Allocution du Président du Sénat, M. Gérard Larcher,
à l’occasion de la Semaine des Ambassadeurs
Séance plénière « Diplomatie et territoires »
le 31 août 2016
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs les Présidents ou Vice-présidents de région ou de métropole,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Je tiens à remercier chaleureusement le Ministre des Affaires étrangères de son invitation à intervenir dans le cadre de la Conférence, devenue Semaine, des Ambassadeurs. C’est la première fois, à ma connaissance, depuis son institution en 1993 par Alain Juppé, qu’un Président du Sénat s’exprime dans cette enceinte.
Permettez-moi, à titre préliminaire, de saluer, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, la qualité de l’action que vous menez dans vos pays de résidence, et le professionnalisme des diplomates français dans leur ensemble. J’ai l’occasion de le vérifier à chacun de mes déplacements à l’étranger, et chaque fois que je reçois au Sénat un Chef d’État ou de gouvernement.
Je sais par ailleurs que vous travaillez dans des conditions parfois, voire souvent difficiles, où les moyens vous sont comptés.
Je suis de ceux qui plaident pour la préservation d’un Ministère des Affaires étrangères fort : dans les crises qui menacent la France et les Français aujourd’hui, la continuité entre l’action intérieure et extérieure de l’État n’a jamais été aussi évidente.
Un Ministère des Affaires étrangères puissant, au même titre que les autres grands Ministères régaliens, cela signifie un Ministère centré sur son cœur de métier ; dont les moyens ne seraient pas remis en cause année après année ; et au rôle de coordination interministérielle réaffirmé, pour ce qui a trait au rayonnement de notre pays à l’étranger. Telle est ma conviction.
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Plaider pour un Ministère des Affaires étrangères fort n’est pas contradictoire avec la reconnaissance du rôle grandissant de l’action extérieure des collectivités territoriales et de la diplomatie parlementaire. Cela en est, au contraire, le corolaire indispensable.
Le Sénat occupe une position singulière. Il se situe au carrefour de la diplomatie parlementaire et des territoires.
En vertu de l’article 24 de la Constitution, le Sénat a pour mission notamment « d’assurer la représentation des collectivités territoriales de la République ». Il en est l’émanation par son mode électoral.
Les Sénateurs sont, dans ces conditions, à même de faire entendre la voix non seulement des grandes régions ou des métropoles insérées dans la mondialisation, mais aussi de toutes les collectivités territoriales tels les départements, ou de celles qui sont à dominante rurale.
Je n’oublie pas pour autant les Sénateurs des Français établis hors de France, les premiers à avoir représenté, selon notre Constitution, nos compatriotes vivant à l’étranger. Ils savent tirer le meilleur parti de la richesse des communautés expatriées mais aussi porter les valeurs qui sont les nôtres, en matière de droits de l’Homme et de démocratie.
Le Sénat est un moteur de la décentralisation. Il a insufflé, accompagné, favorisé la montée en puissance des collectivités territoriales, sans en oublier aucune, en faisant évoluer les législations. Les débats sur la loi NOTRe et sur la loi d’affirmation des métropoles en portent témoignage.
Il est aussi l’un des protagonistes du développement de la coopération transfrontalière, qui devrait constituer l’un des axes structurants de notre politique européenne. Il a soutenu la coopération des collectivités d’Outre-Mer dans leur environnement, y compris avec des États ou par l’intégration d’organisations régionales – la loi d’orientation sur l’Outre-Mer de 2000 en est le fondement. J’ai pu mesurer l’importance de ces liens noués, dans l’intérêt de l’ensemble des Calédoniens, avec les États voisins lors de mon déplacement récent en Nouvelle-Calédonie.
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Le Sénat dispose naturellement de la force de frappe de la diplomatie parlementaire.
J’ai fait de la diplomatie parlementaire l’une des priorités de mon deuxième mandat à la tête du Sénat.
C’est ainsi que je rencontre chaque année une 40aine de Chefs d’État et de gouvernement, ou de Présidents de Chambre, sans compter les Ministres et les dirigeants d’organisations multilatérales. À cela s’ajoutent les déplacements à l’étranger (au cours de la dernière année, je me suis rendu en Algérie, au Liban, en Iran, en Italie, en Russie – les prochaines étapes seront Bratislava, pour une réunion des Présidents des Parlements nationaux de l’Union européenne, et Le Caire).
On aurait tort de considérer ces contacts comme étant de nature strictement protocolaire. Quatre axes structurent l’action internationale du Sénat :
- la focalisation sur des sujets à enjeux majeurs, qui se situent au carrefour de l'action extérieure et intérieure (lutte contre le terrorisme, doctrine d’engagement de nos forces armées, crise migratoire, défense des intérêts économiques de notre pays) ;
- le renforcement de la compétence des Parlements nationaux dans l’Union européenne – la crise de l’Union, cristallisée par le Brexit, rend ce renforcement indispensable si l'on veut rétablir le lien avec les peuples ;
- la promotion du parlementarisme et de ses valeurs, par l’aide apportée aux Assemblées qu’il s’agit de renforcer ;
- la promotion du bicamérisme, pas au nom d'un plaidoyer pro domo, mais comme voie de stabilisation de la démocratie et de résolution de crise – j’y reviendrai.
Les groupes d’amitié et la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sont autant de démultiplicateurs de l’action sénatoriale. Je souhaite souligner la qualité du travail mené par son Président, M. Jean-Pierre Raffarin, en direction de l’Asie et de la Chine notamment.
Naturellement, malgré la diversité des majorités politiques, il ne s’agit en rien de se substituer à la diplomatie d’État, dont seul le Président de la République et le Ministre des Affaires étrangères ont la conduite. Pour un Gaulliste, il n’y a pas d'autre option qui tienne.
L’absence de contradiction avec les orientations de politique étrangère n’implique pas pour autant un alignement absolu. Un équilibre entre l’indispensable cohérence de la voix de la France et l’expression de sensibilités qui ne soient pas susceptibles d’affaiblir les positions défendues par notre pays, doit être trouvé. J’y veille avec grand soin.
Votre Ministre le sait, si je me suis rendu en Russie au lendemain des Accords de Minsk II, en février 2015, c'est avec la conviction que les relations à haut niveau entre nos pays ne pouvaient longtemps se limiter à la seule question ukrainienne : il fallait ajouter du liant et ménager l’avenir ; le contact avec les Présidents du Conseil de la Fédération et de la Douma étaient utiles. Rien dans mes déclarations n’a affaibli cependant les positions soutenues par la France et l’Union européenne sur le régime de sanctions (je les ai même justifiées à la tribune du Conseil de la Fédération en séance plénière !).
Lorsque je me suis rendu en Iran en décembre 2015, avant la levée des sanctions économiques mais alors qu'il était avéré que les autorités iraniennes respectaient l’Accord de Vienne, l’objectif était double : examiner les possibilités de reprise de notre coopération et préparer la visite du Président Rohani en France, un mois après, pour qu’elle se déroule dans les meilleures conditions. Nous y avons tous contribué.
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Mesdames et Messieurs,
Je souhaiterais conclure par quelques exemples.
Le Sénat fut rapporteur de la COP 21 parlementaire, accueillie à Paris avec l’Assemblée nationale, juste avant le sommet des Chefs d’État et de gouvernement. Il a réussi à faire adopter, par l’Union des Parlements du monde entier, une déclaration qui souligne le rôle majeur des collectivités territoriales dans la lutte contre le changement climatique et appelle les institutions nationales à soutenir leurs efforts.
Il s’agit d’une bonne illustration, me semble-t-il, du lien entre la diplomatie parlementaire, l’action des Exécutifs et l’action des collectivités locales.
Le Sénat est fréquemment sollicité par des Assemblées de pays amis pour son expertise en matière de décentralisation : ce fut le cas pour la réforme de la constitution ukrainienne, en application des Accords de Minsk, afin de passer d’un régime centralisé à un système accordant une réelle autonomie aux autorités locales. L'intérêt pour les régions de l’Est de l’Ukraine est manifeste.
Dans les situations de crise, une meilleure prise en compte des revendications d’une frange du territoire national ou d’une fraction de la population, sur une base ethnique ou religieuse, constitue souvent l’une des clefs de la résolution des différends : la création d’une seconde Chambre peut alors constituer une solution opérationnelle.
Parce qu’elle permet de conjuguer l’indispensable unité de l’État et la représentation de ses composantes, dans leur diversité, qu’il s’agisse de stabiliser la démocratie, comme c’est le cas en Côte d’Ivoire, ou de mieux associer la région du Nord au gouvernement de Bamako, au Mali. La création d’une seconde Chambre faisait aussi partie intégrante de l’Accord de Taëf au Liban, qui n’a pas été suivi d’effet sur ce point. On peut le regretter. En Syrie, elle au nombre des options possibles, lorsque les négociations sur la transition politique reprendront, et nous l’avons évoquée tant avec Sergueï Lavrov qu’avec nos amis allemands.
Il existe donc une diplomatie des secondes Chambres. Pensez-y !
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Mesdames et Messieurs,
Le Ministère des Affaires étrangères a pris l’initiative, que je salue, de préparer un livre blanc sur Diplomatie et territoires : pour une action extérieure démultipliée.
Je souhaite que le Sénat soit associé à la réflexion en cours, et j’en formule le vœu devant vous.
Je suis convaincu qu’ensemble, nous pourrons mieux tirer parti de la force des territoires, de tous les territoires, métropoles, communes, départements, régions, collectivités d’Outre-Mer, et de toutes les institutions de la République, dans le respect de la séparation des Pouvoirs, au service de notre politique étrangère.