Intervention de Monsieur le Président du Sénat
Lancement de la conférence de consensus sur le logement
Mardi 12 décembre 2017
Palais du Luxembourg – Salle Clemenceau
Monsieur le Ministre de la Cohésion des territoires, cher Jacques Mézard,
Monsieur le Secrétaire d’Etat, cher Julien Denormandie,
Monsieur le Président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, cher Roland Lescure,
Madame la Présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, chère Sophie Primas,
Mes chers collègues députés et sénateurs,
Mesdames et Messieurs les présidents et représentants des associations d’élus,
Mesdames et Messieurs les présidents et représentants des acteurs de la politique du logement dans leur diversité : entreprises du bâtiment, de la promotion et de la construction, aménageurs, architectes, notaires, bailleurs sociaux, représentants des associations, banquiers, assureurs, agences nationales…
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui au Sénat pour lancer la conférence de consensus sur le logement que j’avais souhaitée, proposition à laquelle le Président de la République a favorablement répondu.
Pourquoi demander spécialement une conférence de consensus sur le logement ? Parce que le logement est une question profondément politique, dans le sens le plus fort du terme. L’Abbé Pierre disait ainsi que « gouverner, c’est d’abord loger son peuple ». De fait, l’Etat n’a eu de cesse de prendre des mesures relatives à la politique du logement.
Avec un certain succès d’ailleurs sur le temps long, dans une forme de continuité qui a transcendé les clivages politiques ! La qualité du parc de logements français s’est nettement améliorée si on la compare à ce qu’elle était il y a 40 ans. La politique de renouvellement urbain lancée par Jean-Louis Borloo, il y a dix ans a permis de transformer certaines villes et certains quartiers. Les logements sociaux apportent une aide à ceux qui ne peuvent se loger dans le parc privé. Différents dispositifs de soutien à l’investissement ont contribué à soutenir la création de logements.
Mais bien sûr, nous devons encore et toujours faire face à de nombreux défis, en particulier l’inadéquation de l’offre par rapport aux besoins des territoires et le mal logement.
L’Etat a aussi pris des mesures à un rythme parfois tellement effréné que les dispositifs en deviennent instables, illisibles et excessivement complexes. Et donc probablement inefficaces.
Au-delà des normes, l’Etat consacre à la politique du logement des moyens élevés, passant par des dépenses directes comme par des incitations fiscales. Dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, nous constatons tous que les quelque 40 milliards d’euros consacrés à la politique du logement sont devenus un enjeu pour les finances publiques.
Le projet de loi de finances pour 2018, que le Sénat vient d’adopter il y a moins d’une heure, l’a évidemment particulièrement illustré.
La baisse des aides personnalisées au logement (APL) et sa répercussion sur les bailleurs sociaux a ainsi été l’un des points chauds de l’examen du budget cette année. J’y reviendrai.
Mais l’Etat n’est pas le seul concerné. Loin s’en faut !
En première ligne, on trouve les élus locaux, et en particulier les maires. Au plus près de la réalité, ils œuvrent sur leur territoire pour adapter l’offre de logements aux besoins des habitants, pour apporter les services qui conviennent à la population, pour développer un urbanisme harmonieux. Et par-dessus tout pour faire vivre la cohésion sociale et territoriale !
N’oublions surtout pas que les élus locaux consacrent eux aussi d’importants moyens en faveur de la politique du logement, y compris par le jeu des garanties financières apportées aux bailleurs sociaux. Cet engagement humain et financier n’a-t-il pas été trop oublié dans le projet de réforme qui nous a été présenté ?
Oui, les élus locaux sont en première ligne pour mener une politique du logement efficace. J’ai donc souhaité qu’ils soient aussi en première ligne au Sénat, qu’ils soient en première ligne lors de cette conférence de consensus, et je salue l’ensemble des élus locaux présents ce soir.
Monsieur le Ministre, à deux jours de la Conférence nationale des territoires qui se tiendra à Cahors, je veux réaffirmer que les élus ont besoin d’être considérés comme de véritables partenaires, d’être respectés en tant que tels. Ça vaut dans le domaine de la politique du logement comme dans les autres domaines ! Les élus ont besoin qu’on leur trace des perspectives, qu’on allège les contraintes qui pèsent sur eux et surtout, qu’on leur fasse confiance. Sans confiance, rien d’utile ne se fera !
Mais la politique du logement n’est pas qu’une affaire d’élus, qu’ils soient nationaux ou locaux.
C’est aussi l’affaire des entreprises, qui contribuent au financement de la politique du logement via la participation à l’effort de construction. Ayons bien conscience que le bien-être des salariés dépend pour beaucoup de la qualité de leur logement, de son emplacement par rapport au lieu de travail, avec toutes les questions d’organisation de la vie quotidienne qui en découlent.
C’est l’affaire des 400 000 entreprises du bâtiment qui emploient plus d’un million de salariés. Elles ont réalisé 126 milliards d’euros de travaux l’an dernier. C’est donc un secteur essentiel de l’économie de notre pays, de notre industrie. Un secteur évidemment essentiel pour la vitalité de nos territoires. Et un secteur de poids également par ses répercussions sur d’autres secteurs de l’économie, je pense notamment à celui des banques et des assurances.
Le logement, c’est évidemment aussi l’affaire des associations, depuis celles qui aident les plus démunis à trouver un toit, aux associations de consommateurs, en passant par les associations des familles, les associations de locataires ou de propriétaires.
Mais, par-dessus tout, celui qui est au centre de ces enjeux, c’est le citoyen, quel que soit son statut, qu’il soit propriétaire ou locataire, qu’il soit déjà établi dans un logement ou encore en recherche. Ceux qui sont au centre de cette conférence, ce sont les habitants de notre pays.
Pour eux, c’est-à-dire pour nous tous, le logement et son inscription dans la cité sont toujours une préoccupation quotidienne, immédiate et concrète. Une part de notre qualité de vie en dépend très directement !
Alors, quand on parle du logement, on peut bien sûr parler normes, chiffres et budgets. Mais on doit le faire en ayant à l’esprit que notre boussole, ce doit être le mieux-être de nos concitoyens et la cohésion de nos territoires.
C’est la raison d’être de cette conférence de consensus qui doit nous permettre de dépasser postures, clivages et stéréotypes. Je remercie donc le gouvernement d’avoir accepté de s’engager dans cette démarche originale. Je remercie également les collègues députés qui prennent part à cette démarche initiée par le Sénat. Je laisserai à ma collègue Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, le soin d’en préciser l’organisation et les thèmes.
Bien sûr, je ne suis pas naïf : il n’y aura pas de consensus total sur tous les sujets ! C’est évident et naturel ! Mais cela ne doit ni empêcher d’aborder des sujets qui semblent irrémédiablement clivants, ni renoncer d’emblée à toute ambition de partage car notre pays mérite une politique du logement renouvelée. Une politique du logement adaptée aux besoins de notre temps, qui permette de construire plus vite et mieux là où c’est nécessaire. Une politique du logement qui réponde aux besoins des jeunes qui « galèrent » pour acheter ou louer, face à l’envolée des prix dans certaines zones, mais aussi aux besoins des aînés.
Des voies de consensus seront certainement possibles sur la simplification des normes d’urbanisme et de droit des sols. Le Sénat a d’ailleurs montré la voie en adoptant à l’unanimité en 2016 une proposition de loi allant dans ce sens. Elle avait été préparée de manière transpartisane, en tenant compte des attentes des élus locaux, grâce notamment aux travaux de nos collègues François Calvet, Marc Daunis et Rémy Pointereau.
Des voies de consensus seront également certainement possibles en matière de revitalisation des centres villes et de cohésion des territoires.
C’est un sujet essentiel pour l’équilibre des territoires et, avec mes collègues sénateurs, nous ne nous résignons pas à voir ces centres-villes qui se dépeuplent, qui se dégradent, qui s’appauvrissent.
Le logement n’est qu’une des facettes de la question, qui concerne aussi les règles d’urbanisme, la fiscalité et tous les enjeux relatifs au commerce de proximité. Parallèlement aux démarches du gouvernement qui promet un plan en faveur des villes moyennes, le Sénat a mis en place au premier semestre un groupe de travail transpartisan pour traiter de ces enjeux, en ne les cantonnant pas seulement aux villes moyennes, sous l’impulsion de Rémy Pointereau et Martial Bourquin.
Dans d’autres domaines, le consensus sera peut-être moins facile à atteindre.
Mais peut-on examiner un grand projet sur le logement sans évoquer les conditions d’application de la loi SRU ou de la loi DALO ? Je ne le pense pas !
Il ne s’agit évidemment pas de renier l’objectif de mixité sociale ! Mais nous devons faire preuve de plus de pragmatisme, nous devons mieux prendre en compte les situations territoriales et la réalité intercommunale.
Il y a certes des élus moins allants que d’autres pour construire et respecter les objectifs de logements sociaux fixés par la loi. Il est facile de les pointer du doigt. Quelques-uns peuvent être emblématiques et il peut être facile de les caricaturer. Mais ils sont bien moins nombreux que ceux qui ne savent pas comment faire face aux injonctions contradictoires de l’Etat. Il y a des situations inextricables, dans lesquelles les élus se débattent en vain. Il y a des situations absurdes, liées notamment aux différents classements et contraintes qui s’appliquent à certaines communes. Il faut être capable de les reconnaître et d’en sortir, non pas par idéologie mais par pragmatisme.
Peut-on examiner un grand projet sur le logement sans évoquer l’environnement financier et fiscal ? Je ne le pense pas non plus et notre commission des finances y a consacré plusieurs rapports, notamment sur la théorie de la rente immobilière et sur le financement et la fiscalité du logement !
Monsieur le Ministre, vous le savez, ces questions fiscales et de financement sont un élément important de notre réflexion et il faudra les aborder très directement, qu’il y ait ou non une accroche dans l’avant-projet de loi dont vous nous présenterez les grandes lignes dans un instant.
Peut-on enfin examiner un grand projet sur le logement sans faire un véritable « état des lieux » des relations bailleurs-locataires ? Evidemment non ! Alors n’ayons pas peur d’ouvrir ces sujets, même si certains d’entre eux sont difficiles : c’est nécessaire !
Je suis en effet convaincu que la confrontation de vos différentes expertises sera très bénéfique : c’est elle qui nous permettra d’établir le diagnostic le mieux partagé possible.
Cet « état des lieux », sous toutes les facettes, il sera évidemment très attendu lorsque vous aborderez les enjeux du secteur social et les perspectives d’évolution envisagées par le gouvernement. Monsieur le Ministre, les débats sur l’article 52 du projet de loi de finances pour 2018 ont fait apparaître une rigidité du gouvernement que le Sénat et, je le crois, de nombreux acteurs, ont trouvé excessive.
Je veux saluer les efforts déployés au Sénat pour trouver une solution de compromis par un certain nombre de collègues de plusieurs groupes – Philippe Dallier, Dominique Estrosi Sassone, Sophie Primas, Valérie Létard, Daniel Dubois, Hervé Marseille, Marie-Noëlle Lienemann, Cécile Cuckierman, Fabien Gay… et d’autres encore au-delà de ce groupe de travail. Je regrette sincèrement qu’un accord n’ait pas été possible avec le gouvernement au Sénat. Je pense que nous n’étions pas très loin d’aboutir et que cela aurait permis de décrisper les débats à venir.
J’observe, Monsieur le Ministre, que dans votre interview parue ce matin dans Le Figaro, vous semblez faire un pas vers la solution qui avait été proposée par le rapporteur spécial de la commission des Finances, Philippe Dallier, en vous déclarant dorénavant favorable à un panachage entre cotisation à la CGLLS et réduction des loyers de solidarité en complément de la hausse de TVA, ainsi qu’à une véritable péréquation. Cela montre que le débat qui a eu lieu au Sénat a été utile.
Bien sûr, le projet de loi de finances sera adopté d’ici la fin de l’année et l’article en question ne figurera plus dans le futur projet de loi. Mais le point de sortie qui reste à trouver d’ici l’adoption définitive du projet de loi de finances aura évidemment un impact sur l’état d’esprit de certains acteurs présents aujourd’hui.
Et les mesures connexes à cet article seront, elles, bien présentes dans votre projet de loi ! Notamment celles relatives à l’évolution du tissu des bailleurs sociaux, souhaitée par le gouvernement. Nul ici n’est opposé par principe aux réformes et les sénateurs, sur tous les bancs de notre hémicycle, l’ont maintes fois prouvé.
Les bailleurs sociaux doivent certainement s’adapter aux besoins et aux enjeux nouveaux, pour mieux y répondre. Mais je voudrais rappeler que ce tissu est le fruit d’une histoire, d’un engagement dont les racines sont diverses, notamment d’un lien fort avec le territoire. Ces éléments ne doivent être ni oubliés ni négligés.
La concentration raisonnée des acteurs peut être un moyen en vue d’assurer une meilleure réponse aux besoins de notre temps. Elle n’est pas un objectif en soi. Ne perdons pas de vue la nécessité d’assurer un équilibre des territoires ! Et ne cédons pas par principe aux sirènes du gigantisme.
D’où l’importance de cette conférence de consensus pour bien en discuter en amont. Oui, il est grand temps d’établir enfin un diagnostic plus partagé et de corriger des trajectoires si cela s’avère nécessaire !
C’est l’ambition de cette démarche originale que nous lançons aujourd’hui. Je remercie le gouvernement d’avoir accepté à cette occasion de dévoiler et de mettre en débat l’intégralité de son avant-projet de loi, mais aussi très rapidement de l’étude d’impact qui l’accompagne.
Cela nous permettra d’avoir des débats nourris, précis, qui porteront sur les thèmes figurant dans le projet de loi, bien sûr, mais aussi sur ceux que les parlementaires voudront eux-mêmes mettre en avant au regard de leurs travaux. Le Sénat alimentera ainsi les débats de cette conférence.
Le processus que nous lançons aujourd’hui est donc en quelque sorte le prologue de la « course législative » qui débutera lors de la présentation du projet de loi finalisé en conseil des ministres. Il appartiendra ensuite aux deux chambres du Parlement de l’examiner, en toute indépendance, grâce en particulier aux travaux toujours minutieux menés par les rapporteurs.
Ce « prologue » assez inhabituel me paraît toutefois essentiel. Il doit nous permettre de faire émerger les voies de consensus, mais aussi de faire apparaître d’ores et déjà les manques, les imperfections, les études d’impact complémentaires qui pourraient être nécessaires pour permettre au Parlement de légiférer en toute connaissance de cause. Et donc de légiférer de la manière la plus sereine possible, dans l’intérêt de la Nation.
Il doit aussi permettre, grâce à ce dialogue préalable approfondi, d’éviter tout recours aux ordonnances. Monsieur le Ministre, vous connaissez la position du Sénat sur ce sujet. Je compte sur vous pour faire en sorte que le travail que nous engageons aujourd’hui permette à vos services de préparer directement les mesures législatives nécessaires.
Cette démarche que nous lançons aujourd’hui, elle fait partie de l’ADN du Sénat qui a toujours su transcender les clivages politiques lorsque les projets lui semblaient devoir être soutenus. Un Sénat qui est plus que jamais à l’écoute des citoyens et des territoires ! Nous comptons sur eux, nous comptons sur vous pour alimenter les réflexions de cette conférence !
Seul le prononcé fait foi