Modification de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de Justice de la République
N° 61
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 novembre 1999
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
tendant à modifier la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre
1993 sur la
Cour de Justice de la République
,
PRÉSENTÉE
Par M. Jean-Jacques HYEST,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Justice. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le procès dit « du sang contaminé » a
révélé certains dysfonctionnements de la Cour de Justice
de la République liés certes à la complexité du
dossier mais aussi à un certain nombre de lacunes procédurales
qui ont conduit beaucoup d'observateurs à critiquer vivement le
déroulement de la procédure, allant jusqu'à mettre en
cause l'existence même de la CJR.
Il y a lieu de rappeler que le principe de séparation des pouvoirs a
jusqu'à présent interdit à l'autorité judiciaire de
juger les responsables de l'exécutif pour les crimes et délits
commis dans l'exercice de leurs fonctions. La Haute Cour de Justice
prévoyait même l'irresponsabilité pénale du
Président de la République et des membres du Gouvernement, sauf
cas de haute trahison. Dans ce cas, ce sont des parlementaires qui sont juges.
Devant la nécessité de modifier cet état de choses, le
constituant a décidé en 1993 de confier à une juridiction
exceptionnelle (mais non d'exception) le soin de juger les membres du
Gouvernement pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs
fonctions. Outre l'évidente obligation de pouvoir filtrer les plaintes
et de pouvoir procéder à une instruction sereine (et
collégiale) par de hauts magistrats, la composition mixte de cette
juridiction, même si elle pourrait être modulée, demeure la
meilleure solution.
Une modification du nombre de juges parlementaires et magistrats du
siège, ainsi que la possibilité pour la Cour de Justice de la
République de pouvoir juger les coauteurs et complices des ministres
nécessiteraient une révision constitutionnelle. Elle demande une
réflexion d'ensemble. C'est pourquoi il a paru plus utile de ne proposer
que des améliorations de la loi organique, indispensables dans la
perspective de l'examen des dossiers dont la Cour de Justice de la
République ne manquera sans doute pas d'être saisie.
Cette proposition de loi constituée de 13 articles propose un certain
nombre de modifications substantielles tant en matière
d'organisation de la Cour de Justice de la République que dans le
domaine de la procédure.
L'organisation de la Cour de Justice de la République doit être
réformée, tout d'abord dans sa composition et son
fonctionnement.
Il est proposé ici de substituer l'expression « magistrats du
siège hors hiérarchie à la Cour de cassation »
à celle de « conseillers à la Cour de
cassation » afin d'harmoniser les appellations puisque la loi
désigne les membres du Conseil d'Etat par « conseillers
d'Etat » et ceux de la Cour des comptes par « conseillers
maîtres » ; l'expression « conseillers à
la Cour de cassation » permet en outre d'écarter les
candidatures de présidents de chambre et de rendre le vote exempt de
considérations hiérarchiques lors de l'élection.
D'ailleurs, le président de chambre, élu président de la
Cour de Justice de la République ne pourrait pas, en cas de pourvoi,
siéger à l'assemblée plénière de la Cour de
cassation dont il est membre de droit.
Second point, le greffier en chef devra être désigné par
le président de la Cour de Justice de la République, ceci dans le
but d'assurer l'autonomie du greffe par rapport à celui de la Cour de
cassation.
Enfin, une modification a été apportée à l'article
10 de la loi de 1993 visant à permettre d'obtenir du ministère de
la justice une dotation en personnel.
Elle doit être également réformée dans le
domaine de la procédure
.
En premier lieu, au niveau de la mise en mouvement de l'action publique, cette
proposition de loi propose de compléter le second alinéa de
l'article 13 de la loi (qui précise qu'aucune constitution de partie
civile n'est possible) en ouvrant la possibilité à une personne
qui se prétend victime d'intervenir à l'instruction et à
l'audience de jugement en bénéficiant des droits qui s'attachent
à la qualité de partie civile. Néanmoins, elle ne pourra
demander réparation de dommages, si ce n'est en s'adressant aux
juridictions de droit commun. Elle précise également la
nécessité pour la commission des requêtes de motiver ses
décisions. La motivation est exigée pour les actes
administratifs, il ne saurait être dérogé à cette
obligation alors que les victimes sont en droit de connaître les raisons
pour lesquelles leur requête est classée ou déclarée
irrecevable.
En second lieu, au niveau de la procédure devant la juridiction
d'instruction de la Cour de Justice de La République, cette proposition
de loi vient accorder aux coauteurs et complices, lors de leur audition par la
commission d'instruction, les droits des personnes mises en examen ;
Ainsi, en cas de poursuites séparées, ils pourront
bénéficier des droits de la défense lors de leur audition
par la commission d'instruction. Elle précise également que les
victimes auront les mêmes droits que les parties civiles au cours de
l'instruction.
En dernier lieu, au niveau des débats et du jugement, il est
prévu que les coauteurs, les complices et les victimes pourront
être assistés de leurs avocats à l'audience. Ces nouvelles
dispositions concernant l'audition des coauteurs, complices et victimes seront
applicables en cas de supplément d'information.
Une précision est également apportée concernant la
distinction entre les termes « accusé » (d'un crime)
et « prévenu » (d'un délit), et fixe le vote
à la majorité des deux tiers. Ainsi que sur le fait que
l'inéligibilité pourra être prononcée, même
dans les cas où l'incrimination ne l'a pas prévue. Elle pourra
être substituée à la peine d'emprisonnement en
matière correctionnelle. Quant à la durée, ce sont les
dispositions de l'article 131-26 concernant l'interdiction des droits civiques,
civils et de famille qui ont été repris.
Enfin, pour clore ce chapitre une disposition a été
apportée à l'article 33 de la loi tendant à écarter
tous moyens dilatoires.
Concernant les dispositions diverses
: cette proposition de loi
apporte quelques modifications quant au lieu de la tenue des audiences
soulignant le fait qu'il est nécessaire de disposer d'une infrastructure
qui n'existe qu'au Palais de Justice, et à la tenue des membres de la
CJR, sans préciser la couleur de la robe.
La Cour de Justice de la République est utile et nécessaire,
mais il faut lui donner les moyens de fonctionner. Ces modifications
proposées à la lumière de l'expérience vont dans le
sens d'une meilleure articulation des dispositions de la procédure
suivie devant cette juridiction.
C'est pourquoi je vous propose, Mesdames et Messieurs, chers collègues,
d'adopter la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
Article 1er
Au
second alinéa de l'article 1
er
de la loi organique n°
93-1252 du
23 novembre 1993 sur la Cour de Justice de la République,
les mots : « magistrats du siège hors hiérarchie
à la Cour de cassation par l'ensemble de ces magistrats »,
sont remplacés par les mots « conseillers à la Cour de
cassation par l'ensemble des magistrats du siège hors hiérarchie
de la cour ».
Article 2
L'article 9 de la loi n° 93-1252 du 23 novembre 1993
précitée est rédigé comme suit :
« Art.9
.- Le greffier en chef de la Cour de Justice de la
République est désigné par le Président de cette
cour parmi les greffiers en chef des 1
er
et 2
ème
grades de la Cour de cassation ayant fait acte de candidature ».
Article 3
A l'article 10 de la loi n° 93-1252 du 23 novembre 1993 précitée, les mots : « le greffier en chef de la Cour de cassation » sont remplacés par les mots : « le ministère de la justice ».
Article 4
Au premier alinéa de l'article 11 de la loi n° 93-1252 du 23 novembre 1993 précitée, les mots : « les magistrats du siège hors hiérarchie à la Cour de cassation par l'ensemble de ces magistrats » sont remplacés par les mots : « les conseillers à la Cour de cassation par l'ensemble des magistrats du siège hors hiérarchie de la cour ».
Article 5
Au
premier alinéa de l'article 12 de la loi n° 93-1252 du 23 novembre
1993 précitée, les mots : « magistrats du
siège hors hiérarchie à la Cour de cassation »
sont remplacés par les mots : « conseillers à la
Cour de cassation ».
Au second alinéa du même article, les mots : « les
magistrats » sont remplacés par les mots :
« les conseillers ».
Article 6
Le
deuxième alinéa de l'article 13 de la loi n° 93-1252
du
23 novembre 1993 précitée est ainsi
rédigé :
« L'action publique ne peut être mise en mouvement par voie de
constitution de partie civile. La personne qui se prétend victime peut
toutefois intervenir, mais seulement pour corroborer l'action publique lorsque
celle-ci est engagée ».
Article 7
Le
premier alinéa de l'article 14 de la loi n° 93-1252 du 23 novembre
1993 précitée est complété par une phrase ainsi
rédigée :
« Elle statue par une décision motivée. »
Article 8
L'article 21 de la loi n° 93-1252 du 23 novembre 1993
précitée est complété par deux alinéas
ainsi rédigés :
« Les personnes impliquées dans une autre procédure
pour des faits connexes, ou ayant fait l'objet d'une décision de renvoi
ou de transmission des pièces, bénéficient lors de leur
audition des droits reconnus aux personnes mises en examen.
« Les personnes qui se prétendent victimes et qui sont
intervenues dans la procédure bénéficient du statut de
partie civile pour corroborer l'action publique. »
Article 9
L'article 26 de la loi n° 93-1252 du 23 novembre 1993
précitée est complété par un alinéa ainsi
rédigé :
« Les dispositions des deuxième et troisième
alinéas de l'article 21 de la présente loi sont également
applicables lors des débats. »
Article 10
L'article 31 de la loi n° 93-1252 du 23 novembre 1993 précitée est complété par les mots : « et par les deuxième et troisièmes alinéas de l'article 21 ».
Article 11
L'article 32 de la loi n° 93-1252 du 23 novembre 1993 précitée est ainsi modifié :
I.- Le
premier alinéa est ainsi modifié :
a) A la fin de la première phrase, après les mots :
« culpabilité des accusés » sont
insérés les mots : « ou des
prévenus ».
b) Dans la deuxième phrase, les mots : « chaque
accusé » et « chef d'accusation » sont
respectivement remplacés par les mots : « chacun d'entre
eux » et « chef de poursuites ».
c) A la fin de la troisième phrase, les mots :
« majorité absolue » sont remplacés par les
mots : « majorité des deux tiers ».
II.- Au deuxième alinéa, après les mots :
« si l'accusé » sont insérés les
mots : « ou le prévenu ».
III.- Le même article est complété par un alinéa
ainsi rédigé :
« L'inéligibilité pourra être prononcée,
dans tous les cas en matière correctionnelle, à titre de peine
complémentaire ou de peine principale pour une durée qui ne
saurait excéder cinq ans. Elle pourra également être
prononcée en matière criminelle, à titre de peine
complémentaire pour une durée de 10 ans. »
Article 12
Au premier alinéa de l'article 33 de la loi n° 93-1252 du 23 novembre 1993 précitée, après les mots : « les arrêts de la Cour de Justice de la République » sont insérés les mots : « , à l'exception de ceux statuant sur les causes de récusation, ».
Article 13
Après l'article 35 de la loi n° 93-1252 du 23
novembre
1993 précitée, il est ajouté un article ainsi
rédigé :
« Art. 36
.- La Cour de Justice de la République tient
ses audiences au palais de justice de Paris.
« Le costume des membres de la Cour de Justice de la
République est celui des conseillers à la Cour de
cassation. »