N° 257

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 8 mars 2000

PROPOSITION DE LOI

visant à instituer un service universel bancaire ,

PRÉSENTÉE

par MM. Gérard LARCHER, Pierre HÉRISSON, François TRUCY,
Paul GIROD et Louis ALTHAPÉ,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Banques et établissements financiers.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Sous l'effet de l'intégration de l'économie française dans la zone euro, le Gouvernement a engagé une réflexion visant à mettre fin à une " exception française " au sein de l'Union européenne : celle conduisant à l'interdiction simultanée de la rémunération des dépôts à vue et de la facturation des chèques, désignée sous l'expression " ni-ni bancaire ".

La mission confiée en septembre 1998 à M. Jolivet, président du Comité consultatif des services bancaires, et au groupe de travail constitué autour de lui s'inscrit dans le cadre de cette réflexion.

Le renoncement au " ni-ni bancaire " n'est pas critiquable en tant que tel. Bien plus, dès lors que ce renoncement apparaît de nature à harmoniser nos règles bancaires avec celles de nos partenaires européens, à consolider notre système financier et, par là même, à renforcer notre économie, son principe doit être approuvé.

Cependant, l'acceptation d'un tel principe ne doit pas nécessairement conduire à l'approbation de ses conséquences les plus extrêmes si sa mise en oeuvre, sans atténuation, aboutit à léser d'autres exigences sociales fondamentales.

Or, l'abandon de la gratuité pour tous les comptes courants , qui semble actuellement envisagé, risque d'accroître le problème de l'accès des plus démunis de nos concitoyens et de leur intégration financière dans notre société.

En effet, les difficultés qu'ils rencontrent pour obtenir des prestations bancaires de base ne vont-elles pas se trouver fortement aggravées quand il leur faudra, en plus, payer pour pouvoir prétendre en bénéficier ? Comment croire que même une faible contribution ne va pas obérer les comptes de personnes dont la vie quotidienne est parfois gérée au franc près ?

En outre, l'instauration de l'obligation de payer son compte risque d'accroître les déséquilibres des services financiers de La Poste. Aujourd'hui déjà, en raison de l'importance de son réseau, de l'esprit de service public qui l'anime mais aussi, il faut le dire, de la très faible propension (à l'exception des Caisses d'épargne et du Trésor) des autres réseaux à accepter des clients peu aisés, La Poste assume aujourd'hui la plus grande part de la "bancarisation" des plus démunis.

Cet accueil représente une charge importante pour l'opérateur public. L'évaluation -qui n'a jamais été démentie- faite dans le rapport sénatorial d'information de 1997 " Sauver La Poste : devoir politique, impératif économique " concluait à un coût annuel de 1,3 milliard de francs , notamment du fait de l'utilisation par ces populations du livret A comme un compte courant. Ce coût représente environ quatre fois le résultat net dégagé par l'opérateur en 1998.

Cette charge d'importance n'est pas compensée à La Poste, dont la mission sociale dans le domaine financier n'est pas juridiquement reconnue comme mission de service public, ni même comme mission d'intérêt général.

La loi contre l'exclusion de 1998 a, certes, instauré un dispositif visant à faire participer tous les établissements financiers à l'accueil des plus pauvres mais ce dispositif, en réalité assez hypocrite, ne change pas grand chose à la situation existante puisqu'il ne vise que les personnes dépourvues de compte et qu'il suppose que quelqu'un à qui l'ouverture d'un compte aura été refusée saisisse la Banque de France pour se voir attribuer une banque.

Dans ces conditions, le paiement généralisé des comptes courants ne pourrait qu'accroître les charges des services financiers de La Poste car, en toute logique, cela conduirait en plus grand nombre encore les populations les plus fragiles à utiliser le livret A postal comme un " compte portefeuille ".

En bref, pour soutenir nos banques, on handicaperait notre poste au moment même où elle va devoir affronter une concurrence de plus en plus vive dans ses métiers de transport du courrier et du colis.

*

* *

La présente proposition de loi a pour objectif d'éviter que la fin du " ni-ni bancaire " entraîne cette double conséquence néfaste que seraient :

- une accentuation de la précarité financière des plus démunis,

- l'accroissement d'une vulnérabilité de notre poste à un moment où elle va être soumise à de très forts chocs concurrentiels.

A cette fin, cette proposition de loi instaure un service universel bancaire garantissant la fourniture gratuite des prestations bancaires de base et en fait reposer le financement sur l'ensemble des établissements offrant ces prestations au public.

Ce faisant, la présente proposition opère trois choix délibérés :

Elle ouvre ce service universel à tous, sans le limiter aux plus démunis, dans le but, d'une part, de ne pas engendrer des phénomènes de " ghetto financier " et, d'autre part, de ne pas construire un mécanisme par trop complexe à gérer.

Elle cantonne le service universel bancaire aux prestations indispensables à l'intégration financière de toutes les couches de la population afin d'en limiter l'intérêt aux seules personnes qui en ont réellement besoin et d'en garantir un coût de fonctionnement raisonnable.

Elle refuse d'y inscrire les chèques autres que les chèques dont le paiement est garanti par l'établissement émetteur (chèque de banque) pour, là encore, éviter d'en accroître inutilement le coût mais, aussi et surtout, pour ne pas favoriser l'emploi d'un " moyen de paiement à risque " par des personnes exposées à des difficultés financières.

La présente proposition cherche ainsi à concilier solidarité sociale et réalisme économique. Elle est inspirée par un souci d'équilibre qui amène notamment à exclure toute rémunération des dépôts inscrits sur les comptes relevant du service universel bancaire.

Ces orientations s'appuient sur les débats menés sur ces questions au Sénat au sein du groupe d'études sur l'avenir de La Poste et des Télécommunications et de la Commission des Affaires économiques et du Plan. Elles se fondent aussi sur les observations recueillies auprès de la plupart des acteurs sociaux concernés au cours de la vingtaine d'auditions conduites de septembre 1999 à février 2000 sur la proposition de service universel bancaire présentée, en juin 1999, dans le rapport d'information " Sauver La Poste : est-il encore temps pour décider ? " fait au nom de la Commission et du groupe d'études précités.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi qu'il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

A compter du 1 er janvier 2001 est institué un service universel bancaire fourni et financé dans les conditions fixées aux articles 2 à 6 de la présente loi.

Article 2

Le service universel bancaire garantit à tous un service bancaire de base de qualité.

Il est fourni gratuitement par les établissements de crédit ainsi que par les services financiers de La Poste et du Trésor public. Sa fourniture exclut la rémunération des dépôts inscrits au compte ouvert à ce titre.

Le service universel bancaire assure à toute personne demandant à en bénéficier le droit à :

- un compte de dépôt ;

- la délivrance à la demande d'un relevé d'identité bancaire ou postal ;

- la domiciliation de virements bancaires ou postaux ;

- l'envoi mensuel d'un relevé des opérations effectuées sur le compte de dépôt ;

- la réalisation des opérations de caisse ;

- l'encaissement de chèques et de virements bancaires ou postaux ;

- un minimum de cinq paiements par prélèvement, titre interbancaire de paiement ou virement bancaire ou postal par mois ;

- une carte de retrait autorisant des retraits hebdomadaires d'espèces dans la limite d'un quart du montant mensuel du revenu minimum d'insertion et un quota mensuel de chèques de banque dont le nombre et les conditions d'attribution sont déterminés par décret ou une carte de paiement dite à autorisation systématique permettant le débit du solde disponible du compte de dépôt dans la limite d'un plafond mensuel également fixé par décret.

Article 3

A compter du 1 er janvier 2001, toute personne physique résidant en France, détentrice d'un compte de dépôt, a le droit de demander la limitation du fonctionnement de ce compte aux seules prestations relevant du service universel bancaire.

L'établissement auquel cette demande est adressée la satisfait sans frais. Il ne peut la refuser ni en tirer motif de résiliation du compte concerné.

A compter du 1 er juillet 2002, seules peuvent exercer ce droit les personnes qui remettent à l'établissement auquel elles ont adressé leur demande une déclaration sur l'honneur attestant qu'elles ne disposent d'aucun autre compte de dépôt.

Article 4

A compter du 1 er janvier 2001, toute personne physique résidant en France, dépourvue d'un compte de dépôt, a droit à l'ouverture d'un tel compte au titre du service universel bancaire dans l'établissement de crédit de son choix ou auprès des services financiers de La Poste ou du Trésor public.

L'ouverture d'un tel compte au titre de service universel bancaire intervient après remise auprès de l'établissement de crédit d'une déclaration sur l'honneur auprès de l'établissement de crédit attestant le fait que le demandeur ne dispose d'aucun compte. En cas de refus de la part de l'établissement choisi, la personne peut saisir la Banque de France afin qu'elle lui désigne soit un établissement de crédit, soit les services financiers de La Poste, soit ceux du Trésor Public.

Les établissements de crédit, les services financiers de La Poste ou du Trésor public peuvent, à compter de la date précitée, limiter les services gratuits liés à l'ouverture d'un compte de dépôt aux seuls services inclus dans le service universel bancaire.

Toute décision de clôture du compte, à l'initiative de l'établissement de crédit désigné par la Banque de France, doit faire l'objet d'une notification écrite et motivée adressée au client et à la Banque de France pour information. Un délai minimum de quarante-cinq jours doit être consenti obligatoirement au titulaire du compte.

Les dispositions qui précèdent s'appliquent aux interdits bancaires.

Article 5

Les coûts imputables aux obligations du service universel bancaire sont évalués chaque année par la Banque de France sur la base d'une comptabilité appropriée tenue par les établissements concernés.

Pour chaque année, cette évaluation est établie au plus tard le 1 er mars de l'année suivante.

Article 6

A compter du 1 er janvier 2001, les établissements de crédit agréés en France ainsi que La Poste et le Trésor public adhèrent à un fonds de compensation destiné à financer les coûts du service universel bancaire défini à l'article 2 de la présente loi.

Sous réserve des dispositions ci-après, le fonds de garantie des dépôts gère le fonds de compensation dans les conditions édictées par les articles 52-1 à 52-13 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit.

Les établissements adhérant au fonds de compensation lui fournissent les ressources financières destinées à compenser le coût du service universel bancaire dans les conditions fixées par un règlement du Comité de la réglementation bancaire et financière. Ce dernier précise la formule de répartition des cotisations annuelles des membres sur la base du montant de leurs dépôts, les modalités du versement des compensations dues aux membres assurant une part des coûts du service universel bancaire supérieure au montant de leur cotisation annuelle, ainsi que les conditions dans lesquelles les cotisations de ces derniers membres peuvent ne pas être appelées par le fonds de compensation.

Le fonds de compensation dispose d'un droit d'accès aux documents justificatifs du calcul du coût du service universel bancaire dont le montant est arrêté par la Banque de France dans les conditions fixées à l'article 5.

Article 7

Au moins une fois tous les quatre ans, à compter de la date d'application de la présente loi, un rapport dressant le bilan du fonctionnement du service universel bancaire est établi par la Banque de France.

Ce rapport est communiqué au Parlement. Il peut proposer des modifications des dispositions en vigueur.

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