N°514
SENAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 18 juin 1998.
PROPOSITION DE LOI
visant à conférer une plus forte reconnaissance au vote blanc.
PRÉSENTÉE
Par M. Bernard JOLY,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Elections et référendums. - Code électoral.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Les recherches effectuées sur le vote blanc prouvent que si la tentation de l'utiliser n'est pas un fait récent, en revanche, l'idée de mieux reconnaître sa place dans les mécanismes électoraux connaît un regain d'actualité.
Nombreux sont les parlementaires, députés ou sénateurs, qui, tous partis confondus, ont manifesté de l'intérêt pour cette question, si l'on en croit les propositions de loi, amendements ou questions au Gouvernement que Ton peut aujourd'hui recenser.
Pour autant, aucune de ces multiples démarches n'a jamais été suivie d'effet.
En pratique, voter blanc, c'est quitter son domicile pour se rendre aux urnes, avec en poche un morceau de papier de la taille d'un bulletin de vote, que l'on aura préalablement découpé sur une feuille de papier blanc.
Il est important de préciser que c'est cette démarche et uniquement celle-ci qui fera dire de celui de nos concitoyens ayant agi ainsi qu'il a voté blanc.
Le ministre de l'Intérieur a indiqué - dans une réponse à une question écrite - que les « tendances [qui conduisent un électeur à voter blanc] peuvent aussi s'exprimer en glissant simplement dans l'urne une enveloppe vide, ce qui est d'ailleurs un moyen plus expéditifet utilisé beaucoup plus fréquemment dans la mesure où des bulletins blancs ne sont pas mis à la disposition des électeurs dans les bureaux de vote ».
Ainsi, nombreux sont les électeurs convaincus d'avoir voté blanc alors qu'en fait, et sans le savoir, ils ont, en s'abstenant de glisser un bulletin dans l'enveloppe, entaché leur suffrage de nullité.
Aussi, pour une élection donnée, si l'on pouvait déterminer la part de suffrages nuls correspondant, dans l'esprit de leurs auteurs, à un vote blanc, que l'on additionne cette part au nombre de bulletins effectivement blancs, on s'apercevrait alors que le vote blanc est une réalité qu'il n'y a pas lieu de minimiser.
Pour une réelle perception du phénomène, il conviendrait également de prendre en compte le nombre de ceux qui, abstentionnistes, se seraient déplacés pour voter blanc s'ils avaient eu l'assurance que leur suffrage fût pris en considération.
Enfin, on ne saurait oublier ceux de nos concitoyens qui, par dépit, s'expriment en faveur d'un candidat ou d'une liste plutôt que de voter blanc, conscients que le fait d'agir ainsi n'aurait aucune incidence.
Un récent sondage permet d'illustrer ces différents aspects.
Si le code électoral offrait aux Français la possibilité de voter blanc, 7 % d'entre eux, essentiellement les jeunes, les cadres supérieurs et les professions libérales, agiraient ainsi en toute hypothèse.
Cette étude a également permis de souligner que, lors de l'élection présidentielle de 1995, 10 à 25 % des électeurs auraient voté blanc si ce type de suffrage avait été pris en compte.
Enfin, on apprend que 60 % des Français sont favorables à la mise à disposition de bulletins blancs dans les bureaux de vote (I), à l'établissement d'un décompte spécifique de ces bulletins (II) et, enfin, à leur prise en compte dans le nombre des suffrages exprimés (III).
I. - LA MISE A DISPOSITION DE BULLETINS BLANCS
(articles 1 er et 5)
Il convient de préciser que le vote blanc n'a pas d'existence juridique. Tout au plus, le bulletin blanc en a-t-il une.
C'est un décret du 2 février 1852, repris dans la loi du 29 juillet 1913, qui consacre l'apparition du bulletin blanc sans pour autant lui donner de signification précise. Le bulletin blanc est un bulletin dénué de toute inscription, réalisé sur du papier de couleur blanche.
Le bulletin blanc n'a pas d'existence propre et ne se définit donc que par rapport au bulletin nul dont il diffère à peine.
L'article L. 66 du code électoral n'a pas davantage cherché à préciser la portée du vote blanc. On y apprend seulement qu'il n'entre pas en compte dans le résultat du dépouillement. A la lecture de cette disposition, on comprend fort bien que le bulletin blanc n'a pas plus de valeur que le bulletin nul, non seulement parce que leur sort est identique, mais surtout parce qu'au sein même de l'alinéa qui dresse la liste des causes empêchant la prise en compte de ces suffrages aucune distinction n'est opérée parmi cette énumération.
Pourtant, une lecture attentive du code électoral, notamment de l'article L. 57-1 prévoyant l'utilisation de machines à voter, permet de mettre en évidence le particularisme du vote blanc. Cette disposition précise en effet que lorsque les suffrages sont exprimés à l'aide d'une machine à voter, cette dernière doit permettre l'expression du vote blanc.
La présence de cette distinction au sein du code a conduit de nombreux parlementaires à y trouver un argument en faveur de la reconnaissance du vote blanc. Cette disposition n'est pas au demeurant sans entraîner des conséquences néfastes sur l'égalité des citoyens face aux opérations de vote puisqu'avec un tel système le vote nul disparaît de certains bureaux de vote seulement.
Quoi qu'il en soit, la présence de cette mesure dans le code électoral ouvre la voie à une reconnaissance du vote blanc.
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Le vote blanc manifeste le souci de son auteur de satisfaire à son devoir de citoyen en participant au scrutin. Il s'agit d'un acte délibéré puisqu'il nécessite une préparation matérielle. En cela, la démarche effectuée par celui qui vote blanc est bien plus aboutie que celle opérée par celui qui, jusqu'au dernier moment, hésite à se prononcer en faveur d'un candidat.
L'équité constitue dès lors l'argument le plus simple et le plus parlant en faveur de la reconnaissance du vote blanc.
Pourquoi la voix de celui qui opte pour un procédé d'expression démocratique reconnu, même partiellement, par le code électoral, aurait-elle moins de valeur que la démarche de celui qui opère un choix parmi les différentes candidatures ?
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Il est donc nécessaire que des bulletins blancs puissent être mis à la disposition des électeurs dans les bureaux de vote : c'est l'objectif de l'article 1 er de la proposition de loi.
Cette mesure a le mérite de la franchise. Il existe en effet une certaine hypocrisie à reconnaître officiellement l'existence de bulletins blancs tout en exigeant des électeurs qu'ils les constituent eux-mêmes.
II - LA NÉCESSITÉ D'OPÉRER UN DÉCOMPTE PARTICULIER
(articles 2 et 4)
Le sort aujourd'hui réservé aux bulletins blancs est trop équivoque pour demeurer ainsi. En effet, on distingue les bulletins parfaitement valables - lesquels désignent un candidat - de ceux qui ne le sont absolument pas - les bulletins nuls.
Au coeur de ce schéma pourtant très simple, on parvient mal à identifier le rôle reconnu aux bulletins blancs :
- des suffrages exprimés ils en ont presque la valeur puisque partiellement reconnus par la loi ;
- pourtant, ils connaissent le sort réservé aux bulletins nuls puisqu'ils ne sont pas décomptés dans le résultat du scrutin.
L'existence de seuils de représentativité minimale exigés lors des élections législatives pour participer au second tour, ou, lors des élections cantonales pour l'emporter dès le premier tour semble de nature à plaider en faveur du vote blanc.
Ces seuils, respectivement de 12,5 % et 25 %, sont déterminés non pas en fonction du nombre de suffrages exprimés mais au regard du nombre d'électeurs inscrits. Cela signifie donc que, dans cette hypothèse, on s'attache davantage à la fidélité de la représentation plus qu'à son effectivité : abstentions, votes nuls et votes blancs sont en effet pris en considération.
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Par ailleurs, il semble délicat d'exiger de chaque citoyen qu'il soit systématiquement en mesure d'exprimer une opinion à chaque fois qu'on le lui demande.
Cette remarque est vraie des élections visant à la désignation de responsables politiques ; elle est encore plus vraie du référendum.
Qu'il s'agisse de Maastricht en 1992 ou de la Nouvelle-Calédonie en 1988, il est certain, si l'on en croit les taux d'abstention enregistrés, que beaucoup de Français n'avaient pas d'opinion particulière sur ces questions. Plus troublant encore, nombreux sont ceux pour qui ni le « oui », ni le « non » ne reflétait la réalité de leur opinion.
On peut, par exemple, être favorable à la construction européenne, sans adhérer pour autant à l'ensemble des dispositions du Traité de Maastricht. Dans cette circonstance, le vote blanc est certainement le mode d'expression qui reflète le mieux la pensée de ces citoyens.
Cette indécision ou ce refus d'opérer un choix relève simplement d'un facteur humain en vertu duquel un citoyen n'a pas d'opinion sur un thème précis ou ne souhaite pas apporter son soutien à l'un des termes de l'alternative qui lui est proposée : le vote blanc est alors le seul mode d'expression qui paraisse envisageable. C'est exactement ce qui se produit au Sénat ou à l'Assemblée nationale lorsque des parlementaires décident de s'abstenir sur tel ou tel sujet.
C'est aussi ce qui conduit les sondeurs à proposer à leurs interlocuteurs de ne pas se prononcer lorsque, régulièrement, certains hebdomadaires réalisent une étude sur la cote de confiance des personnalités politiques.
Enfin, le dernier élément qui milite en faveur de la reconnaissance du vote blanc est politique. Il s'agit en effet de la lutte contre l'abstentionnisme ou la tentation des extrêmes.
D'une part, après chaque élection, on assiste à un certain affolement de la classe politique qui s'émeut de la progression du taux d'abstention.
Or, dans les faits, l'abstention s'apparente effectivement au vote blanc puisqu'aucun de ces deux procédés n'a d'incidence sur le résultat du scrutin.
Il faut en conclure que les raisons qui entraînent une bonne partie des citoyens à ne pas se déplacer lors du vote sont, pour nombre d'entre eux, analogues à celles qui conduisent certains à voter blanc.
Leur raisonnement est alors le suivant : « Pourquoi se déplacer pour voter blanc quand s'abstenir provoque les mêmes effets ? »
La reconnaissance du vote blanc aurait incontestablement pour conséquence une baisse du taux de l'abstention, ce qui ne peut être que favorable à la libre expression de la démocratie.
D'autre part, il est patent que les scores enregistrés par les partis extrémistes ne reflètent pas la réalité de l'opinion publique, le facteur «sanction» intervenant pour une large part dans le résultat de ces formations.
Nul ne saurait priver les électeurs du droit souverain de sanctionner la classe politique traditionnelle et républicaine. Il est en revanche préoccupant de relever que ce rejet profite à ceux qui n'adhèrent pas aux valeurs de la démocratie.
Le « vote-sanction » ne consiste pas à apporter son soutien à un parti, mais plutôt à priver les autres partis de ce soutien. Il semble donc parfaitement illégitime que certaines formations puissent se prévaloir d'un apport de voix qui, dans la réalité, ne leur incombe qu'indirectement.
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L'ensemble de ces éléments plaide en faveur d'une officialisation du vote blanc. Cette proposition de loi propose d'instituer un baromètre de la contestation ou de l'indécision. Un tel aménagement permettrait de prouver aux Français qui le choisiraient qu'ils sont entendus. Non seulement beaucoup d'abstentionnistes retrouveraient le chemin des urnes, mais, de plus, certains électeurs cesseraient de soutenir, souvent par dépit, des formations politiques avec lesquelles ils n'ont pas de lien véritable.
III - L'IMPOSSIBILITÉ D'ASSIMILER LES BULLETINS BLANCS AUX SUFFRAGES EXPRIMÉS
(article 3)
La diversité des raisons qui conduisent certains électeurs à choisir le vote blanc s'oppose à ce qu'il puisse être pris en compte parmi les suffrages exprimés. On peut résumer ces motivations en trois courants principaux :
1. Une forme d'abstention civique, où l'électeur manifeste son désintérêt pour la chose publique, sans pour autant renoncer à ses prérogatives de citoyen.
2. Une forme de « vote-sanction », en cela comparable aux suffrages exprimés en faveur des extrêmes.
3. Enfin, une forme de « vote-neutralité » ou « vote-indécision », par laquelle un électeur ne souhaite pas, ou se trouve empêché, pour une élection donnée, de départager les candidats en lice.
Au nom de quoi pourrait-on regrouper l'ensemble de ces tendances ? Rassembler sous une même bannière des électeurs aux motivations différentes, voire opposées, semble particulièrement inapproprié.
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D'autres raisons, essentiellement d'ordre juridique, s'opposent à une assimilation pure et simple.
C'est le cas de l'élection du Président de la République. En effet, aux termes de l'article 7 de la Constitution, celui-ci est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés, que ce soit au premier ou au second tour. En y intégrant les bulletins blancs, on pourrait se trouver dans une situation étrange dont l'issue serait l'impossibilité de désigner le candidat élu après le second tour.
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Dans un autre domaine, l'admission du vote blanc aurait pour conséquence une augmentation considérable du nombre de seconds tours dans le cas d'élections au scrutin majoritaire à deux tours.
Dès 1910, Eugène Pierre, dans son supplément au traité de droit politique électoral et parlementaire soulignait : « II y aurait injustice à permettre que l'électeur qui n'a pas su ou qui n'a pas voulu faire un choix parmi les candidats présentés vint entraver l'exercice régulier du droit des autres électeurs. Si les bulletins blancs entraient en compte dans le résultat du dépouillement et par suite dans le calcul de la majorité absolue, il dépendrait des électeurs qui n'auraient pas d'opinion ou qui n'en auraient exprimé aucune de rendre obligatoire un second tour de scrutin. »
De plus, il pourrait conduire à des impasses juridiques dans l'hypothèse où le nombre de bulletins blancs représenterait la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour ou la majorité relative au second.
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En revanche, dans les élections à la proportionnelle, la prise en compte du vote blanc n'aurait pas d'incidence pour ce qui concerne la représentation des partis politiques traditionnels. Les sièges sont en effet attribués à des listes, proportionnellement au nombre de voix obtenues et, en tout état de cause, il ne peut être envisagé de laisser des sièges vides qui correspondraient aux votes blancs.
Cependant, l'introduction du vote blanc dans ce type d'élection provoquerait certainement la disparition des formations politiques mineures. Ces dernières, en effet, ne seraient souvent plus en mesure d'atteindre le seuil de représentativité minimale de 5 % fixé par le code électoral à l'article L. 262 pour les élections municipales, L. 338 pour les élections régionales et par l'article 3 de la loi du 7 juillet 1977 pour les élections européennes.
Pour l'ensemble de ces raisons, il ne serait pas raisonnable d'assimiler le vote blanc à un suffrage exprimé. Pour autant, il ne paraît pas souhaitable de le rejeter, sans rechercher une solution intermédiaire de nature à satisfaire ceux qui sont légitimement favorables à ce mode d'expression démocratique. Tel est l'objectif poursuivi par la présente proposition de loi.
Sans opérer un bouleversement néfaste du paysage politique, la mesure permettra de rapprocher les citoyens de leurs représentants. Ces derniers connaîtront en effet avec précision les forces et les faiblesses de leur électorat et seront ainsi amenés à faire preuve de plus d'ouverture et de compréhension auprès de l'ensemble de leurs administrés.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
Le premier alinéa de l'article L. 58 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le maire veille également à ce que des bulletins blancs soient déposés sur cette table. »
Article 2
Le début du premier alinéa de l'article L. 66 du même code est ainsi rédigé :
« Les bulletins ne contenant pas de désignation suffisante... (le reste sans changement). »
Article 3
L'article L. 66-1 du même code est rétabli dans la rédaction suivante :
« Art. L 66-1. - Les bulletins blancs n'entrent pas en compte pour la détermination du nombre de suffrages exprimés.
« Néanmoins, ils sont annexés au procès-verbal et font l'objet d'un décompte spécifique. »
Article 4
I. - Après l'article L. 66-1 du même code, il est inséré un article L. 66-2 ainsi rédigé :
« Art. L 66-2. - Les opérations de dépouillement achevées, le président donne lecture à haute voix des résultats obtenus par chaque liste ou chaque candidat, ainsi que du nombre de bulletins blancs. Ces informations sont aussitôt enregistrées par le secrétaire. »
II. - En conséquence, la dernière phrase du dernier alinéa de l'article L. 65 du même code est supprimée.
Article 5
A l'article L. 69 du même code, après les mots : « des enveloppes », sont insérés les mots : « et des bulletins blancs »