Intervention de M. Gérard LARCHER,
Président du Sénat,
Sommet « Partenariat pour un Gouvernement ouvert »
Agora numérique « Pour un Sénat ouvert »
Jeudi 8 décembre 2016
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale du Bénin,
Madame la Présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Chère Catherine Morin-Desailly,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Chers collègues,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir cet après-midi au Sénat de la République française, pour une Agora numérique sur le thème « Pour un Sénat ouvert ».
Retenu par une réunion à Matignon, Jean-Vincent Placé, Secrétaire d’État chargé de la réforme de l'État et de la simplification, m’a demandé de bien vouloir excuser son absence pour l’ouverture de cette manifestation. Il sera bien parmi vous – il devrait être là à la fin de la dernière table ronde - pour prononcer le discours de clôture.
Catherine Morin-Desailly l’a rappelé tout à l’heure, cet après-midi de réflexion s’inscrit dans le cadre du « Partenariat pour un Gouvernement ouvert », présidé cette année par la France.
Alors, pourquoi avoir souhaité y associer le Sénat, assemblée du Parlement français qui a la spécificité constitutionnelle de représenter les collectivités territoriales de la République ?
Tout simplement parce que la question de l’ouverture, c’est-à-dire de la transparence et de l’accès des citoyens aux informations, est au cœur du principe démocratique et de l’organisation du Parlement.
Comme le déclara James Madison, le quatrième Président des États-Unis et l’un des principaux auteurs de leur Constitution, « un gouvernement populaire sans information des citoyens, ou sans les moyens de l’acquérir, n’est que le prologue à une Farce ou une Tragédie et, peut-être, aux deux simultanément ».
Lors de la Révolution française, la première décision importante prise par les députés du Tiers État fut précisément d’adopter la publicité de leurs travaux car suivant la philosophie des Lumières, ils étaient convaincus que le secret est le propre des gouvernements despotiques. La première Constitution française, en 1791, établit ainsi que « les délibérations du corps législatif sont publiques, et les procès-verbaux de ces séances sont imprimés ». C’est le fondement même d’une démocratie parlementaire.
Bien sûr, le monde d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celui des révolutionnaires français ou américains.
Le numérique a bouleversé nos vies et nos activités. En deux décennies, il a profondément transformé nos économies, nos méthodes de travail, nos pratiques culturelles, mais aussi nos attentes démocratiques.
Un défi de plus pour des institutions représentatives, et particulièrement parlementaires, où selon un principe fondamental, tout mandat impératif est nul !
La sociologue Dominique Schnapper s’interroge ainsi, et je vous livre sa réflexion : « Internet va-t-il redonner des moyens de faire participer les citoyens devenus fort négligents lorsqu’il s’agit de voter et d’animer les institutions traditionnelles de la démocratie représentative ? » Elle poursuit en estimant que grâce aux nouvelles technologies, il peut être souhaitable de mieux associer les citoyens, dans une forme de co-production citoyenne, à la condition de ne pas oublier que « si le membre de la société démocratique ne se sent plus un citoyen, il ne suffit pas de lui donner les moyens techniques d’être un citoyen actif pour qu’il participe effectivement à la vie de la Cité ».
Ce sont des réflexions centrales pour tout responsable politique, qui doit adapter le fonctionnement des institutions aux moyens technologiques nouveaux et aux attentes de la société, sans perdre de vue les fondamentaux démocratiques et la nécessité de dépasser les turbulences de l’instant pour s’inscrire dans le temps long.
En matière législative, j’ai coutume de dire que je me méfie des « pulsions du mardi », lorsque les parlementaires reviennent de leurs circonscriptions et veulent répondre de manière immédiate à des problèmes ponctuels. De la même manière, je pense que l’impact des évolutions technologiques doit être à la fois absorbé et mûri par les institutions démocratiques représentatives pour fournir des résultats positifs sur le long terme.
Cette démarche, le Sénat l’a intégrée depuis longtemps. Dès 1996, mon prédécesseur René Monory engageait le Sénat sur la voie d’une institution connectée, transparente et ouverte, en prenant le virage de l’Internet et des nouvelles technologies.
Ce rôle pionnier, le Sénat n’a cessé de le jouer en développant des outils numériques au service de la procédure législative et en ouvrant à chaque citoyen l’accès à l’information parlementaire.
J’ai moi-même souhaité mettre en place une délégation aux nouvelles technologies, placée sous la présidence de Thierry Foucaud, vice-président du Sénat. Il vous présentera tout à l’heure les principales orientations de la politique numérique du Sénat.
Nous ne nous sommes pas contentés d’améliorer la transparence des débats ou l’accès aux données via l’open data : nous avons aussi souhaité prendre acte des attentes de la société et permettre une association des citoyens à nos travaux, par le biais de forums ou de blogs. Nous avons aussi mis en place des questionnaires en ligne qui nous ont permis d’adopter il y a deux mois, à l’unanimité, une proposition de loi dont l’origine se trouve dans les réflexions des élus locaux, que nous avions consultés à deux reprises.
Parallèlement, nous nous sommes aussi interrogés sur des possibles dérives liées aux nouvelles technologies. Les réseaux sociaux, les pétitions en ligne offrent en effet une caisse de résonnance sans pareil dans notre vie démocratique. Mais je veux affirmer qu’il nous revient à nous, élus par nos concitoyens, de bien en évaluer la représentativité. Et d’assumer nos choix politiques, en particulier nos compromis, fruits de discussions parlementaires patientes qui s’accommodent parfois mal des positions tranchées et « virales » qui se diffusent sur les réseaux sociaux.
Nous sommes donc convaincus au Sénat que les Parlements doivent accompagner et comprendre les enjeux liés aux transformations numériques, pour renouveler nos pratiques démocratiques, tout en évitant que les algorithmes décident et gouvernent un jour en lieu et place des élus. Ce sera certainement l’une de vos réflexions lors de la seconde table ronde. Et c’est également l’objet de la mission d’information ayant pour thème « Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017 », qui a tenu sa première réunion cette semaine. C’est bien la preuve de la pertinence des interrogations que soulèvent notre assemblée dans le cadre de ses travaux.
Le Sénat a aussi, et de longue date, réfléchi, proposé et agi pour adapter notre législation et notre stratégie nationale de développement économique et social aux nouveaux enjeux du numérique.
Je voudrais saluer à cette occasion la Présidente de notre commission de la culture, qui a joué un rôle majeur dans la réflexion du Sénat sur la place d’Internet et sa gouvernance. Sans oublier la commission de la culture qui a depuis longtemps été attentive à ces questions et aux adaptations législatives nécessaires ainsi que le groupe d’études « Société numérique, nouveaux usages, nouveaux médias », présidé par M. Loïc Hervé, qui mène une réflexion plus prospective sur les mutations technologiques et les nouveaux usages dans notre société.
Le numérique est aujourd’hui un sujet transversal qui impacte tous les autres ! L’examen de la loi pour une République numérique a confirmé la multiplicité des champs de compétence des différentes commissions autour des enjeux liés aux nouvelles technologies.
Mais il est aussi un domaine sur lequel le Sénat a souhaité particulièrement s’investir : celui de l’aménagement numérique du territoire et des transformations que le numérique offre à nos collectivités, notamment dans leurs relations avec les citoyens. C’est un sujet sur lequel notre collègue Patrick Chaize porte une attention particulière. Il a d’ailleurs conduit un travail approfondi sur la couverture numérique des territoires au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et nous propose cour d’honneur de visiter le Bus Très Haut Débit du cercle de réflexion et d’étude pour le développement de l’optique vitrine pédagogique.
Lorsque je vais à la rencontre des élus et des citoyens, dans tous les départements de France, les enjeux liés au numérique et à l’accès au très haut débit sont évoqués. Le très haut débit est le téléphone d’hier, et tout territoire qui n’est pas raccordé se sent en marge.
C’est essentiel pour les entreprises, pour le développement économique des territoires, mais c’est également essentiel pour nos concitoyens, pour leur sentiment d’inclusion dans la République, alors que de plus en plus de démarches, y compris la déclaration d’impôts, peuvent ou doivent s’effectuer en ligne.
Aussi le numérique à l’école est devenu un enjeu important ! Je sais ainsi qu’à Saint-Laurent, dans sa commune rurale du Lot-et-Garonne, Guy Clua s’est beaucoup battu pour mettre l’école communale à l’heure du numérique, pour offrir les mêmes chances aux élèves de sa commune qu’à ceux des grandes villes.
La question de la fracture numérique territoriale est un enjeu politique majeur pour notre cohésion républicaine, pour que la devise française « Liberté, Égalité, Fraternité » continue à avoir un sens sur l’ensemble du territoire de la Nation.
Les maires, élus de proximité de la République, sont en première ligne pour répondre aux attentes de nos concitoyens qui souhaitent également, au-delà des moyens technologiques, se saisir des opportunités du numérique pour renouveler la gouvernance et les pratiques politiques locales. Car la petite République qu’est la commune connaît les mêmes enjeux que la grande République qu’est la Nation. Frédérique Macarez, la maire de Saint-Quentin, pourra nous faire part des expériences pilotes qui ont été menées dans cette ville et qui ont depuis essaimé dans de nombreuses communes françaises.
Ce sont tous ces enjeux que le Sénat a souhaité évoquer lors de la première table ronde, car nous pensons que les transformations numériques bouleversent toute notre organisation démocratique, de la cellule de base de la démocratie qu’est la commune, jusqu’au gouvernement et au Parlement.
Je vous souhaite donc une excellente Agora numérique !