Discours du Président du Sénat, M. Gérard Larcher,
à l’occasion de l’ouverture du 1er Forum
Initiative « Route de la Soie » : Établir des synergies avec les stratégies européennes
le 15 septembre 2017, Paris
Monsieur le Vice-premier Ministre, Vice-président du Boao Forum pour l’Asie,
Monsieur le Premier ministre Jean-Pierre RAFFARIN, Président de la Fondation Prospective et Innovation,
Monsieur le Secrétaire général du Boao Forum,
Monsieur l’Ambassadeur de Chine en France,
Mesdames et Messieurs,
Il y a des moments qui, symboliquement, fondent une relation nouvelle et engagent l’avenir.
Je suis heureux d’ouvrir aujourd’hui le 1er Forum, à Paris, sur la Route de la Soie, co-organisé par la Fondation Prospective et Innovation, que dirige Jean-Pierre Raffarin, et le Boao Forum pour l’Asie. Ce Forum à Paris s’inscrit dans la suite du Sommet de Pékin des 14 et 15 mai 2017 sur la Route de la Soie, présidé par le Président Xi Jinping, où vous représentiez, cher Jean-Pierre Raffarin, le Président de la République.
Je n’oublie pas, cher Premier ministre Raffarin, le rôle éminent que vous avez joué au sein du Sénat français, comme Parlementaire, mais aussi, jusqu’à ces dernières semaines, comme Président de la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Permettez-moi de le souligner : la diplomatie parlementaire du Sénat, à laquelle nous sommes tous les deux très attachés, peut s’enorgueillir d’avoir compté sur un infatigable promoteur de la relation entre la France, l’Union européenne et la Chine.
J’ai pu éprouver, lors de la visite au Sénat du Président de l’Assemblée nationale populaire, M. ZHANG Dejiang, le 26 septembre 2016, les liens de confiance et d’amitié que vous avez su nouer, au plus haut niveau, avec nos partenaires chinois.
Je tenais ici à vous rendre hommage.
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C’est la Route de la soie qui, en ce lieu, tisse les fils qui nous réunissent.
Traduction métaphorique du Projet « One belt, one road », la route, ou plutôt les routes de la Soie, portent en elles l’attrait des desseins qui puisent aux racines de l’Humanité.
Les chroniques racontent que l’itinéraire des Routes de la Soie serait le résultat de la curiosité d’un Empereur chinois de la dynastie des Han, Wudi, qui vivait au IIème siècle avant Jésus-Christ et aurait voulu connaître les peuples vivant dans les contrées occidentales. Mais les Préhistoriens nous apprennent que dès le Paléolithique, ces routes d’échange étaient actives. Les Grecs, puis les Romains, amateurs de soieries, firent du commerce avec le pays des « Seres » : c’est ainsi qu’ils désignaient votre grand pays.
Depuis la fin du XIIIème siècle, le voyage de Marco Polo, retranscrit dans Le Livre des Merveilles, hante l’imaginaire européen.
Les profondeurs de l’histoire nous apprennent donc que dès les origines, les échanges eurent lieu dans les deux sens, de l’Est vers l’Ouest et de l’Ouest vers l’Est, et que la relation transatlantique n’a pris l’avantage sur la relation continentale entre l’Est et l’Ouest, l’Ouest et l’Est, que de façon récente à l’échelle de notre histoire, c’est-à-dire lors des grandes découvertes du XVIème siècle. Nous nous proposons de réconcilier Christophe Colomb et Marco Polo !
Il est, dans ce contexte, naturel que les Routes de la Soie retrouvent l’attrait et l’intérêt que l’histoire et le temps leur ont naguère conférés. Il revient au Président Xi Jinping le mérite d’en avoir eu l’intuition dès 2013.
Leur ancrage dans l’histoire fait, par conséquent, des Routes de la soie un projet comparable à nul autre dans le temps actuel. Depuis 2014, une partie des Routes de la soie ont même été inscrites au Patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco.
Les moyens dévolus aux Routes de la soie sont aussi à nul autre pareils. Quel projet est capable aujourd’hui de mobiliser 1 000 milliards de dollars à terme pour la construction d’infrastructures, la création de réseaux de communication et de moyens de production ? Les chiffres peuvent donner le vertige, les perspectives sont immenses.
Ces évolutions, Mesdames et Messieurs, ne peuvent être ignorées.
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Cependant, force est de constater que le regain d’intérêt pour les Routes de la soie suscite ici et là, vous les avez évoquées Monsieur le Vice-président, des interrogations, des préoccupations parfois, par leur ampleur géographique, les nouveaux contours qui sont les leurs et les moyens mis en œuvre.
Il convient de dissiper les malentendus possibles. Votre Forum y contribuera.
Par des signaux simples.
Les Routes de la Soie appellent une approche concertée entre l’Union européenne et la Chine, mais aussi avec nombre des acteurs ou des organisations régionales asiatiques s’égrenant le long des Routes de la Soie. Membre fondateur de la Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures, la France, par ailleurs point extrême d’aboutissement en Europe des Routes de la Soie, est bien placée pour jouer un rôle dynamique.
La notion d’équilibre doit, aujourd’hui comme hier, être au cœur de cette approche concertée. La Chine et ses partenaires asiatiques ont défini un projet, tracé les grandes lignes d’une vision globale. Il importe que l’Union européenne, en lien avec ses États membres, se mobilise, s’approprie les projets, fasse des propositions, des contre-propositions lorsque nécessaire, et surtout soit en initiatives. Un travail d’analyse est indispensable pour mieux identifier les synergies, conformément à l’intitulé de votre Forum, déceler les opportunités et en tirer parti, dans une logique « gagnant gagnant ».
Il n’y a pas de routes de la soie abouties sans un pôle européen fort.
Pour le dire de façon prosaïque : il nous appartient en France de remplir les trains de marchandise qui, venus de Chine, repartent vides vers Pékin !
La notion de coopération en second lieu.
Il nous faut définir une méthode, une façon nouvelle de travailler ensemble. Les Routes de la Soie nous y invitent. Elles impliquent, par leur ampleur, d’aborder tous les sujets, sans exclusive, y compris les plus difficiles, par la consultation. L’Union européenne est sans doute l’organisation qui est allée le plus loin dans l’ouverture de ses frontières et la promotion du libre-échange.
Plusieurs « corbeilles », pour reprendre un terme autrefois utilisé au sein de l’OSCE (Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe), seraient susceptibles de structurer un dialogue fécond, fondé sur la réciprocité des engagements, sans laquelle aucune dynamique durable ne me paraît possible.
J’en citerai trois : des conditions d’investissements clarifiées, l’ouverture des marchés, la qualité des processus productifs, ce qui conduit à se pencher sur les normes sociales ou environnementales, au-delà des normes techniques. Cette liste n’est pas exhaustive.
Je profite d’ailleurs de la référence à l’environnement pour saluer le rôle moteur de la Chine et son soutien sans faille accordé à l’Accord de Paris, dans la lutte contre les dérèglements climatiques.
L’éthique du co-développement, en troisième lieu. La Chine et l’Union européenne, notamment la France, disposent d’instruments puissants en faveur du co-développement qui peuvent accompagner des stratégies d’investissements. La recherche de lignes directrices communes en ce domaine est essentielle.
Le respect enfin. Il implique de ne pas confondre l’universel et l’uniforme. Mon pays ne renoncera pas à porter les valeurs et les principes en lesquels il croit. Mais il doit aussi retrouver sa capacité, qui a fait le mérite de sa diplomatie de mon point de vue, à préserver ses intérêts propres tout en sachant dégager des compromis, sans compromission. Essayons de partager cette voie, dont le système multilatéral est le meilleur garant.
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Mesdames et Messieurs, dans un monde de plus en plus dangereux, alors que les barrières protectionnistes ressurgissent, alors que les initiatives unilatérales prolifèrent, alors que le terrorisme islamiste menace nombre de nos pays, en Europe, en Asie centrale, mais aussi en Chine, il nous faut inventer, créer de nouveaux pôles de stabilité.
L’intégration régionale, le développement économique, le commerce, sont des facteurs de stabilité et l’on peut, sans crainte, affirmer avec Montesquieu dans L’Esprit des Lois - je cite - « L’effet naturel du commerce est de porter à la paix … Toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels ».
C’est ainsi que l’Union européenne a jeté ses premières bases, même si le projet politique a toujours été présent, et que l’économie n’en a été que le prétexte.
Sans remettre en cause les liens traditionnels d’amitié, d’aide et de coopération, je fais référence au lien transatlantique pour l’Union européenne, la place existe pour bâtir de nouveaux partenariats, en Méditerranée, avec l’Afrique, entre l’Europe et l’Asie.
Le lien eurasiatique a fait longtemps l’objet de spéculations intellectuelles. Il trouve, dans l’économie, le commerce, mais aussi dans la lutte contre les grands périls qui menacent nos pays, plusieurs occasions, en ce moment même, de s’exercer.
Il nous faut montrer, dès à présent, que nous sommes capables de maîtriser ces périls.
Dans ce contexte, le moment est peut-être venu de donner plus de corps au partenariat eurasiatique, à partir de projets tels que les Routes de la Soie.
En le fondant sur le respect, le co-développement, la réciprocité, l’équilibre.
En veillant à renforcer le système multilatéral, dont l’autorité repose sur la reconnaissance de tous, l’adhésion à des principes communs. Il n’y a pas d’alternative.
En veillant à préserver partout la stabilité, face aux grands périls de notre temps.
Tels sont les défis auxquels votre Forum va répondre.
Je vous souhaite un travail dense et fécond pour cette première rencontre à Paris !