Intervention du Président du Sénat, M. Gérard LARCHER,
à la Conférence des Présidents des Parlements de l’Union européenne
1ere session : Rapprocher l’Europe des citoyens
Bratislava, le 7 octobre 2016
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Permettez-moi tout d’abord de remercier le Président du Parlement de Slovaquie, M. Andrej Danko, pour l’organisation de cette réunion et son accueil. Il était indispensable de se réunir.
Dans son discours sur l’état de l’Union, le Président Jean-Claude Juncker a souligné que le Brexit n’était que la manifestation d’une crise plus profonde et que l’Union européenne traversait une crise existentielle. Je partage ce diagnostic.
Ces soixante dernières années, la construction européenne a été synonyme de paix, de prospérité, de démocratie, de solidarité. Mais, depuis le lancement de la monnaie unique, en 1992, aucun projet réellement mobilisateur n’a pris le relais. L’Europe continue d’avancer mais sans direction claire. La priorité est donc de redonner un sens et un nouveau souffle au projet européen.
À mon avis, dans la situation actuelle, le désamour ou les doutes de nombreux citoyens à l’égard de l’Union sont dus autant à son mode de fonctionnement, dont les défauts peuvent être corrigés, qu’à l’absence de projets, de direction visionnaire pour l’avenir.
Je crois que cette défiance des citoyens tient d’abord au sentiment que les institutions européennes leur apparaissent trop éloignées de leurs préoccupations concrètes. Elles ne parviennent pas à apporter des réponses efficaces à leurs attentes en matière de croissance et d’emploi ou face à la menace terroriste et à la crise migratoire. L’Union européenne apparaît parfois comme un « bouc-émissaire ».
Dans le même temps, les citoyens ont parfois le sentiment que l’Union européenne cherche à imposer une « harmonisation » des modes de vie par une réglementation « tatillonne », peu respectueuse de la diversité de nos traditions nationales et locales, de nos territoires.
Il faut réconcilier l’Europe avec les citoyens.
La priorité est donc d’améliorer le fonctionnement de l’Union et du processus démocratique et un meilleur respect du principe de subsidiarité peut y contribuer.
Cette relance devrait être centrée autour d’initiatives concrètes.
Ne perdons pas de temps à rouvrir les débats sur une révision des traités. Je pense à des domaines où l’Union européenne pourrait apporter une réelle « valeur ajoutée », tels que la protection des frontières extérieures, la sécurité intérieure et extérieure, l’énergie, le numérique et la jeunesse. Une « Europe des projets qui se construit avec les citoyens » !
Nous devons aussi simplifier notre fonctionnement institutionnel, le rendre plus efficace et plus transparent.
Et je suis convaincu que les Parlements nationaux, qui représentent les Peuples, ont un rôle essentiel à jouer pour rapprocher l’Europe et les citoyens.
Je pense en particulier au renforcement de leur rôle en tant que gardiens du respect du principe de subsidiarité afin que l’action de l’Union européenne se concentre sur l’essentiel. Utilisons au mieux le Traité de Lisbonne !
La décision du peuple britannique nous oblige à retrouver cette confiance des citoyens.
« Toute difficulté est faite pour être surmontée » écrivait de La Rochefoucauld.
2e session : Le rôle des Parlements nationaux
Bratislava, le 7 octobre 2016
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Les Parlements nationaux représentent les Peuples. Ils ont un rôle essentiel à jouer pour rapprocher l’Europe et les citoyens. C’est le sens de la contribution que j’ai présentée après un échange avec le Président du Parlement de Slovaquie, M. Andrej Danko, que je remercie, et dont une version papier va vous être distribuée à ma demande. Ce renforcement pourrait s’exercer de trois manières.
Premier axe : les Parlements nationaux doivent être les garants d’une subsidiarité effective. Pour cela, la Commission européenne devrait, au préalable, mieux justifier le recours à une proposition législative. Trop souvent, celle-ci se contente de justifier sa proposition par l’approfondissement du marché intérieur. C’est au nom de ce principe que la Commission européenne avait lancé des initiatives sur la durée de la validité des permis de conduire, sur la protection des animaux dans les zoos ou a envisagé
’autoriser le coupage entre le vin blanc et le vin rouge pour obtenir du vin rosé, avant d’y renoncer ! Depuis 2009, la Commission européenne n’a accepté qu’une seule fois de retirer l’une de ses propositions à la suite d’un nombre d’« avis motivé » émis par les Parlements nationaux ayant atteint le seuil du « carton jaune ». Il s’agissait du paquet « Monti 2 » et du droit de grève. Mais elle a fait valoir qu’elle n’avait constaté aucune violation du principe de subsidiarité.
Les parlements doivent pouvoir aussi examiner sérieusement les textes : le délai de huit semaines, trop court, devrait être porté à dix semaines.
Les réponses de la Commission aux avis motivés devraient être faites dans un délai de 12 semaines. Elles devraient être précises sur les arguments soulevés. Peut-on se satisfaire, par exemple, sur la question du Parquet européen, d’une réponse se bornant à indiquer que « la Commission tiendra dument compte des avis motivés au cours du processus législatif » ? Les actes délégués devraient aussi être transmis aux Parlements. Avec les actes d'exécution, ils constituent des compléments des actes législatifs qui, eux, sont soumis à ce contrôle de subsidiarité. On le voit pour la mise en œuvre de la politique agricole commune lorsque de tels actes fixent de nouveaux critères d’éligibilité par exemple pour les aides aux jeunes agriculteurs.
L’arrangement trouvé le 19 mars dernier avec le Royaume-Uni, mais rendu caduc par une sortie de celui-ci, pourrait également être repris. Selon la procédure qu’il prévoit, les États membres mettront fin à l'examen du projet d'acte en cause ou ils le modifieront pour prendre en compte les préoccupations exprimées dans les avis motivés.
Je souligne que cette amélioration du contrôle de subsidiarité permettrait de renforcer la prise en compte de la diversité de nos territoires, dont la spécificité est trop méconnue. Comment justifier par exemple que le taux de TVA sur les centres équestres soit fixé au niveau européen ?
Deuxième axe : Il s’agit aussi de faire émerger -à traités constants– un droit d'initiative ou « carton vert ». Les Parlements nationaux doivent pouvoir proposer des actions ou des amendements à la législation existante. Ils doivent également pouvoir contribuer à l’élaboration du programme de travail annuel de la Commission. Le Sénat français a, par exemple, proposé à la Commission européenne une série d’actions concrètes pour renforcer la lutte contre le terrorisme.
Une amélioration du dialogue politique doit également être envisagée. Le délai de trois mois pour la réponse de la Commission doit devenir effectif. Le Sénat a attendu plus de six mois une réponse à ses observations sur le « paquet déchets » ! Les réponses de la Commission européenne doivent, par ailleurs, être mieux argumentées. Sur le plan d’investissement pour l’Europe, le Sénat n’a pu être satisfait d’une réponse se bornant à reprendre les termes de documents préparés pour la communication de la Commission européenne autour de ce plan. Sur l’Union des marchés de capitaux, le Sénat attendait une réponse précise à ces observations pas un simple rappel de l’économie générale et des objectifs de la proposition de la Commission européenne !
Troisième axe : La COSAC doit s’affirmer en priorité comme le cadre du débat entre Parlements nationaux et avec le Parlement européen sur les grands enjeux européens. Elle devra inscrire plus systématiquement à son ordre du jour les grands sujets de l’actualité européenne. Je songe notamment à l’enjeu crucial de la lutte contre le terrorisme, à celui du contrôle effectif des frontières extérieures ou aux enjeux énergétiques déterminants pour la croissance européenne. Elle devra aussi renforcer son évaluation du fonctionnement de l’Union européenne et des modalités du contrôle démocratique. Elle devra pouvoir soumettre elle-même des propositions d’initiative législative (« carton vert ») et discuter des projets législatifs posant des difficultés au regard du principe de subsidiarité. Des sessions informelles, parallèlement à la session officielle, pourraient permettre de développer les contacts entre Parlements sur des thématiques spécifiques. On pourrait envisager un travail préparatoire conduit par un petit groupe de Chambres intéressées. Le rapport biannuel devrait être diffusé plus largement, notamment auprès de la presse spécialisée européenne et des universitaires investis dans les questions européennes.
Voilà les propositions concrètes que je voulais vous soumettre aujourd’hui. Je serai très attentif à vos réactions et commentaires.