Constitution d'une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises
N°
140
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 décembre
1999.
PROPOSITION DE LOI
relative à la constitution d'une
commission de contrôle
nationale
et décentralisée des
fonds publics
accordés aux entreprises,
PRÉSENTÉE
Par M. Guy FISCHER, Mmes Nicole BORVO, Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mme Danielle BIDARD-REYDET, MM. Robert BRET, Michel DUFFOUR, Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR,et Mme Odette TERRADE,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Finances, du
contrôle budgétaire et des comptes économiques de la
Nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une
commission spéciale dans les conditions prévues par le
Règlement.)
Entreprises.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Les
fonds publics dont bénéficient de diverses manières les
entreprises doivent impérativement concourir à atteindre un grand
objectif national de maintien et de créations d'emplois, d'essor des
qualifications et de développement d'investissements utiles à la
création de richesses réelles.
Il convient donc que l'octroi de toute aide publique soit assorti d'une
obligation de résultats concrets, précis et vérifiables en
termes d'emplois et de formation des salariés.
Fort de ce principe, le groupe communiste républicain et citoyen estime
nécessaire la création d'une commission nationale de
contrôle de l'utilisation des fonds publics pour l'emploi et la formation
et d'organismes similaires dans chaque région. C'est l'objet de cette
proposition de loi.
Les politiques d'aides publiques aux entreprises n'ont cessé de se
développer ces dernières années avec un problème
d'efficacité pour l'emploi reconnu très largement. Ainsi,
l'Expansion
(numéro 599 du 10-23 juin 1999) a
évoqué «
la folle machine à distribuer les
aides aux entreprises
» en recoupant les données
révélées par le rapport du député Daniel
Paul, qui dénonce «
la myopie de l'Etat
», et
celles du rapport de l'Inspection générale des finances, qui
stigmatise «
l'inefficacité
» du dispositif.
Selon ces données, ce sont 170 milliards de francs qui ont
été versés aux entreprises en 1998. «
Le
pactole des aides,
selon
l'Expansion, s'élève à
12 000 F par an et par salarié du secteur
privé.
» Sans compter les 105 milliards de francs qui vont
être accordés aux entreprises dans le cadre de la loi sur la
réduction du temps de travail.
Ainsi, ce système a proliféré ces dernières
années sans jamais faire l'objet d'un contrôle susceptible d'en
garantir l'efficacité et la transparence. Ministère,
établissements publics nationaux, régions, départements,
communes distribuent ces aides sans mise en cohérence de leurs
interventions et le plus souvent dans l'opacité. Parallèlement,
le maintien du chômage à un niveau élevé, les
pratiques effectives de suppressions d'emplois dans les entreprises (Michelin,
Daewoo...) et la véritable explosion de la précarité font
naître des doutes sur l'efficacité de ces dispositifs. A juste
titre, les salariés et les citoyens expriment des exigences de meilleure
lisibilité de ces actions et, surtout, des attentes fortes en termes de
résultats.
Ce sont ces constatations qui nous incitent à proposer la
création de commissions de contrôle de l'utilisation des fonds
publics pour l'emploi et la formation au niveau national et régional.
Ces organismes, associant partenaires sociaux, administrations, banques,
institutions publiques et élus, auraient vocation à assurer le
suivi des aides. Ils auraient compétence pour faire des investigations
sur l'utilisation et l'efficacité des aides directes et indirectes
à l'emploi, les exonérations de charges et les bonifications de
taux d'intérêt pour les crédits.
Les missions de ces organismes seraient au nombre de trois :
• Assurer la lisibilité et la transparence du système
d'aides publiques aux entreprises. Il est aujourd'hui indispensable de dresser
un état de l'ensemble des aides aux entreprises en France. C'est une
exigence légitime. Les salariés d'une entreprise ne disposent
pas, aujourd'hui, d'informations relatives aux aides publiques reçues
par leurs employeurs. Un récent rapport parlementaire a
révélé que l'administration elle-même était
incapable d'indiquer les montants totaux d'aides publiques accordées
à des entreprises précises. Il convient de pallier ces carences
en rassemblant des informations au niveau local et national afin de
créer une sorte de fichier national des aides reflétant la
réalité des concours financiers dont bénéficient
les entreprises.
• Assurer un suivi détaillé, concret et régulier
de l'utilisation des aides. Plusieurs administrations ont pour
compétence d'exercer un contrôle sur l'utilisation des fonds
publics. Mais la commission d'enquête parlementaire sur la pratique des
groupes industriels, de services et financiers a montré combien leur
travail est au mieux parcellaire et qu'en aucun cas il n'y a de mise en commun
de leurs études. Ce constat illustre le besoin de faire converger le
travail des différents organismes et de renforcer les moyens
d'enquête sur l'utilisation des aides publiques. La collectivité
doit connaître l'usage qui en est fait et se doter des outils permettant
de vérifier que les engagements pris sont respectés. C'est l'un
des objets des commissions nationales et régionales dont nous demandons
la création. Elles pourraient s'appuyer sur les travaux des instances de
suivi paritaires qu'il convient de créer dans chaque entreprise,
conformément à ce que prévoyait la première loi sur
les trente-cinq heures.
• Renseigner et alerter les pouvoirs publics sur l'impact réel,
en termes d'emploi et de formation, des flux financiers publics au
bénéfice des entreprises ; proposer des modifications, des
suppressions, des suspensions, voire des remboursements des aides, en fonction
des résultats en termes d'emplois, pour des réorientations. Les
bilans, les études et les propositions de ces commissions seront rendus
publics régulièrement, notamment par le recours au service public
de l'audiovisuel. Elles ont également vocation à émettre
des recommandations sur les critères d'attribution, sur les conditions
d'utilisation et sur les façons d'améliorer l'efficacité
sociale des aides. Leurs propositions serviraient de base à une
réforme des aides à l'emploi visant à passer d'une logique
de subsides à une logique d'incitation en créant des fonds
régionaux pour l'emploi, la formation et le développement.
Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons,
Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de loi suivante.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Est constituée une Commission nationale de contrôle de l'utilisation de l'ensemble des fonds publics accordés aux entreprises sous forme d'aides directes, d'exonérations, de bonifications de crédits ou autres facilités financières afin d'en améliorer l'efficacité pour l'emploi et la formation.
Article 2
La
Commission nationale dispose d'un pouvoir d'évaluation et de
contrôle de l'ensemble des aides publiques accordées aux
entreprises, telles que définies à l'article 1er. La Commission
procède à une évaluation régulière de
l'impact des aides à partir d'un critère de progression
quantitative de l'emploi associé à des éléments
qualitatifs qui intègrent le niveau des rémunérations
salariales, les qualifications, la qualité des contrats de travail et
les efforts de formation.
Pour toute attribution d'aides nouvelles, la commission peut être
amenée à formuler des recommandations en tenant compte de trois
paramètres :
- l'évolution de l'emploi dans l'entreprise considérée et
dans ses divers établissements au regard des besoins de créations
d'emplois dans le bassin d'emploi auquel elle appartient ;
- les engagements formulés par les chefs d'entreprises pour
prétendre bénéficier des aides ;
- les objectifs chiffrés de créations d'emplois que les
salariés et leurs organisations représentatives avanceraient sur
invitation de la commission.
La Commission nationale donne un avis sur l'utilité de poursuivre, de
fractionner, d'élever, d'interrompre ou de modifier les aides, les
exonérations, les bonifications de crédits et autres
facilités financières accordées.
La Commission présente un rapport annuel sur l'utilisation des fonds
publics accordés aux entreprises, leurs résultats et
l'appréciation de leurs modalités d'octroi, ainsi que des
recommandations aux plans national et de chaque région. Elle formule des
avis et des recommandations à l'intention des entreprises et des
institutions concernées qui ont l'obligation de les examiner. Elle peut
notamment recommander la suspension, la modification des modalités
d'attribution, la suppression ou le remboursement des fonds publics
accordés.
Les résultats de l'évaluation et du contrôle ainsi que les
avis et interpellations sont portés régulièrement à
la connaissance du public, notamment par le moyen du service public de
l'audiovisuel.
Article 3
La
Commission nationale est composée dans des conditions
précisées par décret d'un représentant de chaque
groupe politique de l'Assemblée nationale et du Sénat, de
représentants de l'Etat désignés par les ministres
chargés de l'économie et des finances, de l'industrie et de
l'emploi, de représentants des organisations syndicales de
salariés représentatives au plan national, des associations de
chômeurs, des organisations patronales et de personnalités
qualifiées issues de la Cour des comptes, de la Commission bancaire et
de la Banque de France.
La commission élit annuellement son président en son sein.
La Commission est assistée, en tant que de besoin, de
délégations régionales dont la composition s'inspire de
celle de la commission nationale et comprenant des élus des
collectivités territoriales. Elle s'appuie également sur les
travaux des instances de suivi paritaires créées dans chaque
entreprise.
Article 4
La
Commission nationale peut être saisie par un de ses membres.
Elle peut être saisie par un comité d'entreprise (ou à
défaut par au moins un délégué du personnel), par
une organisation syndicale représentative des salariés, par un
représentant de l'Etat (préfet, directions
générales et déconcentrées des services de l'Etat),
par la direction d'une entreprise, par un parlementaire, par un
président de conseil régional, de conseil général
ou un maire.
Outre l'exercice permanent des missions qui lui sont confiées, la
Commission peut être sollicitée ponctuellement par les parties
habilitées à la saisir afin d'engager un travail
d'évaluation, de contrôle, d'information et d'interpellation sur
un dossier thématique ou d'entreprise plus précis.
Article 5
La
Commission reçoit communication de tous renseignements susceptibles de
faciliter sa mission auprès des institutions et organismes gestionnaires
et distributeurs des aides. Elle est habilitée à se faire
communiquer tous documents de service de quelque nature que ce soit. Aucun
caractère de confidentialité ne peut justifier une
rétention d'information.
La commission est habilitée à se faire assister pour ses
investigations par tous les organismes ou institutions locaux, régionaux
et nationaux qui disposent d'un pouvoir d'information susceptible
d'éclairer sur la situation réelle des entreprises
concernées comme sur la nature des liaisons qu'elles entretiennent avec
leur maison mère, leurs filiales, les donneurs d'ordres, les
sous-traitants, les clients, les banques et institutions
financières.