N° 138
SENAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 1er décembre 1997
PROPOSITION DE LOI
relative aux droits des couples non mariés,
PRÉSENTÉE
Par Mme Nicole BORVO, M. Guy FISCHER, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mme Danielle BIDARD-REYDET, MM. Jean DERIAN, Michel DUFFOUR, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGES, Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Droit civil. - Assurances - Contrats civils - Droit du travail - Droit de succession - Impôts -Logement - Union civile - Code civil.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Le retard du droit sur les moeurs apparaît aujourd'hui particulièrement évident pour les couples vivant en dehors du mariage. C'est vrai également pour les couples homosexuels.
Même si les administrations sont amenées à assimiler les couples non mariés aux couples mariés (assurance maladie, aide au logement, prestations familiales), la communauté de vie est encore très loin de conduire à une égalité de droits.
La préoccupation du législateur doit être de partir de la réalité, sans s'interroger d'un point de vue moral si une réforme de la législation favoriserait ou non l'extension de l'union de fait. Au reste, celle-ci s'étant développée dans le cadre d'une législation défavorable, les effets qui suivraient une mise à niveau du droit avec la réalité vécue pour de nombreux couples doivent donc aussi être relativisés.
L'Etat n'a pas à s'immiscer dans la vie privée des personnes. Son rôle est d'assurer l'égalité de tous et de toutes devant la loi, quel que soit le mode de vie de chaque individu. Il n'y a donc pas lieu de faire une distinction particulière pour les couples homosexuels. La proposition de loi les concerne directement.
Pour les députés communistes, ce principe fondamental d'égalité doit être assuré, que la vie commune soit ou non fondée juridiquement par le mariage. Mais également à travers l'égalité des obligations, le droit de l'un étant souvent l'obligation de l'autre en matière financière ou patrimoniale.
A cet égard, les termes de concubin, concubinage conservent une nuance dépréciative, une connotation péjorative ou ironique qui n'a pas lieu d'être. En matière juridique, leur usage devrait être abandonné.
Toute rupture de la vie commune, que l'on soit marié ou non, pose des problèmes en matière de logement, d'éducation des enfants, d'héritage, de pension alimentaire ou de retraite de réversion.
Souvent, c'est la jurisprudence qui cherche à remplir le vide de la loi et, à partir de l'enrichissement sans cause et de l'activité ménagère
de la femme, accorde un droit à pension, comme en cas de divorce, à la femme pourtant non mariée.
Les difficultés sont réelles. Si le mariage conduit à un ou plusieurs contrats juridiques, l'union de fait est multiple et difficile à appréhender. Le mariage suppose une double volonté au plan de la durée de la vie commune, l'union de fait ne suppose ni n'infirme dette volonté que la permanence de la cohabitation prouvera ou non.
Les principaux problèmes, comme d'ailleurs quand il y a mariage, se posent lors de la rupture du ménage, rupture volontaire en cas de départ d'un des partenaires ou à la suite d'un décès (droit à dommages-intérêts, en cas de mort accidentelle, droit à pension, droits successoraux).
Il existe, par exemple, aux Pays-Bas, au Québec, des contrats types susceptibles de régir la famille de fait. Le contrat précise qu'il existe entre X et Y une relation affective, qu'ils vivent ensemble depuis telle date et qu'ils ont un ménage commun. Le problème est que ces contrats, à la différence du laconisme d'un contrat de mariage, sont extrêmement détaillés puisqu'ils vont jusqu'à répartir les charges, y compris pour l'entretien de tous les jours, l'achat des articles ménagers, le loyer, l'usage du téléphone. Le contrat organise aussi par avance la garde et l'entretien des enfants avant toute séparation et prévoit ou non une indemnité de rupture.
S'alléger des liens juridiques du mariage conduit ainsi pour ceux qui acceptent ces contrats à s'engager dans des liens aussi contraignants sinon plus, dont la seule différence finit par être l'absence de la nécessité d'un jugement de divorce.
La technique contractuelle, si elle n'est pas à exclure, peut difficilement être prônée par le législateur comme unique.
Dans l'état actuel des rapports individuels dans la société, il nous semble qu'un statut d'union de fait ne doit pas aller vers la multiplication des normes juridiques qu'elle tend à écarter par définition. Il n'est pas souhaitable de favoriser une inflation juridique que les partenaires ont justement voulu éviter.
Ainsi, en premier lieu, la présente proposition de loi a pour objet de mettre le droit et le vécu en concordance en choisissant la plus grande simplicité.
L'union civile de fait doit ouvrir aux femmes et aux hommes les mêmes droits et les mêmes devoirs que s'ils étaient mariés, dès lors qu'ils ont formulé le désir qu'il en soit ainsi.
L'union de fait doit pouvoir être prouvée par tous moyens. Elle doit résulter normalement d'un certificat signé en mairie. La déclaration d'imposition commune à l'impôt sur le revenu entraîne les mêmes effets que le certificat. Aucune durée ne serait exigée.
En second lieu, la proposition de loi aborde un problème spécifique qui concerne les enfants.
Le code civil, même à travers des lois de progrès comme la loi du 3 janvier 1972 ou celle du 8 janvier 1993 relative à l'état civil, continue à distinguer la filiation légitime et la filiation naturelle avec des droits moindres pour l'enfant naturel.
L'enfant n'est pas responsable en naissant des rapports juridiques ou affectifs entre ses parents. Il n'a pas à en supporter les conséquences. Le principe d'égalité doit donner les mêmes droits à tous les enfants. Le droit de l'enfant est essentiel.
A notre avis, tous les enfants sont naturels et ils sont tous légitimes. Les expressions filiation légitime, enfant légitime, enfant naturel doivent être supprimées et remplacées par des termes excluant toute connotation de hiérarchie susceptible de porter préjudice à un enfant ou d'en valoriser d'autres.
En troisième lieu, le droit au logement doit être assuré. La personne vivant en ménage doit avoir le droit à reprendre le contrat de location dans les mêmes conditions jusqu'à la fin du bail et pour son renouvellement.
Enfin, en matière de droits de mutation à titre gratuit pour éviter une imposition à 60 %, les couples non mariés ont recours à des techniques conventionnelles comme l'acquisition en indivision ou l'assurance vie. Mais ces formules, outre qu'elles exigent une certaine connaissance du droit et l'appel à des spécialistes, ne répond pas à la préoccupation d'égalité. Il est proposé d'étendre la même exonération des droits de mutation existant actuellement pour le conjoint et les enfants à une tierce personne. Pour que la réforme soit complète, il faudrait modifier le barème pour relever le seuil d'imposition à 500 000 F.
Telles sont les propositions que présentent les Sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen afin que les femmes et les hommes qui ont choisi une communauté de vie en dehors du mariage voient leur liberté respectée.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
La preuve de l'union de fait s'établit par tous moyens.
Elle résulte notamment d'un certificat signé au service d'état civil par les deux personnes physiques concernées, de l'acte de vie en commun délivré par le tribunal d'instance ou par le juge aux affaires familiales à l'occasion de la reconnaissance d'un enfant, ou par une déclaration d'imposition commune à l'impôt sur le revenu.
L'union de fait entre deux personnes non mariées assimile chacun des intéressés au conjoint pour tous les contrats civils, notamment en matière d'assurances et de baux locatifs, en matière successorale, de protection sociale, de droits ouverts par le code du travail, dans les statuts de la fonction publique et dans les conventions collectives. Elle a également les mêmes effets lorsqu'une des deux personnes est étrangère, en matière d'accès à la nationalité française, d'entrée et de conditions de séjour. Une personne ne peut être liée que dans une seule union de fait produisant les droits ci-dessus.
Article 2
Dans la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation et la loi, n° 93-22 du 8 janvier 1993 relative à l'état civil, les mots : «filiation légitime, filiation naturelle, enfant légitime, enfant naturel, légitimation» sont remplacés par les mots : «filiation pendant le mariage, filiation hors mariage, enfant de parents mariés, enfant de parents non mariés, reconnaissance légale».
Article 3
I. - L'article 334 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 334. - L'enfant né hors mariage a les mêmes droits et les mêmes devoirs que l'enfant né pendant le mariage dans ses rapports avec ses père et mère.
« Il entre dans la famille de sa mère et dans celle de son père. »
II. - L'article 757 du code civil est ainsi rédigé :
«Art. 757. - L'enfant né hors mariage a dans la succession de ses père et mère et autres ascendants, ainsi que de ses frères et soeurs et autres collatéraux, les mêmes droits qu'un enfant né pendant le mariage. »
Article 4
Après l'article 915-2 du code civil, il est inséré un article 915-3 ainsi rédigé :
«Art. 915-3. - Dès lors qu'un des partenaires n'est pas engagé dans les liens du mariage, l'union de fait produit tous les effets du mariage en matière de droits successoraux. »
Article 5
Les droits successoraux institués par la présente loi ne pourront être exercés dans les successions ouvertes avant son entrée en vigueur.
Article 6
En matière d'impôt sur le revenu des personnes physiques, les couples non mariés peuvent opter pour une déclaration unique d'imposition.