PROPOSITION DE RESOLUTION
N°
325
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 21
février 2002
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juin 2002
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
presentée au nom de la délégation pour l'Union européenne (1), en application de l'article 73 bis du Règlement, sur les textes E 1851 et E 1852 concernant le ciel unique europeen ,
Par M.
Jacques OUDIN
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires
économiques et du Plan, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions
prévues par le Règlement)
(1) Cette délégation est composée de
: M Hubert
Haenel,
président
; M. Denis Badré,
Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jean-Léonce Dupont, Claude Estier,
Jean François-Poncet, Lucien Lanier,
vice-présidents
; M. Hubert Durand-Chastel,
secrétaire ;
MM. Bernard Angels,
Robert Badinter, Jacques Bellanger, Mme Maryse Bergé-Lavigne,
MM. Jean Bizet, Jacques Blanc, Maurice Blin, Gilbert Chabroux,
Robert Del Picchia, Mme Michelle Demessine, MM. Marcel Deneux, Jean-Paul
Emin, Pierre Fauchon, André Ferrand, Philippe François,
Yann Gaillard, Emmanuel Hamel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec,
Aymeri de Montesquiou, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Simon Sutour,
Jean-Marie Vanlerenberghe, Paul Vergès, Xavier de Villepin, Serge
Vinçon.
Union européenne.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Comme aux Etats-Unis, la libéralisation du transport aérien a
permis en Europe un développement rapide de la circulation
aérienne. Ainsi, le nombre des vols s'est accru de 40 % en Europe
depuis 1997, et on prévoit un doublement du trafic tous les douze ans.
La baisse conjoncturelle enregistrée après les attentats du 11
septembre 2001 ne semble pas remettre en cause cette tendance de fond.
Le problème est que cet accroissement du trafic dépasse les
capacités d'absorption du système aérien. Aujourd'hui, un
tiers des vols en Europe accusent du retard, la moitié de ces retards
étant imputable à la saturation de l'espace aérien. La
durée moyenne des retards est de vingt minutes.
Préoccupée par la saturation de l'espace aérien
européen, la Commission a engagé depuis plusieurs années
une réflexion sur la mise en place d'un « ciel unique
européen ». Après avoir fait une première
communication sur ce sujet en décembre 1999, elle a mis en place un
groupe d'experts à haut niveau, civils et militaires, qui a remis son
rapport en décembre 2000.
Le travail de la Commission s'est alors trouvé retardé un moment
par la querelle entre l'Espagne et le Royaume-Uni à propos de
l'aéroport de Gibraltar. Le Conseil européen de Göteborg
ayant rappelé l'importance du projet, ces deux Etats membres se sont
finalement mis d'accord pour exclure Gibraltar du futur « ciel
unique », et la Commission a pu adopter, le 10 octobre 2001, un
ensemble formé par une nouvelle communication et quatre propositions de
règlements.
I. Les propositions de la Commission :
L'échéance fixée par la Commission pour la
réalisation du ciel unique européen est le 31 décembre
2004.
1. La proposition de règlement-cadre sur le ciel unique européen
prévoit une nouvelle organisation institutionnelle, qui confie à
la Communauté européenne un rôle réglementaire. Ce
rôle est complémentaire de celui exercé aujourd'hui par
Eurocontrol, organisation internationale qui regroupe trente Etats
européens. D'ailleurs, la Communauté devrait à terme
adhérer à Eurocontrol.
Pour élaborer les réglementations en matière de
circulation aérienne, la Commission s'appuiera sur un comité
composé de représentants des Etats membres, à raison de
deux par Etat. Il s'agit de pouvoir associer des militaires et des civils au
sein du comité, car le groupe des experts à haut niveau a
jugé nécessaire de parvenir à une meilleure coordination
entre ces deux catégories d'utilisateurs de l'espace aérien.
2. La proposition de règlement sur l'organisation et la gestion de
l'espace aérien a pour objet de créer un espace aérien
sans frontières, en instituant une région unique d'information de
vol (RIV).
Une RIV est une portion d'espace aérien dans laquelle sont fournis des
services de trafic aérien, et dont les limites coïncident
traditionnellement avec les frontières internationales. Chacune est
soumise à des règles particulières, propres à
chaque Etat responsable. Ainsi, les quinze RIV actuelles seront
fusionnées en une seule portion d'espace aérien, à
l'intérieur de laquelle les services de trafic aériens seront
fournis selon les mêmes règles et procédures. Cette
unification commencera par l'espace aérien supérieur, qui
accueille la plupart des vols internationaux, avant d'être étendue
à l'espace aérien inférieur.
La Commission élaborera les règles de gestion des flux de trafic
aérien, en collaboration avec les prestataires de services de
navigation, les aéroports et les utilisateurs de l'espace aérien.
L'objectif visé sera d'optimiser l'utilisation des capacités de
vol.
3. La proposition de règlement sur la fourniture de services de
navigation aérienne concerne les services de contrôle du trafic
aérien, les services de météorologie et les services de
recherche et de sauvetage. Rien n'est dit sur le statut, public ou
privé, des prestataires de services : chaque Etat membre reste
compétent sur ce point.
Ce texte prévoit un système d'autorisation de fourniture de
services et un mécanisme d'évaluation de leur conformité.
Il impose une séparation entre la fonction de surveillance et la
fonction d'exploitation, pour prévenir les conflits
d'intérêts.
En ce qui concerne les redevances, il prévoit qu'elles doivent
être fixées selon les principes de non discrimination et de
transparence, et doivent refléter les coûts réels.
4. La proposition de règlement sur l'interopérabilité du
réseau européen de gestion du trafic aérien a pour
objectif d'assurer la compatibilité technique des différents
systèmes et composants nationaux de ce réseau.
Ce texte prévoit l'adoption d'« exigences
essentielles » s'imposant à tous les opérateurs et aux
industriels, ainsi que la définition de standards européens. Il
constitue une évolution importante par rapport à la situation
actuelle, où les spécifications techniques
élaborées par Eurocontrol ont un caractère non obligatoire.
II. Observations :
1. Indéniablement, la fragmentation de l'espace aérien
européen contribue à l'aggravation des retards. Toutefois, le
manque de coopération des Etats membres en matière de
contrôle aérien n'explique pas tout.
En effet, les pratiques commerciales des transporteurs aériens sont
aussi l'une des causes de l'engorgement actuel. En multipliant les navettes
assurées par de petits appareils sur les lignes les plus rentables, et
en concentrant les correspondances en étoile à partir de hubs,
les compagnies aériennes ont aussi une part de responsabilité
dans la saturation des aéroports et la difficulté de
programmation des vols.
Enfin, ce sont aussi des limites matérielles et humaines qui expliquent
la situation actuelle. Il ne sera pas possible de redonner plus de
fluidité au trafic aérien en Europe sans faire l'effort
d'investir dans les infrastructures aéroportuaires et de recruter
davantage de contrôleurs aériens.
2. Sur le principe, la plupart des Etats membres reconnaissent la
nécessité d'une action communautaire et s'accordent sur
l'intérêt de mesures techniques, d'harmonisation, de
sécurité et d'interopérabilité que pourrait prendre
la Communauté. Toutefois, une majorité se montre attachée
au maintien d'Eurocontrol et de ses prérogatives, et opposée
à une duplication communautaire de tâches déjà
accomplies par cette organisation internationale.
Doté d'une compétence à la fois civile et militaire, et
d'une grande expertise technique, Eurocontrol coordonne l'action des Etats dans
les domaines techniques et opérationnels. Il contribue également
à la fluidité du trafic, avec son unité centrale de
gestion des flux. Surtout, avec trente Etats membres, Eurocontrol
déborde largement le territoire de l'Union et atteint ainsi une
dimension paneuropéenne, essentielle en matière de circulation
aérienne.
Une convention signée le 27 juin 1997 prévoit d'étendre
les pouvoirs d'Eurocontrol dans le domaine de la gestion du trafic
aérien et de rendre plus facile la prise de décision, en
substituant la règle de la majorité à celle de
l'unanimité (sauf invocation d'une clause de sauvegarde de sa
sécurité nationale par un Etat membre).
L'adhésion de la Communauté à Eurocontrol doit donc
être considérée comme une priorité. On ne peut que
regretter que le différend entre l'Espagne et le Royaume-Uni au sujet de
l'aéroport de Gibraltar l'ait jusqu'à présent
empêchée.
3. Les propositions de la Commission ont parfois été
perçues comme préparant le terrain pour une mise en concurrence
des services de navigation aérienne en Europe. C'est notamment l'analyse
faite par le rapporteur de la résolution adoptée par
l'Assemblée nationale, M. Christian Bataille.
La commissaire chargée des transports, Mme Loyola De Palacio, s'en
défend et souligne que ses propositions laissent les Etats membres
parfaitement libres du choix du statut, public ou privé, de leurs
prestataires de services de contrôle aérien. Il n'en reste pas
moins qu'un certain nombre d'Etats membres, notamment le Royaume-Uni, les
Pays-Bas, l'Espagne et l'Italie, seraient favorables à la mise en
concurrence des services civils de navigation aérienne.
4. L'exigence de séparation fonctionnelle entre les autorités de
régulation et les organismes responsables de l'exploitation des services
de navigation aérienne n'est pas vraiment motivée par la
Commission. En fait, elle n'a de sens que dans un système où
plusieurs opérateurs se retrouvent en situation de concurrence : il
importe alors qu'aucun d'entre eux ne soit avantagé par le
régulateur. Cette proposition est de nature à préparer
l'ouverture à la concurrence des services de navigation aérienne,
même si la Commission ne revendique pas pour le moment cet objectif.
Dans le cas de la France, la Direction générale de l'aviation
civile (DGAC) est en situation de monopole, et assure à la fois les deux
fonctions de régulation et d'exploitation. L'exigence de
séparation fonctionnelle prévue par la proposition de
règlement implique-t-elle une modification de l'organisation
institutionnelle française ? En pratique, il existe
déjà une distinction au sein de la DGAC entre la Direction de la
navigation aérienne, en charge de la définition des orientations
et de la réglementation, et le Service du contrôle du trafic
aérien, en charge de l'exploitation. Toutefois, la jurisprudence la Cour
de Justice des Communautés européennes (CJCE) considère
que le partage des missions entre deux directions d'un même
ministère ne peut être considéré comme une
séparation fonctionnelle suffisante (arrêt CJCE
« Decoster » du 17 octobre 1993).
Une évolution possible, afin de satisfaire à l'exigence de
séparation fonctionnelle, pourrait être d'ériger le Service
du contrôle du trafic aérien en établissement public
administratif autonome. L'essentiel est que chaque Etat membre, en application
du principe de subsidiarité, demeure libre d'organiser comme il l'entend
son système de contrôle de la navigation aérienne.
5. L'une des mesures préconisées par la Commission pour
rétablir la fluidité du trafic aérien en Europe est de
modifier la répartition de l'espace aérien entre les utilisations
civiles et militaires. Il s'agit d'introduire une
certaine « flexibilité d'utilisation » de
l'espace aérien afin que, dans les zones à forte densité
de trafic, il n'y ait plus de zones réservées en permanence
à des fins militaires.
La réduction des menaces militaires en Europe dans un contexte
d'après-guerre froide peut justifier une certaine réorganisation
de l'espace aérien des différents Etats membres, au profit de la
circulation civile et aux dépens de la circulation militaire. Toutefois,
les objectifs de rentabilité commerciale ne sauraient être
considérés comme prioritaires par rapport aux enjeux de
sécurité.
Il s'agit là d'une question qui se situe au coeur de la
souveraineté des Etats membres. La coordination avec l'OTAN doit
également être assurée. C'est pourquoi il semble difficile
de donner en la matière le pouvoir de décision à la
Commission, même si celle-ci compte s'appuyer sur un comité mixte,
civil et militaire, d'experts représentant les Etats membres.
La nécessaire coordination entre les autorités militaires
nationales pour l'utilisation de l'espace aérien européen ne peut
intervenir que sur une base intergouvernementale, dans le cadre du
« deuxième pilier » de la politique
étrangère et de sécurité commune (PESC).
La délégation a conclu, à l'unanimité, au
dépôt de la proposition de résolution suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le
Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la communication de la Commission au Conseil et au Parlement
européen : programme d'action pour la réalisation du ciel
unique européen, et la proposition de règlement du Parlement
européen et du Conseil fixant le cadre pour la création du ciel
unique européen (E 1851),
Vu la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen
sur la réalisation du ciel unique européen, la proposition de
règlement du Parlement européen et du Conseil sur la fourniture
de services de navigation aérienne dans le ciel unique européen,
la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil
sur l'organisation et l'utilisation de l'espace aérien dans le ciel
unique européen, et la proposition de règlement du Parlement
européen et du Conseil sur l'interopérabilité du
réseau européen de gestion du trafic aérien (E 1852),
Constate qu'il y a urgence à agir, car l'engorgement du ciel
européen s'aggrave et les retards aériens se multiplient ;
Rappelle les orientations du Livre blanc sur la politique européenne des
transports de septembre 2001 pour mettre en oeuvre les mesures destinées
à faire face à la croissance du transport aérien
(compenser la saturation du ciel européen, repenser les capacités
aéroportuaires, s'efforcer de mieux concilier la croissance du transport
aérien et l'environnement, veiller à préserver le niveau
maximum de sécurité) ;
S'inquiète des difficultés rencontrées au niveau national
pour déterminer les besoins futurs de la France en capacités
aéroportuaires compte tenu des équipements existants et demande
une reprise des réflexions concernant l'implantation d'une nouvelle
plate-forme aéroportuaire en région parisienne ;
Souligne que les mesures réglementaires tendant à réaliser
le ciel unique européen ne permettront pas à la France de faire
l'économie d'un investissement accru dans les infrastructures
aéroportuaires existantes ou futures et d'un accroissement du nombre des
contrôleurs aériens ;
Estime que la réalisation du ciel unique européen ne devra pas se
faire au détriment de l'organisation internationale Eurocontrol, dont le
champ de compétence a le mérite de dépasser largement le
territoire de l'Union européen ;
Demande au Gouvernement :
- d'affirmer la nécessité et l'urgence de la création
du ciel unique européen ;
- de définir le schéma structurel à long terme du
système aéroportuaire français dans le cadre
européen, notamment sa zone centrale (France, Allemagne,
Grande-Bretagne, Benelux, Italie et Espagne du Nord) ;
- de confirmer que la réalisation du ciel unique européen
n'implique pas l'obligation pour un Etat membre d'ouvrir à la
concurrence ses services de navigation aérienne ;
- de définir avec la meilleure précision possible le
principe de séparation fonctionnelle entre les autorités de
régulation et les prestataires de services de navigation
aérienne, afin que celui-ci n'empiète pas inutilement sur la
liberté de chaque État membre d'organiser comme il l'entend son
système national de contrôle de la navigation
aérienne ;
- de veiller à ce que la modification du partage de l'espace
aérien européen entre les utilisateurs civils et les utilisateurs
militaires se fasse selon les orientations stratégiques définies
au niveau européen dans le cadre de la politique étrangère
et de sécurité commune.