Intervention du Président du Sénat
Colloque de Gaulle, la défense de la France d’hier à aujourd’hui.
Jeudi 10 novembre 2016


Monsieur le Président de la Fondation Charles de Gaulle, cher Jacques Godfrain,
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président de l’Amicale gaulliste du Sénat, cher Charles Guené,
Messieurs les Amiraux,
Messieurs les Officiers généraux,
Mesdames et Messieurs les Officiers,
Mes chers collègues sénateurs,
Madame l’Ambassadeur,
Mesdames et Messieurs,
Chers étudiants,

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui au Sénat, salle Clemenceau –à la veille d’une date où Georges Clemenceau achevait une mission essentielle comme Président du Conseil, c’était il y a 98 ans– pour la première journée de ce séminaire consacré à de Gaulle, la défense de la France d’hier à aujourd’hui.

Je remercie la Fondation Charles de Gaulle d’avoir été à l’origine d’une telle initiative et je tiens à remercier aussi la Direction de la bibliothèque et des archives du Sénat qui a retrouvé quelques documents que vous avez peut-être eu l’occasion de voir concernant notamment les débats qui se sont déroulés au Sénat à ce sujet et la densité de sénateurs gaullistes alors était encore modeste.

Le Général de Gaulle a placé la défense au cœur de sa doctrine. « La défense ! C'est la première raison d'être de l'État » dira-t-il à Bayeux.

C’est cette vision qu’il a défendue toute au long de sa vie. L'officier qu’il est, n’hésite pas, tout au long des années 30, à s'opposer à la stratégie militaire à ses yeux inadaptée de ses supérieurs. Fort de sa grande culture, armé d'une connaissance historique hors du commun, il comprit que le monde changeait et donc la guerre avec lui.

En 1934, dans son livre « Vers l’armée de métier », Charles de Gaulle propose un projet de modernisation de l'armée et une stratégie offensive.

Il écrit : « le char devient l'élément capital dans la manœuvre, il bouleverse la tactique... Par lui renaît la surprise... Par lui, la manœuvre est restaurée... ».

Il fustige la ligne Maginot en rappelant que : « quand Rome se crut abritée derrière le Limès, elle négligea son armée de campagne. C'est à ce moment qu'elle devint la proie des barbares. » (« Vers l’armée de métier »).

L’organisation de la défense de la France voulue et mise en place par le Général de Gaulle dans les années 60 s’inscrit comme une conséquence et une leçon tirée de la défaite de juin 1940 et de la conscience que celle-ci, pour une part, résulte de l’échec de la défense des frontières. Cette stratégie du mouvement qu’il préconisait avant-guerre à partir de divisions blindées sera désormais incarnée par l’arme nucléaire.

La IVème République aura été la période de gestation de la dissuasion nucléaire et, dès cette époque, le Général avait intégré que cette arme allait devenir non seulement un outil militaire mais tout autant un outil politique et diplomatique majeur.

Jean Lacouture, un de ses biographes, y perçut une connivence entre le chef de la France Libre et l’arme de l’apocalypse.

Ce qui incarne la stratégie gaullienne, c’est la force de frappe : cette stratégie arrêtée au plus haut niveau de l’État par le Président de la République, lui même Chef des armées, selon l’article 15 de notre constitution.

L’élection du Président de la République au suffrage universel, que nous allons vivre dans sept mois, peut alors être qualifiée de « sacre jupitérien ».

Le nucléaire, c’est la sacralisation de notre indépendance nationale. Charles de Gaulle évoque alors la résurrection de la France. Il crie « Hourra pour la France ! », lorsqu’il apprend la réussite du premier essai nucléaire au Sahara en 1960 et nous avons tous en mémoire cette photo le montrant assistant à cet essai au large de Mururoa en compagnie d’Alain Peyrefitte et de Pierre Messmer en 1966.

Il se crée un réel consensus national à propos de l’arme nucléaire entre les principales forces politiques du pays depuis les années 1970.

Consensus bâti sur le fait que cette dernière avait contribué à la paix. Dans son livre « les conditions de la sécurité », l’un des pères de cette stratégie, le Général Gallois rappelle que : « la paix a été maintenue sur notre continent tout au long de la guerre froide, grâce à l’atome militaire. »

« Sa stratégie est une stratégie de paix », écrit Pierre Messmer dans ses Mémoires, « Il pense que la France, après deux terribles guerres en trente ans, une succession de campagnes coloniales a besoin d’une longue paix pour se rétablir ».

La défense, telle que l’envisageait le Général, visait à protéger notre pays de toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne, et quelle qu’en soit la forme.

La conviction du Général et de Pierre Messmer, son ministre des Armées sans discontinuer pendant neuf ans de février 1960 à avril 1969, était que les forces stratégiques et les forces conventionnelles se renforçaient mutuellement.

Selon eux, l’entretien d’une force de frappe nucléaire crédibilisait les capacités conventionnelles sur les plans opérationnel et technique, en attestant la maîtrise de notre savoir-faire. Elle contribuait à accroître enfin la liberté d’action du politique sur la scène internationale. L’emploi de capacités conventionnelles en opération concourait à crédibiliser la force de frappe nucléaire, et constituait en quelque sorte le premier échelon de la dissuasion.

Cette doctrine aboutira à la métamorphose de notre armée !

Cette métamorphose, c’est, le 29 mars 1967, à Cherbourg, le lancement du premier SNLE, le Redoutable en présence du Général de Gaulle. Le Terrible sera lancé à son tour en 1969 et le Foudroyant mis en chantier aussitôt après. La base de l’Ile longue est inaugurée en 1970.

Cette métamorphose, c'est la rénovation de notre flotte de surface, la marine admet bientôt en service des deux porte-avions le Foch et le Clemenceau. C'est une Armée de l'Air nouvelle, avec l’entrée en service du Mirage IV qui fit la fierté de notre pays, la construction de cent dix Mirage III, de Transall. C’est une Armée de terre qui retrouve ses marques après la guerre d'Algérie. La loi de programme relative à certains équipements militaires (1965-1970) prévoit l’équipement de cinq divisions dotées de nouveaux chars AMX30, d’une division d’intervention chargée d’actions rapides.

Cette métamorphose, c’est une armée qui comprend et c’est aussi un enseignement de la guerre d’Algérie, combien les hélicoptères sont devenus irremplaçables dans la lutte contre un ennemi mobile qui pratique la guérilla. Les hélicoptères de combat sont en passe de voir le jour, nouvel outil essentiel dans la stratégie offensive voulue par le Général au même titre que les chars et nous voyons combien ces hélicoptères de combat sont essentiels au Mali et au Sahel !

Pour le Général de Gaulle, le Gouvernement a pour raison d'être la défense de l'indépendance et de l'intégrité du Territoire. « Il faut que la défense de la France soit française, s'il en était autrement, notre pays serait en contradiction avec tout ce qu'il est depuis ses origines, avec son rôle, avec l'estime qu'il a de lui-même, avec son âme » dira le Général, à l’Ecole militaire, le 3 novembre 1959. N’est-ce pas cela qui l’aura conduit à quitter le commandement militaire de l’Otan en 1966 ?

L’intégrité de notre territoire et la sauvegarde de notre population constituent le cœur de nos intérêts vitaux.

Mais pour le Général de Gaulle et pour Michel Debré, la définition de nos intérêts vitaux ne saurait être limitée à la seule échelle nationale, parce que la France ne conçoit pas sa stratégie de défense de manière isolée, même dans le domaine nucléaire.

Michel Debré écrit en décembre 1970 : « Notre sécurité déborde notre territoire, elle commence au-delà du Rhin, au-delà de nos côtes, au-delà de notre ciel ! ».

La France a toujours eu avec ses partenaires européens, une solidarité de fait et de cœur. Qui pourrait donc croire qu’une agression, qui mettrait en cause la survie de l’Europe, n’aurait aucune conséquence ?

Cette approche est énoncée par le Livre blanc sur la défense nationale, dès 1972, auquel Michel Debré, ministre de la défense nationale, apporte la légitimité et la tonalité de celui qui était le dépositaire de la pensée et de l’action du Général de Gaulle.

Si notre organisation de défense remonte, pour l’essentiel, au début des années soixante, le cadre, le contexte et les acteurs de notre système de défense et de sécurité ont connu des transformations majeures.

Dans les années qui suivirent, l’accent fut mis sur la projection vers l’Afrique, les Balkans, le Golfe. Vint alors une nouvelle répartition entre la dissuasion, la projection et la protection suite aux Livre blancs de 1994 et 2008, et l’accent mis sur cette mission à la fois militaire et non-militaire, que couvre le domaine du renseignement, nouvelle frontière de la défense.

Le renseignement :

Le 26 août 1964, un nouveau décret fixe les attributions respectives de la DST et du SDECE. Ce dernier agit à l’étranger pour détecter et contrôler « les activités d’espionnage et d’ingérence dirigées contre la France ou les intérêts français ». La DST lutte alors en France et dans les territoires français contre « les activités d’espionnage et d’ingérence des Puissances étrangères ». Les missions des deux services sont supervisées par un « Comité de coordination ». La coordination de nos services demeurent encore plus que jamais d’actualité.

Aujourd’hui les missions de nos forces armées s’intègrent à la manœuvre générale de sécurité, dans le contexte d’une transformation en profondeur de nos alliances, comme le montrent à la fois ce qu’il advient des relations transatlantiques et de leur bras armé, l’OTAN, mais aussi dans le cadre de l'Europe de la défense qui est un chantier permanent. Mais le Général ne disait-il pas dès 1959 : « Notre stratégie doit être conjuguée avec la stratégie des autres. Sur les champs de bataille, il est infiniment probable que nous nous trouverions côte à côte avec des alliés. »

Sécurité intérieure et sécurité extérieure sont désormais liées, comme le sont menaces intérieures et menaces extérieures.

La France, comme de nombreux autres pays, sont ainsi entrés dans une guerre à l’intérieur comme à l’extérieur de leur territoire, une guerre qui nécessite une cohérence stratégique entre l’action des armées sur leur sol et les théâtres d’opérations extérieures.

Désormais la violence à laquelle sont confrontés nos soldats au Sahel, en Syrie et en Irak est aussi présente en France même et dans nombre de nos pays.

Bien entendu la place et le rôle des Armées dans la mission générale de sécurité a évolué par rapport à l’époque gaullienne, mais le Président de la République demeure la clef de voûte non seulement de la défense, mais de la sécurité intérieure et de la sécurité extérieure du pays.

L’État joue sa crédibilité à chaque crise, dans un tempo de plus en plus court : l’atout français, c’est de disposer d’un donneur d’ordre clair, le Président de la République, et d’une chaîne de commandement réactive, même si notre Constitution stipule que « toute décision d’engagement est soumise à l’aval du parlement ».

L’exemple de l’intervention au Mali le démontre. Nos forces étaient prêtes à frapper quelques heures après la prise de décision du Président de la République. C’est une chaine extrêmement courte, réactive de la chaîne de commandement qui permet d’agir immédiatement. Cela, nous le devons au Général de Gaulle !

La France est donc capable d’intervenir rapidement dans une crise extérieure mais notre objectif est aussi d’agir en cohésion avec ses alliés.

La stratégie de dissuasion de la France se fonde toujours, comme sous l’ère gaullienne, sur une cohérence globale entre les capacités conventionnelles et nucléaires.

La cohérence globale de la dissuasion doit s’appuyer sur des capacités d’action conventionnelles solides, garantes de la progressivité de la réponse politique.

La question qui nous est posée aujourd’hui est la suivante : « La France veut-elle rester une puissance mondiale, c’est-à-dire dont les responsabilités se situent à l’échelle mondiale notamment au sein du conseil de sécurité des Nations-Unies ? La France veut-elle avoir une voix indépendante, pour défendre ses intérêts vitaux ou protéger ses intérêts et ses valeurs ? Et La France veut-elle que sa dissuasion reste crédible ?

Le défi de l’islamisme radical peut prendre des formes nouvelles, par exemple la prise du pouvoir dans un grand État. L’accès d’un tel pays à des armes de destruction massive rend nécessaire le maintien d’une dissuasion adaptée à la destruction de certains objectifs politiques ou militaires.

Le renouvellement successif des deux composantes océanique et aéroportée de notre dissuasion sera l’un des enjeux majeurs du prochain quinquennat. Pour être soutenable, l’effort devra être lissé sur les quinze prochaines années.

Différer cette décision équivaudrait à un renoncement, ce sont les propos du chef d’état-major de nos armées.

Lors du sommet de l’OTAN, à Varsovie, le 9 juillet dernier, les chefs d’État ont unanimement réaffirmé que les forces nucléaires stratégiques indépendantes de la France et du Royaume Uni avaient un rôle de dissuasion propre et que la défense antimissile ne pourrait en aucun cas s’y substituer.

La dissuasion tire vers le haut à la fois notre industrie et nos forces conventionnelles qu’il nous faut continuer à moderniser. C’est pourquoi il est indispensable, dans le contexte européen et mondial actuel, de relever le Budget de notre défense à au moins 2 % du PIB et c’est l’objectif que défend le Sénat ! (je ne doute pas que Jean-Pierre Raffarin y reviendra).

Avec le Brexit, la France est devenue la seule puissance nucléaire de l’Union européenne ce qui lui confère de nouvelles responsabilités en ce qui concerne l’avenir de l’Europe de la défense, mais qui ne lui interdit en rien une solide coopération avec la Grande-Bretagne qui vient de décider le renouvellement de sa flotte de sous-marins nucléaires.

Pour reprendre la phrase de Michel Debré : « Notre sécurité déborde de notre territoire », et le sommet de Bratislava, qui s’est déroulé le 16 septembre dernier, a ouvert une nouvelle perspective pour l’Europe de la défense en la plaçant sur le terrain du pragmatisme et du concret pour faire face aux nouvelles menaces qui pèsent sur nos pays.

J’arrive d’Égypte et je reçois dans quelques minutes le Premier ministre tunisien.

Cette perspective devient d’autant plus prégnante après les élections américaines.

Mesdames, Messieurs,

La stratégie de la France doit demeurer efficace et crédible. Préparer la guerre, c’est disposer d’un modèle complet d’armée permet de durer et de s’adapter à la menace, au plus près comme au plus loin. C’est cela la leçon que nous devons tirer des enseignements du général.

« Dans tout ce qui est une nation », disait le Général, « il n'y a rien qui soit plus capital que ne l'est sa défense. Voilà pourquoi, il n'y a pas de grande gloire d'homme d'État que n'ait dorée l'éclat de la Défense Nationale » (Discours prononcé à l’École Militaire en 1959).

Je vous remercie.