Intervention du Président du Sénat, M. Gérard LARCHER,
à la Conférence des Présidents des Parlements de l’Union européenne
1ère session : Gestion des flux migratoires
le 23 mai 2016
Monsieur le Président de la Commission européenne,
Monsieur le Président du Parlement luxembourgeois,
Mesdames les Présidentes et Messieurs les Présidents des Parlements,
Mes chers collègues,
Je remercie très sincèrement la présidence luxembourgeoise de nous accueillir et de nous permettre de nous exprimer sur ce sujet et de nous avoir rappelé en préambule quelques références de notre histoire au XXe siècle.
Oui depuis près de deux ans, l’Europe est confrontée à une crise d’une ampleur sans précédent dans l’histoire récente. Et cela nous concerne nous les Parlements nationaux.
Je veux en tout premier lieu insister sur la dimension humaine de cette crise. Nous avons à l’esprit le terrible bilan du nombre de victimes qui ont péri dans des naufrages en Méditerranée.
Il s'agit aussi d'une crise qui met à l'épreuve les valeurs fondamentales de notre Union : les droits fondamentaux ont du sens.
J’avais moi-même pu prendre toute la dimension de ce drame, l’an passé, lors d’un entretien avec le Procureur de Catane. Il avait souligné la gravité de la situation et la lourdeur de la charge supportée par nos amis italiens.
Je me suis rendu sur l’île de Lampedusa, en mars dernier, avec mon collègue François-Noël Buffet, Vice-président de la commission des Lois du Sénat français, présent dans cette salle. Là encore, nous avons pu mesurer concrètement la réalité de ce drame humain. Nous avons pu nouer un dialogue approfondi avec le Préfet d’Agrigente, la Maire, le Médecin chef le docteur Bartoleo, et des responsables d’associations.
Je veux saluer leur humanité et leur sens du devoir ! Je veux redire ici combien j’ai été impressionné par le professionnalisme des autorités italiennes, des organisations européennes, du Haut commissariat pour les réfugiés.
La situation humanitaire en Grèce a aussi suscité de vives inquiétudes. Avec ses collègues de la commission des Lois du Sénat, M. François-Noël Buffet, s’est rendu, en février, sur l’île de Lesbos où est implanté le premier « hotspot » de Grèce. Il a pu mesurer l'ampleur de la charge – du fardeau pour reprendre la formule de notre collègue grec - à laquelle la population et les autorités grecques sont confrontées.
Soyons clairs : face à un afflux massif de réfugiés et de migrants économiques du Moyen Orient et d’Afrique, l’Europe a agi dans l’urgence. Elle a apporté des réponses disparates sans coordination suffisante. L’Europe doit donc agir mieux et davantage.
Pour gérer ces flux migratoires, il faut un ensemble de décisions concrètes : doter l’agence FRONTEX de réels moyens d’agir, en lui permettant notamment d’accéder au système d’information Schengen. Les propositions de la Commission européenne qui permettront de créer un corps de garde-frontières et de garde-côtes sont positives. Nous devons aussi mettre en place un dispositif opérationnel de contrôle systématique des entrées et des sorties de l’espace Schengen, avec un enregistrement des ressortissants des pays tiers. Car il faut préserver Schengen et le principe de libre circulation, tout en assurant la sécurité. Parallèlement, l’Union européenne doit mener un combat résolu contre les réseaux de passeurs.
Nous devons travailler – au plan politique – et c'est aussi le rôle des Parlements - :
1/ à plus d’harmonisation et élaborer une véritable politique européenne de l’asile et harmoniser les conditions d’application de la Convention de Genève. Faut-il aménager les règles de Dublin qui donnent compétence au premier État d’arrivée pour traiter une demande d’asile ? La Commission européenne suggère un mécanisme de répartition juste qui serait déclenché « automatiquement » en fonction des capacités du pays d’accueil. Nous devons en débattre. Je sais un certain nombre de pays reserves sur ce point!
2/ A la mise en place d’une politique de migration legale.
Le renforcement de la coopération avec les pays d’origine et de transit me paraît par ailleurs indispensable. À ce jour, l’Union européenne n’a conclu que dix-sept accords de réadmission. De tels accords de réadmission doivent être articulés avec une stratégie renforcée durable de co-développement pour l’Afrique.
Je pense au « Plan Afrique » mis en place en 2006 par l’Espagne avec certains pays, comme le Sénégal, qui a permis de contenir le flux de migrants économiques qui débarquaient aux Canaries, en aidant les populations à vivre dans leurs pays d’origine.
Cela me conduit, pour achever mon propos, à évoquer l’accord que l’Union européenne a conclu avec la Turquie. C’est un accord indispensable, dont le début de la mise en œuvre paraît positif, mais nous devons être vigilants sur les conditions de son application, dans la durée. Comment fonctionne et fonctionnera le mécanisme « un syrien pour un syrien » ? Il faut bien évaluer la portée de la libéralisation du régime des visas. Le respect par la Turquie de l'intégralité des 72 critères est indispensable. Il y a, la aussi, la question essentielle des valeurs qui sont au fondement même de notre projet européen.
Pour conclure, je dirai que c’est seulement ensemble, et en dialoguant ensemble et non chacun de notre côté ou derrière nos propres frontières, que nous pourrons apporter des réponses humaines et responsables au défi migratoire. Je vous remercie.