Discours du Président du Sénat, M. Gérard Larcher
lors de l’ouverture de la conférence parlementaire des pays d’Europe centrale du format de Bucarest (ou « B9 ») consacrée à la défense du flanc oriental de l’OTAN
À Bucarest, le 18 avril 2018
Monsieur le Président de la Roumanie,
Monsieur le Président du Sénat de Roumanie,
Monsieur le Président de la Chambre des Députés de Roumanie,
Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Parlements,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mon Général Commandant suprême des forces alliées en Europe,
Je tiens à remercier très sincèrement le Président du Sénat de la Roumanie pour son invitation à l’ouverture de cette conférence parlementaire du « format de Bucarest » ou « B9 » et de m’avoir invité à donner l’éclairage du Sénat de la République française.
La présence de la France à cette conférence est un symbole important, et j’en remercie mon collègue roumain.
L’élargissement de l’OTAN et de l’Union européenne était une exigence morale de l’Histoire. Il a permis la réunification du continent. Aujourd’hui, nos pays sont des alliés et des partenaires au sein de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne.
J’ai la conviction profonde que, face à une certaine tentation isolationniste des Etats-Unis, face à l’affirmation de la puissance chinoise ou face à la Russie, nous devons éviter l’apparition de nouveaux clivages en Europe, entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest, et préserver l’unité européenne.
Pour reprendre l’expression du Pape Jean Paul II, « l’Europe doit respirer par ses deux poumons, celui de l’Ouest et celui de l’Est ».
Comme je l’ai fait lors de ma visite à Varsovie, en février, et à Berlin, en mars dernier, je veux vous affirmer ma conviction : L’Europe ne peut être une addition de cercles concentriques. Il n’y a qu’une seule Europe. Il n’y a pas de catégories différentes entre les Etats membres.
Alors que pour certains, la fin de la « guerre froide » devait marquer le triomphe de la démocratie libérale et la « fin de l’histoire », nous avons assisté ces vingt dernières années, à une résurgence des menaces.
Aux menaces classiques, qui n’ont jamais entièrement disparu de l’Europe, se sont ajoutées de nouvelles menaces, comme le terrorisme islamiste, le défi migratoire ou les cyberattaques.
Dans ce contexte, quelle doit être l’attitude des Européens ? Je voudrais vous faire part, en tant que Président du Sénat français, de quelques réflexions sur l’OTAN et l’Europe de la défense.
Sortons d’abord de l’ambiguïté et des « idées reçues », car, comme le disait l’écrivain français Albert CAMUS, Prix Nobel de littérature, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».
Non, la France ne défend pas l’idée de construire l’Europe de la défense contre l’OTAN !
La France est un pays fondateur de l’Alliance atlantique et, gaulliste, comme mon collègue Bernard FOURNIER, Président du groupe d’amitié France-Roumanie du Sénat qui m’accompagne aujourd’hui, j’ai voté en faveur de la réintégration de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN, amorcé par le Président Jacques CHIRAC et mis en œuvre par Nicolas SARKOZY en 2009.
L’OTAN, et la clause de « défense mutuelle » de l’article 5, est, pour la France, le « pilier » de la sécurité collective du continent.
La défense de l’Europe, c’est-à-dire du territoire de l’Europe, est aujourd’hui assurée par l’Alliance atlantique.
En tant que membre à part entière, la France y occupe toute sa place.
Avec un budget de la défense en hausse, qui représente aujourd’hui 1,8 % du PIB et qui devrait progressivement atteindre 2 % du PIB à l’horizon 2025, comme le prévoit la nouvelle loi de programmation militaire, qui sera examinée prochainement par le Sénat, la France figure parmi les contributeurs importants.
Les 30 000 militaires français qui sont actuellement déployés sur les théâtres d’opération extérieure, notamment dans la bande sahélo-saharienne – j’étais à leur rencontre il y a un mois au Tchad et au Niger - ou au Levant, face aux groupes terroristes islamistes, participent à la sécurité de l’ensemble des Alliés et des Européens.
Aux côtés de ses alliés américains et britanniques, la France vient de participer, dans la nuit de vendredi à samedi, à des frappes ciblées en Syrie ayant visé des sites de production d’armes chimiques du régime. L’utilisation d’armes chimiques par le régime de Damas, en violation flagrante des résolutions des Nations-Unies, était inacceptable. Au-delà de ces frappes, il faut toutefois s’interroger sur l’avenir : Notre priorité doit rester le combat contre Daech et l’ensemble des mouvements liés à l’islamisme radical. Il faut aussi travailler à la recherche d’une solution politique en Syrie, ce qui implique une concertation avec tous les acteurs, dont la Turquie, l’Iran et la Russie.
Si elle est particulièrement active et engagée au Sud, la France contribue aussi à la défense du « flanc oriental » de l’Alliance atlantique, conformément aux engagements en matière de « réassurance » pris lors du Sommet de l’OTAN de Varsovie de 2016.
Ainsi, la France participe, depuis 2004, avec ses chasseurs à la « police du ciel » des pays baltes.
Un détachement de 300 militaires français, avec des chars Leclerc et des véhicules blindés, est déployé actuellement en Lituanie. Nous étions déployés en Estonie l’an dernier.
La marine française surveille le regain d’activité de la marine russe et de la marine chinoise, dans la mer Baltique, dans l’océan Atlantique, en Méditerranée et dans la Mer Noire, mer dans laquelle elle est un des pays européens les plus présents avec trois déploiements annuels de bâtiments. Les vols AWACS bimestriels au-dessus de la Roumanie ou les exercices aériens bilatéraux Blue Danube contribuent aussi au développement de la connaissance de la situation militaire dans la région.
En réalité, il n’y a aucune contradiction entre l’OTAN et le renforcement de la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne.
L’important, c’est que les Européens prennent davantage leur destin en main et renforcent leur effort de défense. Car, en définitive, ce sont les mêmes budgets, les mêmes capacités, les mêmes soldats, qu’ils soient déployés sous la bannière de l’OTAN ou celle de l’Union européenne.
Trop longtemps, les Européens ont fait porter le poids de la défense du continent européen sur nos seuls alliés américains. Je rappelle que le budget de la défense des Etats-Unis représente aujourd’hui 70 % des dépenses militaires de l’OTAN. Nous allons désormais, inéluctablement, vers un meilleur « partage du fardeau », mais aussi des responsabilités.
Et c’est bien aussi pour que ce partage soit efficace, et ne diminue pas le niveau de notre sécurité, qu’il nous faut progresser vers une Europe de la défense, qui soit un partenaire crédible au sein de l’OTAN. Il ne s’agit pas d’affaiblir l’OTAN, mais d’en renforcer le « pilier » européen.
Pour cela, il faut d’abord que l’ensemble des pays européens renforcent leurs efforts de défense et en améliorent l’efficacité. Les Européens consacrent collectivement 175 milliards d’euros par an pour la défense et ont 1,5 million d’hommes sous les drapeaux. Mais l’efficacité de ces dépenses est fortement amoindrie par les duplications et la dispersion des moyens entre nos différents pays.
Comment expliquer qu’il existe dix-sept programmes de véhicules blindés et sept programmes différents de frégates en Europe ? Et que dire des groupements tactiques de l’Union européenne, qui depuis leur création en 2004 – il y a quatorze ans – n’ont jamais été déployés sur le terrain ?
Il nous faut impérativement progresser, dans les cadres de l’OTAN et de l’Union européenne, en matière de mutualisation des coûts et des moyens, d’interopérabilité, de recherche et de développement, et de rapprochement de nos industries de défense.
Je pense en particulier à certaines capacités critiques, notamment en matière de renseignement, de drones, de transport ou de ravitaillement en vol, mais aussi de cyber sécurité ou d’intelligence artificielle.
À cet égard, le lancement de la coopération structurée permanente, la mise en place d’un « fonds européen de défense » et d’un « Schengen militaire » constituent des avancées dans la bonne direction.
Prenons garde toutefois à ce que les fonds européens bénéficient en priorité à nos industries de défense ! L’existence d’une base industrielle et technologique de la défense solide en Europe participe aussi à un meilleur « partage du fardeau ».
De même, si la France est favorable à l’adaptation des structures de commandement de l’OTAN, nous devons veiller à adapter ces structures au « plus juste besoin ». Il faut moins de bureaucratie et plus de capacités au sein de l’Alliance !
Enfin, face à la menace terroriste, au défi migratoire ou aux cyberattaques, il est indispensable de renforcer la sécurité intérieure de l’Europe. Je pense en particulier au renforcement des contrôles aux frontières extérieures et des moyens de l’agence Frontex, au développement des échanges d’informations et de la coopération policière et judiciaire et au renforcement d’Europol et d’Eurojust.
En réalité, ce qu’il manque aux Européens c’est une ambition et une volonté commune de développer et d’affirmer une vision stratégique commune, une sorte de « Livre blanc européen de la défense et de la sécurité ».
Dans trente ans, la population mondiale atteindra neuf milliards d’habitants et les Européens n’en représenteront plus que 7 %.
Dans un monde en pleine évolution, qui voit l’émergence de grands ensembles démographiques et économiques, en Asie, en Afrique, en Amérique, l’Europe doit s’unir davantage pour conserver une influence qui est nécessaire à l’équilibre international.
C’est seulement ensemble que nous pourrons exercer les responsabilités accrues que nous confère le nouvel état du monde.
Le Général de Gaulle écrivait, le 17 juillet 1961 : « L’Europe forme un tout stratégique. ( …) Il faut une Europe qui ait sa défense. (Et) Il faut que cette Europe soit alliée à l’Amérique. » Tout est dit !
Seul le prononcé fait foi