi NOTRe.
Les sujets sont donc denses mais avant de les aborder, je voudrais vous faire part de ma conviction, qui n’a fait que se confirmer au fur et à mesure de mes déplacements et de mes échanges avec les départements, que ce soit dans le Val-de-Loire, en Charente-Maritime, dans les Alpes-Maritimes, dans l’Aude, la Haute-Garonne, ou encore au début de cette semaine en Seine-et-Marne : nous avons aujourd’hui plus que jamais besoin des départements !
Le département est un repère pour nos concitoyens et un échelon de proximité indispensable pour la cohésion sociale et territoriale, et plus encore, cher Hervé Morin, dans le cadre des grandes régions.
Lors d’une rencontre de l’ADF au mois de mai, plusieurs présidents de département avaient mis en évidence les innovations territoriales déployées par les départements, les actions en matière d’ingénierie, dont je mesure toute la pertinence dans les Yvelines, les mutualisations ou les coopérations interdépartementales qui permettent d’optimiser l’action publique.
Des mutualisations et des coopérations qui ne sont pas des « opérations défensives », mais bien une manière renouvelée de projeter l’action des départements, de les renforcer.
Lors de mes déplacements, j’ai aussi pu constater les coopérations à l’œuvre entre les départements et d’autres niveaux de collectivité, régions, communes et intercommunalités et, évidemment, métropoles. Je l’ai vu en Haute-Garonne, où le département a signé avec la métropole une convention pluriannuelle d’investissements. J’ai également constaté la capacité de coopération et d’innovation entre les départements et des « métropoles » de moins grande taille ou des pôles métropolitains, par exemple en Charente-Maritime, dans les Deux-Sèvres et en Vendée autour du pôle métropolitain Centre Atlantique.
Je n’oppose pas les différents niveaux de collectivité, et notamment pas les départements aux régions ou aux métropoles.
Je pense que les métropoles sont un atout important pour le développement et le rayonnement de notre pays. Mais la France ne se résume pas aux seules métropoles dynamiques : c’est un tout ! Les métropoles doivent être des locomotives qui entraînent les territoires qui les entourent.
Et je mesure aussi la sensibilité de ce sujet ici, en Bretagne, où la question de l’équilibre entre l’Est et l’Ouest, entre la Basse-Bretagne et la Haute-Bretagne, est toujours présente – et peut-être même plus encore après l’arrivée du TGV à pleine vitesse jusqu’à Rennes. Un quotidien breton s’en est fait l’écho tout récemment !
Oui, l’enjeu, c’est l’équilibre des territoires.
La recherche d’un meilleur équilibre entre les métropoles et le monde rural est l’une des préoccupations du Sénat, tout comme le devenir des petites villes et le devenir des villes moyennes qui forment un réseau indispensable pour tenir et assurer le développement des territoires.
Dans le débat que le Gouvernement a souhaité ouvrir sur l’articulation entre la collectivité départementale et l’échelon métropolitain, je n’oppose donc pas les métropoles aux départements.
Le Gouvernement a beaucoup mis en avant le modèle lyonnais, fruit nous le savons tous de la volonté de deux personnalités, Michel Mercier et Gérard Collomb.
La métropole lyonnaise n’a donc pas été imposée : elle s’est faite d’un commun accord à l’époque entre le conseil général et la communauté urbaine de Lyon. Il est important de le rappeler.
Nous avons un autre territoire où la collectivité départementale et la métropole souhaitent un rapprochement, c’est dans les Bouches-du-Rhône.
La présidence commune du département et de la métropole, confiée à Martine Vassal, devrait permettre d’avancer sur ce dossier, qui soulève toutefois la question particulière du devenir du Pays d’Arles.
Pour le reste, le Gouvernement a réfléchi à un rapprochement entre les départements et cinq métropoles, en particulier celles de plus de 500 000 habitants : Toulouse, Bordeaux, Nice, Lille et Nantes.
Des réunions se sont tenues à Matignon et à l’Élysée avec les présidents des métropoles concernées… sans les départements ( !). Une méthode qui a suscité d’inutiles tensions et qui ne s’est pas révélée adaptée :
- En Loire-Atlantique, la métropole de Nantes elle-même a décliné le schéma envisagé par le Gouvernement ;
- La perspective de fusion de rapprochement entre la métropole de Lille et le département du Nord a été officiellement abandonnée par le Gouvernement qui n’a pu que constater l’absence de volontés locales ;
- Quant aux trois situations, les départements de la Gironde, des Alpes-Maritimes et de la Haute-Garonne sont opposés à un projet de fusion sur le territoire de la métropole qui pourrait remettre en cause les solidarités territoriales.
Partons des projets des territoires et n’imposons pas aux départements une solution unique élaborée à Paris !
Les départements ne sont pas une collectivité de second rang, ils ne sont pas une collectivité sur le déclin face aux métropoles !
C’est pourquoi nous soutiendrons, en lien avec l’Assemblée des départements de France, les démarches des départements qui souhaitent innover d’une certaine manière en se rapprochant des métropoles, tout comme ceux qui privilégient d’autres voies d’innovation territoriale fondées sur la coopération, plutôt que sur des opérations de « fusion-absorption »…
Misons sur les projets des territoires, faisons confiance aux élus pour trouver les voies de développer leur territoire de la meilleure manière possible.
La même logique vaut pour les fusions entre départements et les souplesses dans l’organisation des compétences.
Au terme d’une longue concertation, le Premier ministre vient d’annoncer qu’une solution venait d’être trouvée concernant le devenir d’une nouvelle collectivité européenne d’Alsace issue de la fusion des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, et bénéficiant de compétences supplémentaires.
D’autres souhaits de fusion ont été exprimés, je pense en particulier aux Yvelines et aux Hauts-de-Seine. Le gouvernement n’a pas souhaité y donner suite pour l’instant, mais il est vrai qu’il tarde à avoir une vision concernant le devenir du Grand Paris et des territoires de l’Ile-de-France… En Ile-de-France comme dans les autres régions, les départements ont toute leur place, toute leur légitimité !
Misons sur les projets des territoires, faisons confiance aux élus pour trouver les voies de développer leur territoire de la meilleure manière possible.
N’attisons pas les concurrences ! Essayons au contraire de faire en sorte que l’ensemble des collectivités puissent tirer ensemble dans la même direction.
Ce principe vaut tout autant, bien sûr, en matière financière.
Hier soir, le bureau de l’ADF a donné son accord à la proposition du Gouvernement concernant les allocations individuelles de solidarité et les mineurs non accompagnés.
Cette contribution financière de l’Etat était attendue et nécessaire pour faire face à l’urgence financière à laquelle nombre de conseils départementaux doivent faire face.
Je tiens également à souligner l’esprit de responsabilité et de solidarité qui prévaut entre les départements, par le biais de la péréquation interdépartementale.
Mais la proposition du Gouvernement, si elle apporte une aide d’urgence bienvenue aux départements, ne signifie nullement que les problèmes de fond sont réglés.
C’est un premier pas qui était un préalable nécessaire pour retrouver la voie d’un dialogue plus serein avec les départements. J’ai compris que le vote de votre Bureau hier soir ne saurait en aucun cas être considéré comme un blanc-seing, ni même un réel satisfecit.
Le vrai test de la volonté de dialogue du Gouvernement, ce sera le chantier de la refonte de la fiscalité locale.
L’Etat doit cesser de jouer les collectivités les unes contre les autres. Il doit travailler dans la cohérence et la clarté avec les trois niveaux de collectivité : commune, département et région.
Dans les scénarios gouvernementaux qui ne cessent de changer, il y a une constante : le département est la collectivité qui pourrait ressortir la plus fragilisée de la réforme, si elle se voyait privée de tout ou partie du foncier bâti.
Même Alain Richard s’est montré critique, à l’occasion d’un colloque organisé par le Forum métropolitain du Grand Paris le 18 septembre ! Il reconnaît désormais que cela conduirait à une « dévitalisation financière » des départements et pourrait entraîner des « crises à répétition » !
Je suis intimement persuadé que, dans notre système politique qui n’est pas celui d’un Etat fédéral, il ne peut y avoir de pouvoir politique autonome sans pouvoir fiscal. Le pouvoir politique ne s’exerce pas dans la simple gestion de moyens financiers procurés ou concédés par d’autres !
Conformément à l’approche qu’il avait défendue lors du Congrès des maires l’an dernier, j’ai demandé au Président de la République qu’on écrive ensemble le scénario final, les associations d’élus avec le Parlement et le Gouvernement.
Le Président s’y est engagé devant moi : nous attendons désormais les actes. Mais d’ores et déjà, le Sénat est prêt à travailler avec les associations d’élus, dans la transparence et dans l’esprit d’unité qui a prévalu lors du lancement de Territoires Unis à Marseille et que vous allez rappeler ici, à Rennes, en signant les principes fondateurs de cette alliance, chers Dominique Bussereau, François Baroin et Hervé Morin.
Qu’avons-nous dit à Marseille ?
Qu’une décentralisation réussie ne peut pas se résumer à une décentralisation qui « accepte les désaccords », mais qu’elle requiert la volonté de « surmonter » nos désaccords, y compris dans un dialogue exigeant.
Que cette volonté ne peut pas trouver à s’exercer sans confiance ni respect mutuel.
Que la décentralisation est une chimère si les collectivités n’ont pas les moyens de mener à bien leurs politiques publiques, si elles sont placées sous contraintes permanentes, voire sous menace !
C’est la pratique qui a parfois prévalu pour mettre en œuvre la « contractualisation » financière. Nous le savons tous !
Que le respect envers les élus locaux est fondamental ! Et l’épisode de la communication gouvernementale sur la taxe d’habitation 2018 est le contrexemple de ce que nous attendons !
L’Etat est bien content, ces jours-ci, de valoriser telle ou telle initiative locale pour se défausser sur les collectivités des décisions qu’il a prises en augmentant les taxes sur les carburants. Il espère maintenant que les collectivités, notamment les régions, vont mettre en place des aides pour aider ceux qui peinent au quotidien pour se rendre à leur travail.
Lors de l’examen du projet de loi de finances l’an dernier, le Sénat avait mis en garde le Gouvernement concernant sa stratégie de hausse des taxes sur les carburants, en demandant d’examiner la situation chaque année.
Le rapporteur général du budget Albéric de Montgolfier avait souligné le risque qui existait à prévoir une trajectoire de hausse sur l’ensemble du quinquennat, compte tenu des fluctuations du prix de l’énergie. C’est ce qui avait conduit le Sénat à rejeter la hausse pluriannuelle proposée par le Gouvernement.
Albéric de Montgolfier disait ainsi : « on peut bien sûr augmenter fortement la fiscalité écologique lorsque le prix du baril est bas, mais dès lors que le coût de l’énergie augmente fortement, cela peut avoir des incidences qui nous amèneraient à revoir la trajectoire ».
Et Jean-François Husson, le rapporteur spécial du Sénat, avait ces mots que le Gouvernement aurait dû davantage méditer : « nous ne voulons voir naître une nouvelle vague de bonnets rouges ». Ils sont là désormais sous la forme de gilets jaunes !
Et voilà maintenant l’Etat, si soucieux de la maîtrise des dépenses de fonctionnement des collectivités, soudain avide de susciter la dépense publique locale ! Il aurait pu aussi, surseoir à la hausse des taxes, voire, pourquoi pas, aligner temporairement par le bas la fiscalité entre l’essence et le diesel…
Mais il est tellement plus commode pour l’Etat d’accroître ses recettes et de faire payer les collectivités, en leur transférant au passage d’éventuelles décisions impopulaires…
Je souhaite donc que le Gouvernement fasse sienne la sagesse qui avait été celle du Sénat et reconsidère, lors de l’examen du projet de loi de finances au Sénat, sa trajectoire de taxation des carburants !
En attendant, sur la période 2018-2022, les collectivités territoriales devraient contribuer au désendettement du pays à hauteur de 50 milliards d’euros, alors que l’État pourrait de son côté alourdir notre dette de quelque 330 milliards d’euros !
Au Sénat, nous resterons fidèles à l’esprit de Marseille, retrempé à Rennes lors de ce congrès de l’Assemblée des départements de France.
Nous défendrons la libre administration et l’autonomie financière des collectivités territoriales sans lesquelles il n’est pas de véritable décentralisation. Ce sera un sujet important lors de l’examen des projets constitutionnel et organiques de réforme des institutions.
Nous défendrons le rôle et la place des élus locaux, dont nous venons de proposer la modernisation de leur statut.
Parce que nous croyons profondément dans les vertus de la décentralisation et dans le rôle des élus locaux.
Nous défendrons la subsidiarité et la proximité, parce que nous croyons dans la vertu de l’élection et de la représentation territoriale.
Et nous défendrons donc évidemment le département, comme collectivité essentielle de la République et comme circonscription électorale !
En veillant à ce que le projet de révision constitutionnelle permette une juste représentation des territoires au Parlement : c’est un point fondamental pour l’avenir de notre démocratie.
Vive le département, Vive la République et Vive la France !
Seul le prononcé fait foi