N°320
SENAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 mars 1998.
PROPOSITION DE LOI
relative à l'accès à l' activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi,
PRÉSENTÉE
Par Mmes Nicole BORVO, Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mme Danielle BIDARD-REYDET, MM. Jean DERIAN, Michel DUFFOUR, Guy FISCHER, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGES, Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Pian, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Taxis.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Rompant avec la situation ancienne, trois modes d'exploitation du taxi coexistent depuis la réforme mise en place par la loi du 20 janvier 1995 1 ( * ) , relative à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi :
1° Par des travailleurs indépendants, propriétaires de leur véhicule, titulaires des autorisations administratives obligatoires, qui conduisent et gèrent eux-mêmes leur véhicule.
Ils sont inscrits au registre des métiers et ont le statut de travailleurs indépendants.
2° Par des conducteurs liés par un contrat de travail à une société exploitante, propriétaire d'un certain nombre de véhicules et titulaire des autorisations requises. Ces salariés relèvent des dispositions du code du travail et de la convention collective du taxi.
3° Par des conducteurs ayant un contrat de location avec un exploitant, généralement une société dite de location, propriétaire des véhicules et titulaire des licences administratives.
Les chauffeurs de taxis qui se voient imposer cette forme de travail se trouvent de fait sans statut social. Ils ne sont pas des artisans au sens du décret du 10 juin 1983, pas des travailleurs indépendants au sens des réglementations en vigueur, pas des salariés sauf à faire requalifier leur contrat par la juridiction compétente.
Un problème social important se pose de ce fait, problème qui a, par ailleurs, des répercussions négatives au plan économique, au plan de l'exercice de cette profession indispensable au service du public.
C'est l'objet de la présente proposition.
Il existe, selon les statistiques officielles, plus de 42 000 licences de taxis pour l'ensemble du territoire national. Elles sont délivrées par les préfets et les maires, en application de la législation en vigueur.
L'autorisation de licence s'analyse sur le plan économique en autorisation d'exploitation d'une prestation de transport individuel au service du public et, sur le plan social, en droit au travail.
Ainsi, sur 14 900 licences de taxis délivrées à Paris :
- 8 400 sont exploitées par des travailleurs indépendants ;
- 6 000 le sont en location ;
- 831 sont exercées par des salariés et certaines font l'objet de doubles services, c'est-à-dire que certains de ces véhicules roulent de jour et de nuit.
Cela se concrétise par un nombre supérieur de chauffeurs salariés.
Cette proposition se retrouve, sinon au plan national, du moins dans les grandes agglomérations.
La place prise par les sociétés de taxis pratiquant la location révèle l'importance de la crise qui secoue non seulement cette partie de la profession mais l'ensemble des chauffeurs de taxis, notamment les travailleurs indépendants touchés par la baisse des recettes, recettes qui conditionnent leurs revenus.
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Un court rappel historique est nécessaire. La location a existé avant 1936.
C'est la convention collective des taxis de la Seine du 24 juin 1936, qui y a mis fin en établissant un statut collectif de travail aux chauffeurs.
Une loi du 13 mars 1937, ayant pour objet l'organisation de l'industrie du taxi au plan national, a donné une portée générale à l'économie du texte conventionnel et aux revendications du Syndicat unifié portées par la Chambre syndicale des cochers et chauffeurs de voitures de place de la Seine.
Depuis cette date jusqu'aux années soixante-dix, la branche du taxi a trouvé un certain équilibre, malgré les difficultés économiques, les difficultés de circulation et leurs conséquences.
La situation matérielle et les conditions de travail des chauffeurs de taxis se sont détériorées : depuis 1973, après la réforme du 2 novembre 1972 relative à l'organisation du taxi, le nombre de chauffeurs «hors convention collective» n'a cessé de croître. Cela a eu pour conséquence le non-respect des temps de repos, qui a bloqué le processus des embauches et s'est répercuté sur la continuité du service des taxis.
Par un curieux sophisme, l'ordonnance du 2 février 1973 qui interdisait formellement aux loueurs de taxi « de prêter ou louer leurs autorisations de circuler, de stationner et de charger sur la voie publique, sous peine de retrait desdites autorisations » (art. 10) ne considérait pas comme location, la location de taxis par un loueur des catégories B et C 2 ( * ) .
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La loi du 20 janvier 1995 est muette sur le contrat de location lui-même comme, sur les formes d'exploitation.
Elle contient pourtant une disposition en son article 4, qui porte atteinte à l'égalité dont devrait bénéficier sociétés exploitantes de taxis et artisans, pouvant offrir leurs véhicules à location, sur la durée minimale d'exploitation de l'autorisation.
L'article 10 du décret 95-935 du 17 août 1995 définit les mesures de police administrative qui régissent le régime de la location. Il renvoie à l'appréciation souveraine de l'autorité compétente pour délivrer les autorisations de stationnement son droit de subordonner, dans l'intérêt de la sécurité et de la commodité de la circulation sur les voies publiques, la délivrance de l'autorisation sollicitée «à la présentation par le demandeur (c'est-à-dire l'exploitant) d'un contrat de louage conforme à un contrat type approuvé par elle».
Ce contrat type, agréé par chaque autorité administrative compétente (le préfet ou le maire), n'existe pas à ce jour. Il devrait, selon l'article 9 de l'ordonnance préfectorale du 31 octobre 1996 par exemple (BMO de la Ville de Paris, 29 novembre 1996), être «établi en liaison avec les organisations professionnelles intéressées » afin de servir de référence aux loueurs et aux conducteurs.
Le contrat de location ne fait l'objet d'aucun encadrement ni contrôle. Il ne relève que de la seule volonté de l'exploitant-loueur qui, alors, propose ou plutôt impose un contrat d'adhésion. L'économie de ce contrat ne fait pas disparaître les éléments de fait existant dans les relations de travail qui caractérisent la subordination juridique, critère du contrat de travail.
Cette situation imposée et qualifiée de contrat de location, ou contrat d'entreprise, qui a pris la succession de la pratique patronale du forfait, est génératrice d'insécurité juridique pour les chauffeurs.
- Elle entre dans le champ des contrats de travail faisant l'objet d'une affiliation obligatoire par le code de la sécurité sociale (art. 311-3, 7°) pour les droits à l'assurance maladie. Mais on leur impose, comme aux artisans, quinze jours de délai de carence pour les indemnités journalières.
- L'Urssaf refuse l'affiliation de ces personnels au régime des employeurs et travailleurs indépendants, au motif que cette activité ne remplit pas les conditions de l'article R. 241-2 du code de la Sécurité sociale.
- La Chambre des métiers refuse l'inscription des chauffeurs locataires de taxis, car ils ne remplissent pas les conditions des articles 1 er et 3 du décret du 10 juin 1983, situation confirmée par lettre du 22 octobre 1997 du ministère des Finances à la préfecture de Savoie.
- Des instances ont été engagées pour que la jurisprudence sociale requalifie ces contrats de travail, qui devront, de ce fait, relever du code du travail
Or, la situation concrète faite à ces personnels fait pourtant qu'ils sont exclus de toute une série de droits sociaux et des dispositions du code du travail.
• Au niveau rémunération, citons un
journal économique du 12 février 1997, pour illustrer cette
réalité :
«les locataires versent 4400 F par semaine au
loueur (dont les charges sociales et la TVA)
auxquels il faut ajouter
70 à 300 F par jour de carburant. Avec une recette moyenne quotidienne
de 800 à 1000 F, un locataire gagne donc entre 4 000 F et 8 000 F par
mois pour 75 heures de travail hebdomadaire ».
• La durée de travail quotidienne est de 11
heures pour les travailleurs indépendants et de 10 heures pour les
salariés. Cette règlementation découle de la notion de
temps d'occupation de la voie publique, et sert également,
via
l'horodateur, de base pour la répartition de la clientèle
entre chauffeurs dans certaines zones d'activité.
• On comprend aisément que cette
réglementation ne soit pas respectée par les locataires,
dès lors que le système mis en place ne permet une
rémunération comparable au niveau conventionnel, qu'en
dépassement de l'horaire journalier et hebdomadaire et en ignorant les
jours de repos hebdomadaires. De ce fait, découle un profond
déséquilibre économique entre exploitants au seul profit
des sociétés de location.
• Le repos dominical, les congés payés
annuels, ne sont pas obligatoires, pas respectés, pas
sanctionnés.
Les conducteurs locataires n'entrent pas dans le champ des règles d'hygiène et sécurité, ne relèvent pas de la Médecine du travail 3 ( * ) .
• Ils n'ont pas de représentants élus
du personnel, ni de délégués syndicaux, ni de droits
syndicaux.
• En cas de rupture de leur contrat ou de non
renouvellement, ils ne bénéficient pas des indemnités de
chômage.
* *
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La qualification de contrat de louage donnée par les textes réglementaires s'inscrit apparemment dans la tendance législative récente, découlant de la loi dite Madelin du 11 février 1994 et le nouvel article L. 120-3 du code du travail qui est issu. Cette loi vise, dans le contexte où sévit une grave crise de l'emploi, à faciliter l'accès à toutes les formes d'activité économiques permettant, selon l'expression d'un auteur connu, « de réduire le périmètre du droit du travail ». D'échapper ainsi aux « contraintes de la législation du travail » en créant des incitations au développement de l'artisanat, du travail indépendant de l'entreprise individuelle, de l'essaimage, etc... comme moyen de lutter contre le chômage.
La finalité du décret du 17 août 1995 ne peut s'inscrire dans la même logique d'incitation à la création d'emplois et d'entreprises individuelles, puisque le volume des licences de taxis reste identique en tout cas étroitement dépendant de la seule autorité administrative.
A l'inverse, on constate que cette situation a abouti à l'effet opposé dès lors que les 6000 autorisations concernées, exploitées en location, suppriment les « chauffeurs de relais» qui sortent les véhicules pendant les périodes de repos hebdomadaire, congés annuels et autres temps d'absence des chauffeurs. Ce chiffre est estimé à près de 1500 emplois qui ont ainsi disparu.
L'extension du contrat de louage contribue à déséquilibrer la structure de ce secteur économique en faisant progressivement disparaître les chauffeurs salariés, pour échapper à l'application des droits sociaux. Elle menace de réduire considérablement l'exercice artisanal lui-même. C'est le jeu de l'harmonisation de la concurrence qui, en définitive, est violé, pour imposer des formes de travail de plus en plus désarmées et fragilisées.
Cette situation a d'ores et déjà des conséquences négatives sur l'exercice d'une profession qui, jusque là, était fortement régulée, encadrée, contrôlée, voire réprimée par les pouvoirs publics. Elle porte atteinte à l'image de cette profession et aux villes concernées. Elle se répercute sur la qualité du service rendu et la sécurité, ce qui se traduit :
1° par une incitation à la violation de la législation du code de la route, relative à la durée du travail, et à la réglementation propre aux taxis;
2° par un taux de sinistralité en progression qui semble bien frapper plus fortement les locataires que les travailleurs indépendants, au même kilométrage parcouru ;
3° par un taux d'envoi en commission de discipline quatre fois supérieur pour les premiers par rapport aux seconds, pour des litiges avec la clientèle ou des infractions à la réglementation des taxis ;
4° par une baisse sensible du niveau de formation et de compétence des chauffeurs qui n'est plus assurée de manière suffisante, alors même qu'ils subissent une détérioration de leurs conditions de vie et de travail (durée « illimitée», embouteillages, pollution, difficultés de stationnement);
5° par une insuffisance croissante de taxis disponibles aux heures de pointe, malgré les progrès de la régulation par utilisation du radiotéléphone, les couloirs réservés ;
6° par une spéculation des sociétés sur les autorisations incompatible avec le service au public.
Pour toutes ces raisons, il convient de définir et confirmer la nature de contrat de travail des chauffeurs n'ayant pas un statut de travailleur indépendant, et harmoniser le régime de cessibilité des autorisations entre les divers exploitants.
EN CONCLUSION
Plusieurs démarches sont possibles, qui n'ont pas tout à fait les mêmes implications et, en tout cas, relèvent de la sensibilisation possible auprès du ministère de tutelle notamment et des choix syndicaux.
1° Abroger par décret partie de l'article 10 du décret du 17 août 1995. Et en conséquence, des textes pris par les autorités préfectorales compétentes (Paris notamment). Cela ne résout pas tous les problèmes et ne pérennise pas la situation de la branche.
2° Introduire un nouvel article dans la loi du 20 janvier 1995 instituant l'obligation d'exploitation effective et continue des autorisations de stationnement (licences) des taxis. Prévoir deux seuls modes d'exploitation : par le propriétaire ou par les salariés.
Il est nécessaire toutefois de prévoir des mesures provisoires pour la « transformation » des contrats de louage en contrats de travail et les diverses conséquences pour les chauffeurs au plan couverture sociale, retraite. Ces deux propositions conduisent à la suppression du louage, position optimale. Est-elle crédible, concevable ? C'est à examiner
3° On peut encore instaurer un régime avec trois types d'exploitation. Il faut, si les pouvoirs publics s'inscrivent dans cette optique, avoir la capacité de faire des contre-propositions, au profit des chauffeurs.
4° Pour tenir compte de l'objection qu'il s'agit d'une loi de circonstance (prise en fonction des changements de majorité), on peut introduire dans les lois une présomption de contrat de travail pour les locataires. Avec deux variantes : présomption irréfragable ou simple.
Deux rédactions les plus simples à formuler sont proposées pour l'instant pour modifier le décret et la loi. Il convient donc de décider des choix les plus opérationnels, pour aller par exemple vers une proposition de présomption de contrat de travail.
En matière de modifications réglementaires, notre propos se limitera à émettre le souhait des modifications réglementaires suivantes.
Nous proposons que la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 10 du décret n° 95-935 du 17 août 1945, relatif à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi, soit abrogée.
Nous proposons également que soit abrogé le troisième alinéa de l'article 10 du même décret.
Sur le plan législatif, ce qui constitue l'objet de la présente proposition de loi, les auteurs de cette proposition vous proposent d'adopter les propositions suivantes :
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
Sur l'article 2 de la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995, relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi il est inséré un article 2 bis ainsi rédigé :
«Art. 2 bis. - Une même personne physique ou morale peut être titulaire de plusieurs autorisations de stationnement.
«Le titulaire d'une ou plusieurs autorisations de stationnement doit assurer l'exploitation effective et continue du ou des taxis, personnellement ou avec son conjoint, ou avoir recours à des salariés. »
Article 2
Dans le premier alinéa de l'article 4 de la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 précité, les mots : «, et nonobstant les dispositions de l'article 3 de la présente loi » sont supprimés.
* 1 - Décret n° 95-935 du 17 août 1995 et ordonnance du préfet de Paris du 31 octobre 1996 (BMO du 29 novembre 1996, p. 1952)
* 2 - B : titulaire d'une autorisation et qui ne conduit pas lui-même ou titulaire de 2 à 200 autorisations ; C : titulaire de plus de 200 autorisations
* 3 - Des visites médicales sont imposées lors du CAP et tous les cinq ans