Document "pastillé" au format PDF (86 Koctets)
N° 79
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 novembre 2014 |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 34-1 DE LA CONSTITUTION,
visant à réduire les déchets et valoriser les ressources de l' économie circulaire ,
Par M. Jean-Vincent PLACÉ et les membres du groupe écologiste,
Sénateurs
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La France étant particulièrement attendue en matière écologique en vue de la 21 ème conférence climat qu'elle accueille à Paris en 2015 lors de la 19 ème Conférence des parties à la Convention cadre des Nations unies pour les changements climatiques de Varsovie (COP19), elle se doit d'être exemplaire et pionnière grâce à des engagements significatifs. C'est l'objet de cette proposition de résolution qui se concentre sur la réduction des déchets et la valorisation des ressources de l'économie circulaire.
Nos modes de production et de consommation aboutissent à l'accumulation d'un volume inquiétant de déchets. De 1960 à 2000, le tonnage d'ordures ménagères a doublé. La France a produit 355 millions de déchets en 2010 d'origine ménagère ou industrielle. Aujourd'hui en France, chacun d'entre nous produit en moyenne 590 kg de déchets par an.
Notre modèle économique actuel repose sur un système linéaire de surproduction et de surconsommation, entraînant une exploitation des matières premières et des terres rares insoutenable. Chaque année, 60 milliards de tonnes de ressources naturelles sont prélevées dans la nature. De leur production à leur fin de vie, les produits ont un impact considérable sur la biodiversité et sur le changement climatique. La masse de déchets ainsi produite pose de sérieux problèmes environnementaux et sociaux, étant donné les impacts en termes de pollution de l'air, des sols, des nappes phréatiques, des océans et les répercussions sur la santé. Un Européen produit en moyenne 600 kg de déchets par an, tandis qu'un Américain en produit 700 kg par an et un habitant d'une grande ville d'un pays dit « en voie de développement » entre 150 à 200 kg par an.
Certains matériaux sont particulièrement problématiques. Comme le souligne la Commission européenne dans son livre vert sur une stratégie européenne en matière de déchets plastiques dans l'environnement, « les caractéristiques intrinsèques des matières plastiques créent des problèmes particuliers du point de vue de la gestion des déchets ». La durée de vie de ces matériaux complexes étant très élevée, ils s'accumulent de façon exponentielle et sont difficiles à recycler (environ 21,3 % des emballages plastiques dans l'Union européenne). La production mondiale de matières plastiques est passée de 1,5 million de tonnes (Mt) par an en 1950 à 245 Mt en 2008, dont 60 Mt rien qu'en Europe. La production des dix dernières années représente la production totale au cours du XX e siècle. Il est estimé (dans un scénario de statu quo ) que 66,5 Mt de plastiques seront mises sur le marché de l'Union européenne d'ici à 2020 et qu'au niveau mondial, cette production pourrait tripler d'ici à 2050. Les déchets plastiques, comme les rejets de sacs plastiques à usage unique, sont à l'origine d'une pollution marine très inquiétante, soulevée lors du sommet Rio +20, en particulier pour la faune aquatique et pour l'alimentation humaine. Environ 10 millions de tonnes de déchets, pour la plupart plastiques, finissent dans les océans et mers chaque année.
La gestion des déchets électriques, électroniques et électroménagers (DEEE) est également délicate. D'autant plus que pour dynamiser les ventes, certains industriels ont recours à des stratégies dites « d'obsolescence programmée » qui conduisent à un renouvellement fréquent des produits, entrainant un accroissement constant de ce type de déchets, particulièrement toxiques, souvent envoyés dans des pays d'Asie ou d'Afrique ne disposant pas de structures de recyclage. On compte aujourd'hui 16 à 20 kg de DEEE jetés par personne et par an en France.
Outre les enjeux écologiques et sanitaires alarmants, la gestion des déchets représente également un enjeu économique majeur, en particulier pour les collectivités locales qui sont tenues d'assurer la salubrité de leur territoire. La fiscalité appliquée au titre de la gestion des déchets ménagers représente plus d'1,1 milliard d'euros de prélèvements supportés chaque année par les collectivités territoriales et donc par les contribuables ou usagers locaux.
Parmi les modes de gestion des déchets, on distingue le recyclage, le réemploi, le stockage en décharge (30 %), l'incinération (30 %), la méthanisation ou encore le compostage (14 %).
Les techniques de stockage sont les moins coûteuses et donc les plus répandues. La France compte actuellement 250 décharges. Plus de 21,2 millions de tonnes de déchets dits « non dangereux » ont été enfouis en 2008. Cependant, ils portent atteinte à notre environnement et aux paysages avec pour seule valorisation la récupération du méthane lorsqu'elle existe. Les décharges doivent impérativement être limitées, pour éviter de multiplier l'enfouissement des déchets sous terre, qui ne peut représenter une réponse durable, notamment face à la pression sur le foncier et à la pollution de l'air, de l'eau ou des sols. Selon le rapport du centre d'analyse stratégique sur les aides publiques dommageables à la biodiversité, la mise en décharge est également responsable de près de 13 % des émissions françaises de méthane. Alors que plus de la moitié des déchets mis en décharge pourraient être recyclés ou compostés, ou pourraient bénéficier a minima d'une valorisation énergétique.
L'incinération est également parmi les méthodes les plus polluantes. Elle est très contestée, notamment à cause des émissions de polluants atmosphériques dangereux. En effet, les substances toxiques dégagées par les fumées des incinérateurs sont à l'origine de nombreuses maladies qui touchent les populations environnantes. D'autre part, l'incinération participe au réchauffement climatique en émettant chaque année plus de 5 millions de tonnes de CO2 fossile (autant qu'une centrale à gaz ou charbon, à kWh utile produit égal). Pourtant, la France est le pays d'Europe qui compte le plus d'incinérateurs. Ces pollutions sont d'autant plus importantes que les métaux, les plastiques et la matière organique ne sont pas assez triés en amont.
D'après la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets, afin de protéger au mieux l'environnement, les États membres doivent prendre des mesures pour le traitement de leurs déchets conformément à une certaine hiérarchie, selon laquelle la prévention, la préparation en vue du réemploi et le recyclage (ou compostage) apparaissent comme prioritaires, conformément au principe qui envisage nos déchets irréductibles comme des matières premières secondaires.
La prévention inclut les réflexions sur l'écoconception des produits ou l'allongement de leur durée de vie et permet ainsi de réduire, à la source, les prélèvements de ressources naturelles et de rendre plus efficiente leur utilisation. Réparer un objet ou un appareil permet d'en prolonger la vie. La filière de la réparation est encore trop peu valorisée alors qu'elle peut représenter une source considérable d'emplois non délocalisables, notamment des emplois d'insertion. Le recyclage, quant à lui, constitue un excellent moyen de valoriser les matières premières présentes dans les déchets. Au contraire de l'élimination, le recyclage peut contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à économiser des ressources précieuses car limitées. Le recyclage des matières organiques par compostage avec ou sans valorisation énergétique préalable permet de limiter d'autant les intrants issus de la chimie industrielle à condition que la qualité agronomique du compost soit garantie par une norme stricte sur les éléments traces et que les matières organiques aient été collectées séparément.
L'économie des déchets représente par ailleurs un véritable atout pour l'emploi : sur les 130 100 emplois environnementaux directement liés au domaine des déchets, 23 % sont relatifs au secteur de la récupération.
Ces méthodes vertueuses de gestion des déchets constituent les piliers de l'économie circulaire, marquant une rupture avec le modèle économique linéaire aberrant actuel, partant de l'extraction de matières premières, pour la production, puis la consommation et l'élimination des déchets qui en résultent, avec des échanges commerciaux parfois sur de très longues distances. En s'inspirant du fonctionnement des écosystèmes naturels, l'économie circulaire vise à éco-concevoir des produits qui seront, soit biodégradables soit réutilisés ou recyclés. Ce nouveau modèle de production et de consommation permet une réduction massive des résidus ultimes, dans un objectif idéal de « zéro déchet » et de circuits courts. Le déchet n'est alors plus considéré comme tel mais bien comme une ressource.
Le succès des filières REP (Responsabilité élargie des producteurs) démontre la viabilité d'un tel système. Par exemple, dans le cadre de la filière « emballages ménagers », 50 000 entreprises sont adhérentes au groupe Éco-Emballages. Elles ont versé 653 millions d'euros de contributions en 2012 pour organiser le recyclage du gisement contribuant de 4,762 millions de tonnes d'emballages et atteindre 67 % de recyclage. Actuellement, pour les emballages, les performances varient par matériaux : en France, le taux de recyclage atteint 97 % pour l'acier, 32 % pour l'aluminium, 49 % pour les bouteilles et flacons plastiques, 45 % pour la brique alimentaire, 67 % pour le papier-carton et 86 % pour le verre, mais seulement 24 % pour les emballages plastiques.
Bien que l'industrie du recyclage puisse se révéler lucrative, l'objectif doit, avant tout, rester celui de la réduction de la production de déchets. Bien que vertueuse dans son principe, l'économie circulaire ne constitue donc pas un alibi pour surproduire encore davantage, même des biens recyclables, puisque cela nécessite toujours plus d'énergie et de matières premières.
Les Français et Françaises sont d'ailleurs particulièrement sensibles à une meilleure gestion de leurs déchets. En 20 ans, la collecte sélective est devenue un vrai phénomène de société : 97 % des consommateurs jugent nécessaire de trier, tandis que 77 % pratiquent le tri sélectif des emballages. Concernant le réemploi, actuellement, déjà 52 % des consommateurs participent à l'économie collaborative en revendant leurs biens plutôt que de les jeter. La responsabilité citoyenne, mais également l'argument économique, dans un contexte de difficultés sociales et financières, poussent nos concitoyens à changer et adapter leurs modes de vie. Ainsi, la gestion des déchets se révèle être un réel vecteur de est mobilisation citoyenne, de prise de conscience écologique et de la transition écologique.
Pourtant, à l'heure actuelle et malgré les avancées du Grenelle de l'Environnement, la législation, la réglementation, les investissements publics ou privés et la fiscalité ne permettent pas de mettre en place un modèle solide et viable de valorisation des ressources de l'économie circulaire.
Malgré la volonté affichée depuis 1975 et les actions menées depuis 1992 pour réduire la production de déchets et les différentes lois ou plans nationaux, force est de constater que les déchets continuent d'augmenter régulièrement, devenant le triste symbole de notre société du gaspillage. Le recyclage n'atteint pas son niveau optimum, le compostage est presque inexistant tandis que le réemploi, ou toutes autres formes d'économie collaborative, restent encore trop anecdotiques.
Certains objectifs majeurs de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement sont loin d'être atteints, à commencer par celui prévoyant que « les quantités de déchets partant en incinération ou en stockage seront globalement réduites avec pour objectif, afin de préserver les ressources et de prévenir les pollutions, une diminution de 15 % d'ici à 2012 ». Si la quantité de déchets mis en décharge a diminué de 12 % entre 2008 et 2010, l'incinération des déchets a dans le même temps augmenté de 7 %.
Au vu des impératifs écologiques, sociaux et économiques, la gestion des déchets et la valorisation de ces ressources doivent faire l'objet d'une politique publique transversale, lisible et ambitieuse, dans le cadre d'un modèle d'économie circulaire.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1 er à 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,
Vu la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement,
Vu la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique,
Vu les conclusions du conseil européen du 10 octobre 2011 sur la conférence de Durban,
Vu la directive 2008/98/CE du Parlement Européen et du Conseil relative aux déchets,
Considérant le livre vert de 2013 sur une stratégie européenne en matière de déchets plastiques dans l'environnement de la Commission européenne,
Considérant la nomination officielle de la France comme pays hôte de la 21e conférence climat en 2015 (Paris Climat 2015) lors de la 19 e Conférence des parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques de Varsovie (COP19),
Considérant l'importance de réduire les déchets et valoriser les ressources qu'ils représentent dans le cadre d'une économie circulaire,
Invite le Gouvernement à :
- Renforcer l'objectif de réduction à la source de la production de déchets et d'utilisation de matières premières et de terres rares ;
- Mettre en place des indicateurs de performance partagés pour disposer d'un suivi chiffré du respect des engagements tant en terme de ressources prélevées que de ressources valorisées, ou encore de déchets générés et de ressources mobilisées pour en assurer la collecte et le traitement ;
- Renforcer la politique de prévention de la production de déchets en sensibilisant davantage les ménages, mais également les entreprises et les collectivités territoriales, et en encourageant à l'accompagnement du geste de tri, via l'emploi d' « ambassadeurs du tri » ;
- Encourager la réflexion sur la gestion des déchets dans l'aménagement de l'habitat collectif et les opérations de rénovation urbaine ;
- Favoriser l'écoconception grâce à des investissements dans la recherche et étudier une modulation de l'éco-contribution, afin d'allonger la durée de vie des biens et de lutter contre l'obsolescence programmée ;
- Soutenir de façon ciblée l'investissement, notamment des collectivités territoriales, en faveur de la valorisation matière et organique, du réemploi et de la réparation ;
- Systématiser la collecte sélective et le tri à la source de tous les recyclables dans l'espace public, pour les ménages et les entreprises, y compris en favorisant l'émergence de systèmes hors du champ du service public ;
- Encourager l'achat public de produits recyclés et éco-conçus ;
- Harmoniser les politiques de gestion des déchets menées par les pouvoirs publics ou les entreprises privées (filières Responsabilité élargie des producteurs (REP) notamment, ou bourses des déchets) sur les territoires ;
- Sortir progressivement et définitivement de l'utilisation des méthodes d'incinération et de stockage pour les déchets recyclables, composables, réutilisables ou réparables et accompagner la reconversion de ces activités industrielles ;
- Réorienter les déchets organiques vers le compostage et la méthanisation en rendant obligatoire leur tri à la source ;
- Étudier une évolution de la fiscalité afin d'inciter au recyclage matière et organique, au réemploi et à la réparation, au détriment des méthodes polluantes (incinération, stockage...), en envisageant notamment une réforme de la taxe générale sur les activités polluantes et des taux de TVA ;
- Accélérer la mise en oeuvre du principe de la tarification incitative, initié par la loi Grenelle ;
- Valoriser le système de consigne sur un certain nombre de flux de déchets (bouteilles plastique et verre, piles et batteries) ;
- Lutter avec la plus grande détermination contre la délinquance environnementale ;
- Amplifier l'éducation à la protection de l'environnement qui doit être considérée comme un axe fort de l'éducation civique.