INTERVENTION DU PRÉSIDENT DU SÉNAT
OUVERTURE DU COLLOQUE ORGANISÉ PAR LA GAZETTE DES COMMUNES : QUEL AVENIR POUR LA RÉPUBLIQUE DÉCENTRALISÉE ?
15 ANS APRÈS LA RÉFORME DU 28 MARS 2003, BILAN ET PERSPECTIVES POUR LES COLLECTIVITÉS
PALAIS DU LUXEMBOURG – SALLE CLEMENCEAU – 28 MARS 2018
Monsieur le Premier ministre, cher Jean-Pierre Raffarin,
Mes chers collègues députés et sénateurs (Philippe Bas, Philippe Dallier),
Monsieur le Président de Régions de France, cher Hervé Morin,
Monsieur le Président de l’Assemblée des départements de France, cher Dominique Bussereau,
Monsieur le Premier vice-président de l’Association des Maires de France, cher André Laignel,
Monsieur le Président du département des Hauts-de-Seine, cher Patrick Devedjian,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le co-président de l’Institut de la décentralisation, cher Jean-Pierre Balligand,
Monsieur le Président du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales,
Monsieur le Président de l’Association « Dirigeants grandes collectivités »,
Monsieur le Président de l’Association des directeurs généraux des communautés de France,
Monsieur le Président de l’Association des administrateurs territoriaux de France,
Madame le Professeur,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir ce matin au Palais du Luxembourg, à l’occasion de ce colloque sur l’avenir de la République décentralisée organisé par La Gazette des communes, dont je salue le directeur de la rédaction, Guillaume Doyen.
C’est grâce à la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, souvent qualifiée d’« Acte II de la décentralisation », que l’organisation décentralisée de la République est expressément affirmée par l'article 1er de notre Constitution, aux côtés des principes d'indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi.
C’est à l’occasion de cette révision constitutionnelle qu’a également été consacrée dans la Constitution la primauté du Sénat dans l’examen des projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales.
La loi constitutionnelle du 28 mars 2003, initiée par le Président Jacques Chirac et portée par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, comportait plusieurs dispositions apportant de véritables innovations :
* la possibilité pour la loi ou le règlement de comporter des dispositions à caractère expérimental ;
* la reconnaissance officielle des régions et des collectivités à statut particulier comme collectivités territoriales ;
* l’affirmation du principe de subsidiarité et d’un pouvoir réglementaire des collectivités territoriales ;
* la mise en place d’un droit à l'expérimentation, sujet que nous retrouvons aujourd’hui avec force dans le débat public ;
* la possibilité de reconnaître à des collectivités un rôle de « chef de file » pour la conduite de certaines politiques, tout en rejetant toute forme de tutuelle d’une collectivité sur une autre ;
* le développement de la démocratie participative locale, par l'exercice du droit de pétition et par le référendum local décisionnel ;
* une « constitution financière » des collectivités par le biais du nouvel article 72-2, qui affirme le principe de l’autonomie financière des collectivités territoriales, corollaire du principe de libre administration.
Article qui dispose en particulier que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ». Cette rédaction avait donnée lieu de longs débats avec la commission des lois du Sénat qui proposait une rédaction plus ambitieuse.
Cet article 72-2 encadra également les transferts de compétences de l’Etat vers les collectivités ;
* Enfin, la révision constitutionnelle de 2003 a consacré un volet important à nos outre-mers, dont les collectivités se sont vues reconnaître de plus grandes marges dans la détermination de leurs statuts.
Le fil directeur de cette révision constitutionelle était ainsi clair. Pour reprendre les mots du Président Chirac, dans le message qu’il adressa aux parlementaires en juillet 2002, il s’agissait « de reprendre la longue marche, si souvent contrariée, vers la décentralisation, pour mettre en place une nouvelle architecture des pouvoirs ».
Il faut également se souvenir que, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle, cinq autres textes furent joints à la discussion au Sénat :
* la proposition de loi constitutionnelle du Président Christian Poncelet relative à la libre administration des collectivités territoriales,
* la proposition de loi constitutionnelle de Paul Girod tendant à la reconnaissance de lois à vocation territoriale,
* la proposition de loi constitutionnelle de Pierre Méhaignerie tendant à introduire dans la Constitution un droit à l'expérimentation pour les collectivités territoriales,
* ainsi que deux autres propositions de loi constitutionnelle de Robert Del Picchia, Georges Othily et Rodolphe Désiré relatives à la date des élections présidentielles outre-mer.
Au cours de cette matinée d’échanges, je sais que vous aurez des discussions approfondies sur la mise en œuvre de ces dispositions, sur leur réussite ou leur caractère imparfait de leur traduction concrète. Je ne doute pas, en particulier, que le président de notre commission des lois, Philippe Bas, aura sur ces sujets un regard très pointu à la fois d’analyse et de prospective.
Si l’axe de cette révision constitutionnelle était très clair, les positions du Sénat l’étaient tout autant : il s’est fait le défenseur des libertés locales et de l’autonomie financière des collectivités territoriales de la République.
Quinze ans après, l’état d’esprit du Sénat est demeuré : il est toujours le défenseur des libertés locales, le défenseur des principes de libre administration et d’autonomie financière des collectivités territoriales.
Tout simplement parce que nous croyons profondément dans les vertus de la décentralisation !
Le contexte me paraît différent. A une décentralisation triomphante a succédé une recentralisation rampante !
Ce changement, je le ressens lorsque je me déplace dans les départements. C’est bien la réalité et l’avenir de cette organisation décentralisée qui font aujourd’hui l’objet des interrogations et des préoccupations des élus.
Ce message, nous l’avons eu présent à l’esprit lorsque le Sénat défend l’autonomie financière des collectivités territoriales lors de l’examen du dernier projet de loi de finances.
Ce message, nous l’avons présent à l’esprit lorsque nous travaillons de manière très concrète, aujourd’hui, sur l’avenir de l’organisation décentralisée de notre République.
Je ne veux pas être trop long. Mais j’évoquerai donc quelques travaux en cours qui montrent que le Sénat, comme il y a 15 ans, travaille ces sujets au fond et dans la durée :
Quelques exemples :
1. Nous avions mis en garde le gouvernement en lui indiquant qu’il n’était pas possible de supprimer la taxe d’habitation pour seulement ( !) 80 % des contribuables et qu’il fallait alors la supprimer pour tous.
Le Conseil constitutionnel nous a donné raison et il faut maintenant imaginer des solutions de remplacement, en garantissant l’autonomie financière et fiscale des communes et la pérennité de leurs ressources.
Notre commission des finances y travaille en ce moment, en lien avec les associations d’élus et le Comité des finances locales.
Il faut construire une fiscalité moderne et dynamique pour nos collectivités et qui préserve un lien entre le citoyen-contribuable, son lieu de vie et les services qu’il reçoit et une liberté de taux pour les élus.
L’Etat, sous couvert de justice fiscale, a préféré supprimer un impôt qui ne lui appartenait pas plutôt que de remédier aux défauts des propres ressources. Il doit maintenant faire preuve de responsabilité et ne pas monter les niveaux de collectivités les uns contre les autres.
Il doit être cohérent dans son ambition de justice fiscale et mettre enfin en chantier la révision des bases locatives. Les injustices que pointait le gouvernement subsistent en effet à travers la taxe foncière sur les propriétés bâties ou par le biais de la répartition des dotations et des dispositifs de péréquation, qui y font référence.
Au-delà de la seule question de la fiscalité, nous considèrons que l’ensemble des relations financières entre l’Etat et les collectivités territoriales doivent être clarifiées.
C’est ce qui m’a conduit à proposer la création d’un projet de loi de programmation des finances locales sur trois ans pour disposer enfin d’un cadre financier clair et lisible.
2. Pour pouvoir mener des politiques publiques ambitieuses, les élus communaux, comme les élus départementaux et régionaux, ont besoin d’avoir un cadre d’action clair et stable. Ils ont besoin de ressources prévisibles leur permettant de se projeter dans l’avenir. Et il leur faut la liberté qui leur permet d’innover et de s’adapter aux réalités du terrain. Nous sommes convaincus au Sénat qu’il faut « laisser respirer les territoires » pour reprendre le titre d’un rapport.
Ce besoin de souplesse et de pragmatisme, nous le revendiquons pleinement, y compris pour apporter les ajustements nécessaires à la loi NOTRe, comme nous l’avons montré à propos du transfert des compétences eau eu et assainissement.
Si j’ai été parmi les premiers à refuser tout nouveau big-bang territorial, mais je ne veux pas, à l’inverse, que ce texte soit considéré comme un « totem ». Nous souhaitons qu’on recherche l’efficacité concrète, opérationnelle.
Il ne sert à rien de promettre des modifications constitutionnelles pour révolutionner le droit à l’expérimentation et envisager des différenciations territoriales si l’on n’est pas capable, à une bien plus modeste échelle, d’apporter des assouplissements pragmatiques très concrets !
Cette démarche pragmatique sera donc la nôtre. Nous nous appuierons pour cela plus fréquemment sur des consultations directes des élus locaux, initiées par notre délégation aux collectivités, ainsi que sur la « mission de contrôle et de suivi des réformes territoriales » mise en place par notre commission des lois.
Le chantier prioritaire de cette mission porte sur la revitalisation de l’échelon communal, au travers de trois thèmes : la place des communes dans l’intercommunalité, l’avenir des communes nouvelles et la recherche d’un meilleur équilibre entre les métropoles et le monde rural.
3. Troisième exemple : les conditions d’exercice des mandats des locaux.
Je mesure bien le « blues » de certains élus, pour reprendre le récent titre d’un quotidien régional (Dernières Nouvelles d’Alsace). C’est précisément à ce « blues » que nous voulons apporter des réponses concrètes au travers de nos différentes réflexions, notamment celle sur le statut des élus qui est un enjeu majeur.
« Notre délégation aux collectivités » a lancé une consultation et a recueilli près de 18 000 réponses. Elle formulera des propositions d’ici l’été, après avoir analysé cinq enjeux essentiels : la protection juridique et le statut pénal, la conciliation avec une activité professionnelle, le régime social, la formation et la préparation de la reconversion en fin de mandat et, enfin, le régime indemnitaire.
4. Dernier exemple que je souhaite évoquer ce matin et qui fera l’objet d’échanges tout à l’heure : l’évolution de la fonction publique territoriale. Notre commission des lois, avec notre commission des finances et notre délégation aux collectivités territoriales, y travaillera dans les prochains mois car c’est un sujet stratégique pour l’avenir de nos collectivités.
Sur tous ces sujets, le Sénat est à l’écoute des élus, en prise directe avec eux.
Le Sénat est à l’écoute des territoires, de tous les territoires de notre pays. Pour que notre démocratie soit apaisée, pour que la République ait du sens pour l’ensemble de nos concitoyens, nous sommes convaincus que nous devons prêter une attention toute particulière à l’équilibre des territoires.
C’est un sujet profondément politique, essentiel pour la cohésion de notre pays.
Le territoire, sa représentation… ce sont des sujets que nous retrouverons évidemment lors de l’examen du projet de révision constitutionnelle que le Président de la République arrêtera dans quelques jours.
Cette révision, nous nous y sommes préparés : nous avons mis en place un groupe de travail qui a réuni l’ensemble des groupes politiques du Sénat ainsi que les sénateurs non-inscrits. Car la capacité à s’enrichir de la diversité des opinions pour mieux servir l’intérêt général, c’est aussi la force du Sénat !
Nous avons formulé quarante propositions pour une révision constitutionnelle utile à la France, construites autour de trois axes clairs : mieux faire la loi, mieux contrôler l’action du Gouvernement, réconcilier les citoyens avec le Parlement avec deux piliers : les droits du Parlement et le territoire.
Notre commission des lois, sous la conduite du Président Philippe Bas, examinera le texte qui sera proposé par le gouvernement, avec sérennité mais exigence.
Par exemple, il nous paraît essentiel de conserver l’ancrage territorial des députés et des sénateurs et d’assurer une juste représentation des territoires. Chaque département, collectivité territoriale à statut particulier ou collectivité d’outre-mer doit pouvoir être représenté au Parlement par au moins un député et un sénateur ! C’est essentiel pour la République et pour qu’aucun citoyen ne se sente « à côté ».
Je crois profondément à l’importance du bicamérisme dans l’équilibre de nos institutions. Le Sénat jouera donc tout son rôle, en législateur et en Constituant exigeant.
C’est l’intérêt de notre République et de notre Nation !
L’attitude qui fut celle du Sénat en 2003 sera celle du Sénat de 2018 !
Seul le prononcé fait foi